La fête nationale perd de plus en plus de son attrait en Algérie. Elle n'est plus ce symbole collectif qui rassemblait, dans la communion, tous nos concitoyens au cours des années 1960 et 1970. Des dates comme le 1er Novembre ou le 5 Juillet passent désormais inaperçues. Il y a comme qui dirait une rupture avec la mémoire collective et les valeurs fondamentales de la nation. Il est vrai que la monotonie des célébrations officielles, qui se limitent souvent à des cérémonies de recueillement dans les cimetières des martyrs, n'est pas pour susciter l'engouement d'une jeunesse majoritaire qui n'a pas connu la guerre de libération nationale. La responsabilité des pouvoirs publics dans cette triste platitude est, en effet, pleinement engagée. Les commémorations à huis clos, les forums expéditifs, les témoignages monocordes et mythifiants ont complètement effacé le souvenir grandiose de ces repères communs. Il faut du mouvement, de la beauté et de la gaieté pour entretenir la flamme patriotique. Cela demande de l'art, de la créativité, mais surtout de l'ouverture et de grands espaces pour permettre à toutes les bonnes volontés d'apporter leur concours. Une fête comme celle-là est fondamentalement un événement heureux, une fresque colorée, qui appartient à tous les membres de la communauté nationale. Elle est diverse, riche en débats. Elle est démocratique, pour ainsi dire. Ça se fête dehors, dans la rue. Fanfare, parade, défilé, chorégraphie, théâtre, joutes poétiques, équestres ou sportives sont autant d'ingrédients indispensables au succès de l'entreprise. Bien au-delà de cette ambiance folklorique et des réjouissances populaires, de pareilles occasions doivent aussi susciter la réflexion et l'intelligence. Car les idéaux, comme les blasons, ont besoin d'être redorés à chaque fois pour garder éternellement leur éclat. Il faut permettre aux Algériens d'aujourd'hui de poursuivre et de parachever l'œuvre titanesque de leurs aînés. Ils doivent bénéficier de cette chance pour s'illustrer au service de leur pays. «La belle Antiquité fut toujours vénérable/ Mais je ne crus jamais qu'elle ne fût adorable/Je vois les anciens sans plier les genoux/Ils sont grands, il est vrai, mais hommes comme nous.» Ces vers d'Alain Finkielkraut (Nous autres, modernes) traduisent parfaitement tout l'intérêt qu'il y a à libérer l'initiative, à aérer pour laisser la fête envahir la rue et à ouvrir des brèches dans le consensus fossilisant. C'est indispensable à la créativité. Les génies tentent toujours de se créer eux-mêmes à partir de quelque chose qui existait déjà, mais sans se référer à une instance, à une «auctoritas» qui guiderait leur art. Le consensus crée, au contraire, des autoroutes de la pensée clés en main. Il stérilise quelque part. La politique consiste à positionner des êtres, des manières de faire dans un espace qui ne soit pas un tout clos. Le risque de la politique est justement le consensus, c'est-à-dire qu'elle exclut tout ce qui vient remettre en question son unité. Tout ce qui critique son ordre, sa notion d'Etat, la véracité de son discours ou la justesse de ses propositions. On ne doit pas confondre pensée politique et la pensée du pouvoir, car, dans son essence même, cette dernière menace la première et rêve de dépolitisation. Voilà tout le paradoxe de l'art politique. Mais le rôle d'une démocratie est de faire, comme disait Jacques Rancière, avec «l'autorégulation anarchique du multiple par la décision majoritaire» et non de s'en défausser. Le 1er Novembre et le 5 Juillet sont des hymnes à la liberté et à la démocratie, faisons en sorte qu'ils demeurent tels pour l'éternité. K. A.