La soirée est déjà largement entamée ce mardi soir au tribunal de Sidi-M'hamed lorsque la famille Hamel adresse ses derniers mots à la cour dans une salle sidérée par les nouvelles révélations faites par les avocats. Abla Chérif - Alger (Le Soir) - 21h a sonné : la juge chargée du jugement de l'ancien responsable de la DGSN, son épouse, ses trois fils et de sa fille appelle, pour une dernière fois, les principaux prévenus et les anciens responsables poursuivis dans la même affaire. Trois anciens walis, Moussa Ghelaï (Tipasa), Abdelghani Zaâlane et Mohamed Boudiaf, respectivement ex-ministres des Travaux publics et de la Santé poursuivis dans le cadre des missions (de wali) qu'ils ont assumées à Oran, répondent présents. Evoquant son épuisement, Abdelmalek Sellal a demandé, quant à lui, de rester dans sa cellule. Le défilé à la barre commence. Abdelghani Hamel clame son innocence et demande à la justice de faire preuve d'équité. Ses auditions devant le tribunal, le jeu de questions-réponses pièges de la juge et du procureur, les accusations de l'avocat du Trésor public, le réquisitoire extrêmement dur du représentant du ministère public (le procureur) et le défilé de tous les siens devant le juge semblent l'avoir ébranlé. Ses larmes ont coulé au second jour du procès en voyant son épouse effondrée. Dans un geste protecteur, il a vivement réagi pour répondre à la place de sa fille Chahinez qui mettait du temps à répondre aux questions du procureur. Affaissé sur le banc des accusés, il a également souvent dérobé son regard de ses fils demandant la clémence du tribunal. A l'exception de son épouse contre laquelle dix ans de prison ont été requis, tous les membres de sa famille encourent entre 20 et quinze ans de détention. Ce mardi soir, la mère, la fille, les proches qui les entourent sont en larmes. L'épouse Hamel a du mal à se reprendre et s'exprime de manière entrecoupée à la cour : «Nous sommes victimes d'une injustice (…) il y a si longtemps que je n'ai pas entendu mes fils prononcer le mot ‘'maman'' ou Abdelghani m'adresser un mot gentil», dit-elle, la voix empreinte d'émotion. A ses côtés, ses fils prennent à leur tour la parole : «Innocentez les membres de ma famille», s'écrie Mourad. «Soyez cléments avec nous», déclare Chafik. «Je suis innocent», dit Ameyar. Chahinez : «Mes employés ont des familles, elles sont sans ressources en raison de cette affaire, j'aimerais voir l'Algérie encourager l'investissement.» Placée sous mandat de dépôt en même temps que son père et ses trois frères, la fille Hamel a été libérée après quelques semaines d'incarcération car étant maman d'un nouveau-né. Tous les inculpés qui défilent à la barre clament, eux aussi, leur innocence. La défense vient, quant à elle, d'achever ses plaidoiries, toutefois écourtées pas la juge qui évoque l'épidémie du coronavirus. Les avocats de la famille Hamel, de Moussa Ghelaï et de l'ancien directeur des Domaines de la wilaya de Tipasa se sont livrés à des révélations fracassantes. Abdelmalek Sellal, Noureddine Bedoui, Tayeb Louh et l'ancien patron de la gendarmerie, le général Belkecir, sont nommément désignés comme étant les auteurs d'une «machination» contre Abdelghani Hamel en raison de ses déclarations publiques au sujet de l'affaire des 701 kg de cocaïne. Ce dernier avait alors déclaré : «Il faut être soi-même propre pour pouvoir lutter contre la corruption.» «Ils ont agi et exercé des pressions sur des walis pour qu'ils agissent contre Hamel», clament ses avocats. La défense ne se suffit pas de mots, elle remet aussi à la cour des documents dévoilant l'attribution de terres et biens étatiques octroyés à des enfants, épouses de généraux et anciens ministres et leur famille, présidents de partis politiques durant le régime précédent. L'avocat de Hamel révèle que son client avait saisi l'ancien wilaya de Tipasa après l'annulation de la décision d'octroi des terrains à ses fils et qu'il avait reçu une lettre l'informant de l'annulation de décisions concernant des attributions au fils de Sellal, au fils d'un ancien général actuellement à la prison militaire de Blida, à l'épouse de l'ancien secrétaire général du FLN Djemaï (une magistrate du tribunal d'El-Harrach incarcérée) et plusieurs autres hauts responsables. La défense de Ali Bouamriane, ancien directeur des Domaines de Tipasa, présente, elle aussi, des documents mettant en cause d'anciens généraux détenus au tribunal militaire de Blida ou dans des prisons civiles. Cette dernière affirme que les mis en cause ont bénéficié de terres et biens d'Etat acquis au dinar symbolique. L'avocat de Moussa Ghelaï, l'ancien wali de Tipasa, révèle enfin et à son tour que Bedoui, Sellal, Belkecir et Tayeb Louh ont reçu l'ordre d'ouvrir des enquêtes à l'encontre de la famille Hamel pour se venger de ses déclarations. Le procès prend officiellement fin, laissant derrière lui un goût d'inachevé. L'auteur de la directive émanant du Premier ministère, adressée du temps de Sellal à la wilaya de Tipasa pour l'annulation d'une décision du tribunal administratif qui refusait l'octroi de terrains étatiques (agricoles et touristiques) aux fils Hamel, demeure inconnu. On n'en saura pas plus dans cet épisode judiciaire au sujet de la guerre que les clans au pouvoir se sont livrée dans l'affaire de la cocaïne. Avant de lever la séance, la juge annonce que le verdict sera rendu le 1er avril prochain. Hamel et ses trois fils retournent à El-Harrach. Son épouse et sa fille traînent le pas, soutenues par des proches épuisés et, visiblement, eux aussi, sous le coup de l'émotion. A. C.