La romancière laisse, au fil des pages, des indices à même de permettre au lecteur de suivre cette trame : «Qui saura alors lui dire par le bon morceau les épisodes de sa vie, lui qui ne survit que dans l'amnésie ?» Dans Dis-moi ton nom folie, paru en novembre 2020 aux éditions Frantz- Fanon, la romancière Lynda-Nawel Tebbani y a relaté, dans un récit singulier, l'histoire d'un homme interné dans un asile psychiatrique. Bien que l'intrigue — si intrigue, il y a — se déroule dans un univers carcéral : sa chambre de malade et une terrasse encagée. Seul espace ouvert sur l'extérieur à contempler à travers des barreaux. Mais l'évolution du personnage, Skander el Ghaib, est rythmée par la musique andalouse. C'est tout à fait justifié. La romancière est docteure et chercheuse en lettres et musique. C'est avec cette écriture poétique — et un support musical — qu'il est possible, de notre point de vue, de pousser un peu plus loin dans ce style d'écriture particulier, voire déroutant, où il n'y a ni fait ni récit à même de permettre au lecteur de comprendre la vie de cet intriguant personnage, qui se mure dans le silence le plus absolu. Et lorsqu'il sort de son silence, c'est pour répondre aux questions de son médecin, Oliver, qui essaie de le sortir de son mutisme ou pour répondre à des voix qu'il est seul à entendre, Papillon ou Faracha en l'occurrence. «Je parle mais tu n'écoutes pas, je te dis Faracha, où est-elle partie ? Dis-moi ton nom folie. Peut-on savoir réellement pourquoi l'on devient fou ? Pourquoi du jour au lendemain notre rapport à la réalité se dégrade ? Combien sont-ils tous ces gens à ne pas mettre de nom sur leur folie ?» Un peu plus loin, la romancière laisse au fil des pages des indices à même de permettre au lecteur de suivre cette trame : «Qui saura alors lui dire par le bon morceau les épisodes de sa vie, lui qui ne survit que dans l'amnésie ?» Et c'est un peu plus précis quelques pages plus loin : «Skander se souvint de sa dernière mission avant le déraillement du train après son départ de la ville de Constantine. Le train qui n'aura jamais eu de fin à son voyage puisqu'il explosa avant d'arriver. Explosion, le voilà enfin le mot qui, depuis tant d'années, expliquait les brûlures sur son corps sans donner nom aux ratures de son langage. Le long chemin sinueux de sa mémoire qui ne peut reprendre comme seul sentier celui d'un cri rauque d'un homme apeuré.» Lui, l'homme sans passé, est «en train de hurler de moins en moins fort» mais Skander est épuisé par «ses crises de plus en plus fréquentes depuis le retour du train dans sa mémoire» d'amnésique. Il errait alors «de mur en mur pour adosser sa folie, il marchait de la chambre à la terrasse se tenant le poignet et, pour la première fois, ce jour-là, vit que le liquide qui coulait depuis tout ce temps au poignet n'était que l'intraveineuse d'un calmant nécessaire à sa quiétude, quand lui ne voyait que son servile amour pour un papillon taciturne.» Dans ce deuxième ouvrage de 128 pages, Lynda-Nawel Tebbani raconte l'histoire du colonel Kader, disparu depuis l'explosion du train Constantine-Alger et retrouvé fou dans un asile de la banlieue sud de Paris. L'auteur a rendu hommage à Maurice Blanchot, romancier, critique littéraire et philosophe français, mort le 20 février 2003. La pensée et l'écriture de Blanchot ont exercé une influence profonde sur tout un pan de la culture française des années 1950 et 1960 et sur les représentants de ce qu'on appelle la French Theory. Notre auteur n'y a pas échappé, non plus, pour le bonheur de ses lecteurs. A. Kersani