Il est loisible de remarquer, dans la majorité des souks implantés à travers les douze communes de la wilaya, la présence d'étalagistes dont la physionomie ou du moins les attitudes comportementales déteignent sur certains autres jusqu'à prendre à contre-pied l'image consacrée du vendeur traditionnel, à l'allure plutôt fruste, au bagout routinier à la limite du borborygme et à l'hygiène corporelle douteuse.Or, parmi ces centaines de vendeurs qui essaiment lesdits marchés populaires, certains ont plutôt une allure plus avenante mais également un art du boniment peu coutumier. Autrement dit, la maîtrise de l'essentiel pour apprivoiser le client, lequel, par les temps qui courent, n'est plus roi. Peu importe la consistance de son porte-monnaie. Bouaziz B. est l'un de ces atypiques vendeurs visibles depuis quelques années dans les souks populaires. Plutôt moderne et une étonnante activité qui déborde comparativement au reste de la corporation. Approché, il nous dira qu'avant «de m'installer au souk du Khroub, j'ai d'abord été cadre dans une entreprise publique. Avant même et surtout d'être fonctionnaire, je suis quelqu'un de très ouvert, éclectique, curieux de nature et évidemment éduqué. Ce qui, modestie mise à part, n'est pas rien. J'ai la particularité d'avoir lu, de regarder la télévision et, dans un passé hélas révolu, j'ai été cinéphile. Je pratiquais du sport et comme tous mes congénères au sein de l'équipe de football du quartier, il m'a été donné, alors que je travaillais dans une station balnéaire, de rencontrer des artistes qui allaient devenir des stars mondiales, dont Manu Dibango. J'ai également voyagé aussi bien dans mon pays qu'ailleurs». Un CV qui en dit donc long et explique l'attraction qu'il constitue au souk du Khroub mais aussi son attractivité sur la multitude de personnes qui déambulent dans les méandres du marché. A ce sujet, il dira avec malice : «Vous savez, toute personne qui passe à côté de mon étal est pour moi un potentiel client et tout client est potentiel acheteur. Il suffit alors de titiller son intention […] la provoquer. En fait, je crois que tout est question de bonhomie du vendeur et de ce sentiment de confiance anticipée qu'il arrive à faire passer chez le client.» «Modestie mise à part, tout se joue au feeling, c'est au premier coup d'œil que je repère le client, le vrai, celui qui est ici pour acheter mais qui achète dans le but d'en avoir pour son argent. Nos regards se croisent […] je le hèle. Imparablement, sans donner l'impression d'avoir répondu à mon invite, ledit client vient comme par hasard jeter un coup d'œil, palpe un produit et là je contre-attaque pour l'informer de la disponibilité d'un autre, identique mais plus cher. Or, celui qui achète en dehors de la friperie vient en général pour acheter un article de qualité. Dès lors, je sais que le prix lui importe peu. Bien sûr, il faut mettre la forme dans la démonstration, ne pas donner l'impression de celui qui veut vendre coûte que coûte […] du bonimenteur qui veut vendre un shampoing à un chauve. C'est aussi une question de patience. Un client peut demander à voir, prend son temps et finalement n'achète pas. Dans les transactions commerciales normales, c'est un passage obligé, toutefois peu admis par des étalagistes qui ne comprennent rien en fait à tout cela», a-t-il précisé. Bouaziz B., dont nous avons suivi pendant plus d'une heure la technique, n'hésite pas à sortir les produits de leur emballage, les exhibe, les donne au client, prend à témoins d'autres qui n'hésitent pas à leur tour à donner leur avis… fatalement favorable. Et là, effectivement, sur dix intentions d'achat, il matérialise au minimum.«Ça marche donc pour vous ?» lui demandons-nous. «Disons que je n'ai franchement pas à m'en plaindre. J'assure une vie confortable à ma famille, mes enfants, universitaires, sont en train de prendre le relais etje ne suis là rien que pour les habituer à des attitudes précises, dont le respect pour la clientèle sans laquelle nous ne serions rien.»