Comme beaucoup de ses compères, on le disait intouchable. C'est ainsi depuis le début de l'opération. Quand un «intouchable» finit à El Harrach, il y a toujours un autre pour prendre la relève dans l'imaginaire de l'opinion ordinaire. C'est que Tliba comme les autres l'ont vraiment été et sur une période trop longue pour laisser la moindre place au doute. Il n'y a pourtant pas que la… longévité au «poste» qui a installé la certitude que ces gens-là, rien ne pouvait leur arriver. La flagrance de leurs prospères «affaires», l'ostentation publique de leurs étalages et l'arrogance qui accompagne le kit du prébendier sûr de son impunité étaient insupportables mais on a fini par croire à leur fatalité. Au désespoir, a succédé une forme de résignation inquiétante. Peut-être bien que personne n'avait définitivement enterré la perspective du sursaut qui allait les emporter l'un après l'autre mais au point où on en était, force est de reconnaître que c'était largement compromis. Quand Saïd Sadi a parlé de miracle en évoquant le soulèvement populaire, il était dans la pertinence et la lucidité qu'on lui connaît. La prédation physiquement accouplée au régime, le volume des méfaits et le nombre en constante croissance des clients, il faut le dire, n'étaient pas de nature à nourrir l'optimisme. Plus rien ne semblait donc «les» arrêter, plus rien ne les empêchait d'être dans la plus vile bravade. Bien sûr, autant de «vocations» ne pouvaient pas empêcher quelques différences de façade. Ça faisait déjà longtemps que le pouvoir nous avait habitués à toute une palette de couleurs dans l'habillage de ses courtisans. Ce qui différencie un peu Baha Eddine Tliba des autres, c'est qu'il en constitue une palette à lui tout seul. Il est d'abord l'incarnation de l'extraterrestre surgi de nulle part. Les apparitions cycliques de personnages du genre, on en a aussi l'habitude. Puis, il a incarné le potentat local où rien ne se passe sans lui, avant de s'essayer à d'autres ambitions. Enfin, s'essayer n'est peut-être pas le mot juste, puisqu'il a… réussi. Député d'une grande ville, puis vice-président de l'Assemblée populaire nationale, il a aussi été exemplaire de la misère morale et intellectuelle de l'entreprise politique. Sa philosophie — à sa décharge, il ne l'a pas inventée — est d'une extrême simplicité : l'argent ouvre toutes les portes. Et dans sa posture, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle est privilégiée, l'argent est facile à amasser. Avec un tel pedigree, les algériens ordinaires ont naturellement «pensé à lui» depuis le soulèvement et ce qui en a résulté de plus populaire. Mais les vieilles certitudes ont la peau dure et c'est presque «logiquement» qu'on en a fait le nouvel intouchable. On ne sait d'ailleurs pas pourquoi, puisqu'en prison, il y a bien moins «vulnérable» que lui mais c'est ainsi, la cohérence et la rationalité n'étant pas obligatoires dans l'expression de la colère. Et puisque le ventre de la bête immonde est si fécond, on lorgne déjà l'intouchable nouveau. S. L.