Par Maâmar Farah [email protected] Tiraillées entre des positions extrêmes de part et d'autre du profond fossé les séparant, les forces politiques en présence semblent avoir trouvé, dans les résultats de ces législatives, matière à confrontation et sujet à controverses. D'une part, le pouvoir qui semble paradoxalement satisfait de ces mêmes résultats et d'autre part une opposition, ne parlant pas toujours de la même voix, qui tente de récupérer cette faiblesse de la participation : nous sommes bien en présence d'un débat politique intense d'après élections et il importe d'en analyser le contenu, les évolutions à venir et les enjeux des prochaines échéances. Scrutin honnête À l'actif du pouvoir et quoi qu'on en dise, l'honnêteté du scrutin. Nous nous sommes trop longtemps plaints du trafic en tous genres qui accompagne les opérations électorales en Algérie pour ne pas relever que ce vote a été empreint de régularité et que les taux de participation et les résultats sont conformes au choix des électeurs. Ceci étant, nous ne sommes pas d'accord avec le fait de considérer que le taux de participation n'est pas important. Durant toute la campagne électorale, et même avant, il a été martelé à satiété que chaque voix compte et qu'il faut faire le plein pour répondre aux plans de déstabilisation extérieurs et à ceux qui les servent à l'intérieur. L'acte de voter a été considéré comme l'arme aux mains des citoyens pour montrer leur opposition aux forces opposées à ces législatives.On a donc considéré le taux de participation comme un enjeu central de ce vote. Par conséquent, le taux de participation enregistré est loin de servir le pouvoir. La désaffection des grandes villes et de la zone nord du pays, c'est-à-dire celle où se trouve la majorité de la population et les principales infrastructures et activités économiques, doit inquiéter ceux qui voulaient une réponse forte et claire aux opposants. Il est vrai aussi que des raisons objectives expliquent ce désaveu et nous citerons en premier les difficultés économiques induites par l'arrêt de toutes les activités commerciales durant plus d'une année. L'aide apportée par l'Etat ne fut pas conséquente et beaucoup de familles ont basculé dans la pauvreté. Les retombées de la crise des liquidités Les interminables crises dues au manque de liquidités, obligeant des millions de retraités à poireauter des journées entières, voire des semaines et des mois, devant les bureaux de poste, les envolées cycliques des prix des fruits et légumes, la crispation économique doublée des frustrations sociales et de cette impression de fin du monde (qui n'est pas d'ailleurs propre à l'Algérie) ont fait le reste. Loin du sérail, beaucoup pensent que non seulement les choses n'évoluent pas mais qu'elles empirent même. Le commun des mortels n'a pas la patience facile et ne se sent pas concerné par toutes les tâches titanesques qu'il fallait d'abord mener avant de passer aux décisions réparatrices. Pourtant, la bataille centrale ne fut pas de tout repos; elle fut complexe et constamment contrariée par la lutte sournoise des restes de ce que l'on appelle «la bande». S'attaquer à l'empire d'une oligarchie parmi les plus prédatrices au monde ne fut pas aisé. La poursuite des arrestations jusqu'à nos jours prouve que l'on n'est pas encore venu au bout des ramifications inextricables de cette gigantesques pieuvre de la malversation et de la corruption. Ces forces de l'argent, épargnées durant de longs mois, ne sont pas restées inactives. À côté des entités «politiques» prônant la violence et nettement identifiées, ces restes épars de l'oligarchie ont aussi tenté d'investir à leur manière le Hirak. Ne fallait-il pas frapper un grand coup d'entrée ? C'est-à-dire annihiler leur action périlleuse en stoppant, dès décembre 2019, les activités de l'APN, des APW et des APC, tout en changeant le personnel administratif et économique qui ne présente pas toutes les garanties d'honnêteté ? C'est une tâche impossible, allez-vous me répondre. Pourtant, la révolution a ses exigences et l'on ne peut nettoyer tant de saletés avec des moyens superficiels et, surtout, avec l'aide de ceux qui salissent le plus. L'entrisme du HMS sera-t-il accepté ? Je crois que le pouvoir a une tout autre démarche : légaliste depuis les premières intentions de feu Gaïd Salah, c'est-à-dire agissant dans le cadre de ce qui existe comme institutions, il veut d'abord s'entourer de garanties constitutionnelles et politiques avant d'entamer toutes les réformes inscrites à son agenda. Ces élections sont un moyen de renforcer ses capacités d'action. La victoire du FLN et les scores appréciables des indépendants et du RND vont certainement permettre d'établir une majorité confortable pour un pouvoir qui attendait cette assise législative en vue d'approfondir ses réformes. Cette majorité n'a pas besoin des islamistes et principalement du HMS mais ce dernier, fidèle à sa politique d'entrisme, ne voudra pas quitter un exécutif où il a toujours occupé quelques strapontins. La majorité ne gagnerait rien à intégrer des islamistes recroquevillés sur leur idéologie intégriste et qui constitueront un boulet freinant certaines décisions qu'aura à prendre le pouvoir sur le plan de la modernisation de la société. Cette tendance à vouloir faire de la figuration n'est pas le propre des islamistes. Presque tous les partis se sont mouillés avec l'ancien régime. Même ceux de l'opposition démocratique n'ont pas pu s'empêcher de participer à des gouvernements Bouteflika. Seule l'extrême gauche est restée opposée à toute idée de faire partie de l'exécutif. C'est pour cette raison d'ailleurs qu'il y a une désaffection progressive vis-à-vis des partis et elle n'est pas propre aux forces de l'ancienne coalition ou aux islamistes. Rappelez-vous les débuts du Hirak : tous les représentants des partis étaient renvoyés. Je pense que l'entrée en force de jeunes diplômés venus d'horizons divers et notamment du milieu associatif va être la seule garantie du changement et il est fort probable que ce réservoir va constituer l'ébauche d'une nouvelle force politique sur laquelle va s'appuyer M. Tebboune pour mener ses politiques dans tous les domaines. On nous dit aussi que les élus nouveaux élus du FLN et du RND n'ont plus rien à voir avec les dinosaures à la «chkara» de l'ancienne législature. Dialoguer avec les hirakistes non affiliés au MAK et à Rachad Dans pas mal d'écrits, nous avons toujours souhaité que M. Tebboune ne fasse pas comme M. Kaïs Saïd en s'isolant dans son palais, sans force réelle de législation et soutiens politiques structurés. Nous avons toujours pensé que la stratégie d'un Macron, élu lui aussi sans parti mais qui a su moduler par la suite un mouvement le soutenant à l'Assemblée, était meilleure que celle du Président tunisien. Il faudra donc attendre les prochaines semaines pour connaître la suite du programme et les intentions réelles du chef de l'Etat. Quant à cette partie de l'opposition toujours favorable au Hirak, on ne peut pas la traiter indéfiniment comme on traite les MAK ou Rachad ! Il est impossible de faire admettre aux Algériens que les militants du Parti des travailleurs, du RCD, du FFS ou du MDS sont des terroristes ! Il y a une grande partie de hirakistes qui viennent également du mouvement associatif ou simplement de... la rue ! Un jour ou l'autre, il faudra pourtant les écouter. Un jour ou l'autre, l'intelligence du pouvoir sera de leur tendre la main pour isoler réellement ceux qu'ils considère comme irrécupérables et qu'il combat par tous les moyens. M. F.