Par Yazid Ben Hounet* J'ai été stupéfait à la lecture de l'article du journal Le Monde, datant du 17 février 2021, intitulé «France-Algérie : la réconciliation mémorielle à la peine» (par Frédéric Bobin). Réagissant aux propos d'Ammar Belhimer, ministre de la Communication et porte-parole du gouvernement, sur le rapport Stora, l'auteur écrit : «La longue absence du Président Tebboune avait en effet créé un vide du pouvoir dans lequel se sont engouffrés les segments les plus durs de l'establishment.» Après quelques éléments de mise en contexte, Frédéric Bobin explique que cette réaction traduirait « le réveil des durs du régime», dans le contexte géopolitique régional marqué par «les percées diplomatiques du Maroc sur le dossier du Sahara Occidental». On apprécie au passage la partialité de cette dernière assertion, qui ne repose en définitive que sur une tribune d'un universitaire marocain. Je réagis car ce texte est symptomatique des problèmes qui minent les relations entre la France et l'Algérie. Le propos est par trop limpide : si le rapport Stora est rejeté en Algérie, ce n'est pas pour des raisons qui lui sont intrinsèques mais à cause de la radicalité de certains Algériens (pas tous quand même !), avec un fonds d'antisémitisme quelque part dans la presse (tant qu'à faire, si on peut jeter l'anathème, sans être précis, pourquoi ne pas s'en priver ?). Peut-on déjà partir de quelques prémisses ? En premier lieu, considérer qu'une réaction du porte-parole du gouvernement, reprise de surcroît par l'agence officielle de presse algérienne – (Algérie Presse Service. Ici : https://www.aps.dz/algerie/117743-l-etat-a-beni-le-hirak-et-satisfait-ses-revendications-legitimes-dans-des-delais-records) – traduit en toute hypothèse un consensus du gouvernement et de l'Etat (lorsque le propos n'est pas contredit par le Président) sur la question. Deuxièmement, estimer qu'il est envisageable que cette prise de position soit fondée et largement partagée par la société algérienne et ses intellectuels ; même s'il est possible de trouver ici et là des avis divergents, voire totalement opposés. Et troisièmement, que toute proposition émanant de l'Etat français n'est pas nécessairement bonne à prendre telle quelle, ni comme base de discussion, pour l'Etat algérien. Je ne reviendrai pas ici sur les nombreuses critiques portées en Algérie (mais aussi en France) s'agissant du rapport Stora. Elles témoignent du reste qu'il existe aussi en Algérie des intellectuels qui pensent, réfléchissent, et que cette réflexion peut nourrir les prises de position d'organisations (fussent-elles du FLN ou d'autres entités algériennes), voire même celles des membres du gouvernement. Le propos de l'article se résume, en suivant l'argumentaire de son auteur, à une question de maturité ; argumentaire appuyé par cette citation de Mohammed Harbi habilement reprise en épilogue : « Les Algériens ne sont pas encore préparés à une vraie discussion .» Est-ce bien le cas ? Ou est-il permis de penser que « certains milieux français » ne sont pas encore prêts à prendre les Algériens, et leurs autorités politiques, au sérieux ? En bref et pour être lapidaire : 132 ans de colonisation, 191 années de mépris ? Y. B. H. * Anthropologue, chargé de recherche au CNRS. Membre du Laboratoire d'anthropologie sociale (CNRS-Collège de France-EHESS), Paris.