Le Centre culturel algérien à Paris, (CCA) que dirige l'écrivain Yasmina Khadra, rendait hommage en ce week-end, au poète Tahar Djaout, premier intellectuel algérien à ouvrir la liste macabre des assassinats d'hommes de l'esprit, pendant les années 90.Une projection du film, "Un poète peut-il mourir ?" de Abderrezak Ait Larbi a eu lieu en présence du réalisateur et d'un nombreux public, à l'occasion du 18ème anniversaire, un 26 mai 1993, de l'auteur du " Solstice barbelé". D'une durée de 52 minutes, ce moyen métrage, faisait l'ouverture en mars dernier, du 11ème festival du film amazigh qui s'est déroulé à Azzeffoun, ville du poète. Ce film qui n'a d'ailleurs rien raflé à cette compétition, retrace le cheminement d'un écrivain qui dès l'âge de 33 ans a fait une entrée fracassante dans le monde éditorial en publiant son premier ouvrage chez Le Seuil. Depuis son enfance dans son village natal d'Oulkhou, à Azzefoun, (Tizi Ouzou), jusqu'au milieu de sa carrière subitement interrompue par la mort, le portrait de Djaout est dépeint autant par ses proches que par des critiques littéraires et journalistiques, nationaux et étrangers. Le portrait moral du poète fut dépeint par ses proches, mais aussi par des critiques littéraires ayant travaillé sur son œuvre, des journalistiques, qui l'ont côtoyé. Sa sœur Tassadit se rappelle, sur fond d'un poème écrit par sa mère à la mémoire du regretté, d'un Tahar assoiffé de savoir depuis sa tendre enfance : "Avant même l'âge légal de scolarisation, il remuait ciel et terre pour qu'on le fasse entrer à l'école", confie-t-elle. Un "caprice" auquel les parents ne pouvaient céder, en cette fin des années 50, le pays vivant sous le joug colonial. Mais c'était sans compter sur la témérité du bambin qui, mettant à profit la récréation à l'école, a fini, au grand étonnement des enseignants par se frayer un chemin jusqu'au pupitre. Après une brève scolarité à Oulkhou, le jeune Tahar rejoint Alger où il obtint son baccalauréat en 1970, année où, malgré son profil de matheux, il commence à s'intéresser au verbe, en marquant des contributions dans les revues, "Promesses", qui paraissait en Algérie, "Alif" en Tunisie, et "Souffle" au Maroc. Le romancier et membre de l'académie Goncourt, Tahar Bendjelloun, évoque, en décortiquant les premiers essais de Djaout, un poète "révolté", signalant que c'est l'une des caractéristiques essentielles de l'écrivain. "Il n'existe pas de poète gentil", opine-t-il. L'écrivain Ben Mohamed, parolier de la célèbre chanson Vava Inouva de Idir, reconnaît en Djaout celui qui a pu rendre une "lecture transparente" de la question culturelle en Algérie post-indépendante. Un écrivain écorché vif Dans une conférence au CCA en 1991 à Paris, l'auteur des Vigiles définissait la "nouveauté" des poètes post-indépendance par le fait qu'ils "échappent, dans leur majorité, aux limites sclérosantes de l'objectivisme et de la célébration utilitaire. Ces poètes qui ne refusent pas d'avoir peur ou de douter". Le documentaire retrace, plus loin, le passage de feu Djaout du profil de ciseleur des mots à celui de romancier, puis au journaliste à la plume acerbe. De cette dernière expérience journalistique, ses anciens collègues à Algérie Actualité, Arezki Metref et Abdelkrim Djaad parlent d'un Djaout "plus engagé, rejetant tant le pouvoir que les thèses islamistes", en ce début des années 1990. Ces positions seront affichées dans l'hebdomadaire Ruptures en janvier 1993 et dans l'ouvrage Post-mortem de Djaout "Le dernier été de la raison". Louis Gardel, des éditions Le seuil, évoque un "texte politique très engagé" en parlant de la dernière œuvre du défunt écrivain qui, déjà, s'interrogeait : le printemps reviendra-t-il ?, un poète peut-il mourir ? Le film prend fin avec l'annonce de la mort de l'aède et les réactions attristées qu'elle a suscitées notamment auprès de sa famille, de ses proches et collègues de travail. Evoquant ses projets, le réalisateur a confié que des contacts ont été établis avec la chaîne de télévision algérienne (ENTV) en vue d'une prochaine diffusion du film avec un doublage en arabe, l'oeuvre étant initialement doublée en langue amazighe. "Un poète peut-il mourir ? - Amedyaz Uryetmetat" est la deuxième oeuvre filmique de Larbi Cherif. En 2010, il avait décroché l'Olivier d'Or au festival du film amazigh de Tizi-Ouzou avec son portrait "Kamel Hamadi, l'art en fréquence", une réalisation également primée au festival international de Marrakech (Maroc), en novembre passé. L'an dernier et pour la reconstitution du parcours de l'auteur, de la sentencieuse citation : "Si tu dis tu meurs, si tu ne dis pas tu meurs, alors dis et meurs", un colloque lui a été consacré avec la projection d'un film intitulé "L'encre de la liberté" que lui a dédié à titre posthume le réalisateur Hocine Redjala. En plus d'un montage de joutes poétiques comme les affectionnait l'aède du "Solstice barbelé" et d'une lecture de textes extraits de ses nouvelles "Les rets de l'oiseleur", les organisateurs du colloque avaient programmé des communications-témoignages sur cet intellectuel, modèle du non-conformisme, animées par des compagnons qui ont eu à le côtoyer, dont Abdelkrim Djaad, dont la conférence était intitulée "Tahar Djaout, le journaliste et le compagnon". Par ailleurs, il faut rappeler que l'an dernier, les éditions Alpha avaient publié " Fragments d'itinéraire journalistique ", un vieil essai qui contient comme son titre l'indique la plupart des écrits journalistiques de Tahar Djaout rassemblés dans pas moins de 154 pages. Tout le monde sait que Tahar Djaout a passé l'essentiel de sa carrière dans les rédactions de l'hebdomadaire Algérie-Actualité où il était chef de rubrique culturelle ainsi qu'à El Moudjahid. Entre 1979 et 1992, le défunt écrivain apposait sa signature régulièrement dans les pages culturelles. En 1984, Djaout décolle à Paris pour les besoins de ses études supérieures en sciences de l'information et là, il collaborera à l'hebdomadaire "Actualité de l'émigration", organe de l'amicale des algériens en Europe, puis la place de "L'Algérien en Europe". Un hebdomadaire qui était alors sous la houlette du sociologue Abdelkader Djeghloul, lui même qui ouvrit les colonnes de son journal à Tahar Djaout.