Par Hassan Gherab «On ne peut manipuler du miel sans se lécher les doigts», dit un adage algérien. Il en est ainsi de l'argent, ce qui explique, sans justifier pour autant, la «petite» corruption, le «bakchich», la «tchipa». Elle est un phénomène social, politique et économique qui touche tous les pays. Et bon gré, mal gré, on s'en accommode, tant qu'elle ne dépasse pas ce seuil de «phénomène». Mais quand la corruption et la corruptibilité se généralisent, elles deviennent un fléau qui mine les institutions et l'administration, ralentit le développement économique et menace même les fondements de l'Etat. Gangréné, le pays devient une terre hostile pour les Investissements directs étrangers (IDE) et les petites entreprises qui n'arriveront pas à assumer les surcoûts induits par la corruption. Cette situation que vivent de nombreux Etats, principalement de la sphère sud et particulièrement de l'Afrique, qui sont la cible de grandes multinationales, groupes industriels et fonds d'investissements. Profitant de l'absence d'instruments, outils et institutions de lutte contre la corruption forts et indépendants, ces investisseurs usent et abusent de leurs positions pour «acheter» des marchés en graissant la patte à tous les fonctionnaires ayant le pouvoir de décision, y compris le Président des fois. Dès lors, la corruption est «institutionnalisée» et est devenue un «argument» de négociation pour décrocher de gros contrats. Un chapitre des budgets de grandes sociétés est même affecté à la corruption. Evidemment, il sera inscrit sous un titre générique et anodin comme «Frais généraux» et ce qui en sort ne sera pas des pots-de-vin mais des «commissions», un doux euphémisme pour désigner un fléau dont les ravages ont fini par toucher les économies développées, lesquelles, avec la crise économique et financière mondiale, ont fini par ouvrir les yeux sur ces masses d'argent qui prenaient des circuits parallèles pour finir dans les paradis fiscaux. C'est le début de la fin de l'hypocrisie générale. La lutte contre la corruption et la fuite des capitaux s'amorce. La guerre aux paradis fiscaux et au secret bancaire qui protègent toutes les dérives financières, est ouverte. Le Nord et le Sud parlent le même langage, même si les actions tardent à venir ou à produire leurs effets pour celles déjà engagées. Une Journée internationale de lutte contre la corruption, le 9 décembre 2009, est instituée avec la mise en place de la Convention des Nations unies contre la corruption. A l'occasion de sa présentation, le Secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, déclarera que la corruption «n'est pas une force impersonnelle» mais bien «le fruit de décisions personnelles, le plus souvent motivées par la cupidité». Faisant remarquer que cette Convention «est aujourd'hui l'instrument juridique le plus solide dont dispose la communauté internationale pour lutter contre la corruption et assurer le triomphe de l'intégrité», il a appelé les entreprises à adopter des mesures de lutte contre la corruption en s'inspirant de la Convention, qui est le seul instrument juridique contraignant de portée universelle. Le champ étendu de la Convention et le caractère impératif de nombre de ses dispositions en font un instrument unique et exhaustif pour faire face au problème global de la corruption. Cinq domaines principaux sont prévus dans le texte : la prévention - l'incrimination, la détection et la répression - la coopération internationale - le recouvrement d'avoirs - l'assistance technique et l'échange d'informations. La Convention qui couvre une grande diversité de formes de corruption, dont le trafic d'influence et l'abus de fonctions, intègre également dans un de ses chapitres le recouvrement d'avoirs que d'anciens dirigeants et responsables accusés ou reconnus coupables de corruption, auraient placés dans des institutions bancaires étrangères. Ce travail est pris en charge par l'Office de Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc) qui œuvre à encourager et faciliter la restitution systématique et rapide des avoirs volés. Pour ce faire, l'Onudc a mis en place un partenariat avec le Groupe de la Banque Mondiale dans le cadre de l'Initiative pour le recouvrement des avoirs volés (StAR). L'initiative StAR se concentre sur la réduction des obstacles au recouvrement d'avoirs, le renforcement de capacités nationales pour le recouvrement, et l'assistance en phase préparatoire du recouvrement. Relevant qu'un système judiciaire corrompu hypothèque sérieusement toute stratégie de lutte contre la corruption parce qu'il ne pourra qu'œuvrer à son entrave et à la faire capoter, l'ONU se penche sur l'étude de la corruption dans le système judicaire de façon approfondie en vue d'y apporter des réponses à tous les niveaux de juridiction. Tant que l'éthique du système judiciaire n'est pas irréprochable, aucun mécanisme juridique et institutionnel de lutte contre corruption, aussi sophistiqué soit-il, ne peut déployer tout son potentiel. Malheureusement, il apparaît aujourd'hui dans de nombreuses régions que les tribunaux sont de plus en plus gangrené par la corruption, note l'Onudc. L'organisme onusien développe également de nouveaux instruments qui permettent aux Etats membres de renforcer leurs capacités juridiques, institutionnelles et opérationnelles, afin de lutter contre la fraude économique tant à l'échelle nationale qu'internationale. Tous ces outils et instruments ne demandent qu'à être exploités. Mais, «il n'y a pire sourd que celui qui ne veut rien entendre, et pire aveugle que celui qui ne veut rien voir», dit cet autre proverbe. Et c'est cette démarche qui est souvent adoptée par de nombreux pays dont l'Algérie où les affaires, les grosses affaires, de corruptions deviennent monnaie courante. Khalifa Bank, BCIA, Sonatrach 1, Sonatrach 2 (on se paye même le luxe d'avoir des épisodes), autoroute Est-Ouest et aujourd'hui Sonelgaz ne sont que quelques-uns des gros scandales révélés. Ce ne sont que les 10% émergeant de l'iceberg. Pas un secteur n'a échappé aux corrupteurs. Pas une administration n'a échappé aux corrompus. Ça va de la petite enveloppe, du petit cadeau, glissé pour avoir un document administratif, à la grosse commission versée sur un compte bancaire à l'étranger. Tous les Algériens savent que la corruption est partout, dans le petit chantier de peinturlurage des trottoirs pris par une petite entreprise locale comme dans les grands projets nationaux où interviennent des entreprises étrangères ou dans ces marchés d'importations qui se chiffrent en milliards de dinars. Et si tout le monde le sait, les gouvernants ne peuvent que le savoir et doivent donc faire quelque chose. Ils ont dit qu'ils étaient décidés à éradiquer la corruption. On a mis en place des institutions de lutte contre la corruption, on a élaboré un cadre juridique pour permettre à ces institutions de mener à bien leur mission. Mais la corruption perdure. Pourquoi ? La réponse n'est pas dans la machine mais dans les leviers de commandes et ceux qui les ont en mains, que seule une justice indépendante et intègre pourra contrôler. H. G.