Entretien r�alis� par Tarek Hafid Le professeur Yahia Zoubir, enseignant en relations internationales et directeur de recherche en g�opolitique � Euromed Management Marseille, voit en la vague de violences antiam�ricaine comme un �chec de la politique des Etats-Unis dans le monde arabe. Le Soir d�Alg�rie: Comment expliquez-vous la vague de violences � laquelle font face les Etats-Unis dans la quasi-totalit� des pays arabo-musulmans ? Le film islamophobe n'est-il qu�un simple �l�ment d�clencheur ? Yahia Zoubir : Nous pouvons dire qu�il y a un cumul de griefs et de reproches des peuples arabes et musulmans envers l�Occident depuis le 11 septembre 2001. Par la suite, il y a eu l�Afghanistan, l�invasion de l�Irak, l�offensive contre Ghaza, la pression contre l�Iran, l�affaire des caricatures ostentatoires� les Arabes et les musulmans estiment qu�ils sont devenus une cible et que leur religion fait l�objet d�injures continues. Puis, dans certains Etats, tels que l��gypte ou la Tunisie, l�opinion publique n�a pas oubli� que les pays occidentaux ont longtemps soutenu les dictatures en place. En �gypte, les Etats- Unis n�avaient-ils pas attendu jusqu�� la derni�re minute pour l�cher leur alli� Hosni Moubarak ? Donc, le film en lui-m�me ne repr�sente rien, ce n�est qu�une production de derni�re classe r�alis�e par des individus dans le but est d�attenter � l�image de l�Islam et de provoquer une vague de protestations qui feraient conna�tre leur film et par l� m�me confirmer le caract�re violent des musulmans. Le film est donc la goutte qui a fait d�border le vase. Mais les Etats-Unis ont particip� � l��mergence de la tendance islamiste dans plusieurs pays arabes. Pourtant, la r�action a �t� tr�s violente dans ces pays en particulier� Cette politique ne date pas d�aujourd�hui. Souvenez-vous durant les ann�es 1990, au plus fort de la crise en Alg�rie, il y a eu un d�bat sur la reconnaissance et le soutien de l�islamisme politique. Certains responsables am�ricains n��cartaient pas la possibilit� de voir des islamistes prendre le pouvoir en Alg�rie � condition que les int�r�ts des Etats-Unis soient pr�serv�s. A l��poque, ils estimaient que l�Arabie saoudite, le Qatar ou encore les Emirats arabes unis pouvaient servir de mod�le puisque ces Etats sont des alli�s des Etats-Unis. Donc, tant qu�ils ne s�opposent pas aux int�r�ts vitaux des Etats-Unis (protection d�Isra�l, acc�s aux ressources �nerg�tiques�). A partir du d�but des ann�es 2000, les n�oconservateurs am�ricains ont tent� de se d�barrasser des r�gimes nationalistes, c�est-�-dire ceux qui s�opposaient � l�h�g�monie des Etats-Unis et affichaient une attitude hostile � l��gard d�Isra�l. Le premier � en faire le prix fut l�Irak alors qu�il n�avait rien � voir avec les �v�nements du 11 septembre. L�av�nement de ce qui est appel� �Printemps arabe� a relanc� cette option � travers ce que j�appellerais des �islamistes domestiqu�s �. Des islamistes qui ne portent pas atteinte aux int�r�ts am�ricains. Aujourd�hui en �gypte, on essaie d�encadrer Morsi afin qu�il suive une politique mod�r�e ; ceci lui fut rappel� au cours de 20 minutes de conversation t�l�phonique par Barack Obama au lendemain de la r�volte des �meutes qui ont suivi l�apparition du film. Hillary Clinton a rappel� que les Etats-Unis s�opposeraient � la �tyrannie des foules�. D�s son �lection en 2009, le pr�sident Barack Obama avait mis en �uvre une politique de rapprochement avec les pays arabes. A quelques mois de la fin de son mandat, ce processus est-il un �chec ? C�est un �chec dans le sens o� les calculs se sont av�r�s faux. Il faut comprendre que s�il existe une d�mocratisation effective, ce processus pourrait finir par se retourner contre la politique am�ricaine dans la r�gion. En �gypte, le nouveau pouvoir ne peut pas avoir les m�mes positions que celles adopt�es par Moubarak. Le gouvernement islamiste, s�il est r�ellement ind�pendant, ne peut accepter un soutien � Isra�l par le biais d�une �paix� somme toute faite au d�triment des Palestiniens, plus grands perdants de ce processus. Les nouveaux r�gimes qui se mettent en place dans les pays arabes ne seront pas n�cessairement � la solde des Etats-Unis. Trop de d�mocratie et de libert� nuisent aux int�r�ts am�ricains� C�est possible. Prenons le cas de la Libye. Certains dirigeants vont �tre reconnaissants envers les Etats-Unis d�avoir renvers� le r�gime de Kadhafi tandis que d�autres, moins accommodants aux exigences des Occidentaux, souhaiteront donner la priorit� � la protection des int�r�ts nationaux de la Libye. Un ph�nom�ne identique s�est produit en Irak peu apr�s le renversement de Saddam Hussein en mars 2003. De nombreux responsables avaient applaudi la fin du r�gne de Saddam Hussein, mais ne sont pas pour autant devenus pro-am�ricains. La situation actuelle pourraitelle �tre fatale pour le candidat Barack Obama ? C�est fort probable. Depuis le discours prononc� au Caire le 4 juin 2009 jusqu�� aujourd�hui, l�anti-am�ricanisme ne s�est pas dissip� dans le monde arabo-musulman. C�est d�j� l� un �chec pour le candidat � l��lection pr�sidentielle. Le soutien aux partis de tendance islamiste dans les pays touch�s par le �Printemps arabe� s'est-il retourn� contre l'administration am�ricaine ? Est-ce une sorte d'effet boomerang ? Evidemment. Il suffit d��couter le discours d�Hillary Clinton qui disait � l�adresse de la rue arabe : nous vous avons aid�s et maintenant vous vous retournez contre nous. En fait, les Etats-Unis ont ouvert une bo�te de Pandore. La situation en Libye en est la parfaite illustration. Il me semble qu�il n�y a pas eu de r�flexion s�rieuse sur les cons�quences des r�voltes dans le monde arabe. Les Etats-Unis, tout comme la France et la Grande-Bretagne, n�ont pas permis l��ventualit� d�un processus de transition politique n�goci� avec les anciens r�gimes. L�Union africaine avait tent� de trouver une solution politique plut�t que de proc�der � une brusque chute et changement de r�gime par la violence. Le m�me sc�nario est en train de se produire actuellement en Syrie. Il me semble que les n�oconservateurs am�ricains soient derri�re ce plan, au m�me titre d�ailleurs que certaines personnalit�s fran�aises telles que Bernard Henry L�vy. Sur le plan du suivi quotidien de la situation s�curitaire, les Am�ricains ont-ils p�ch� par exc�s de confiance dans des pays comme la Libye et la Tunisie ? A mon avis, l�ambassadeur en Libye �tait une victime collat�rale. Il est probable que dans l�attaque de Benghazi, la v�ritable cible �tait une des quatre autres victimes, un agent du renseignement qui traquait la circulation des missiles qui ont disparu au lendemain de la chute de Kadhafi. Vous croyez � l�acte pr�m�dit� ? Il y a une part de co�ncidence mais aussi de planification. La date choisie (11 septembre) et l�appel de Zawahiri pour venger la mort Abou Yahia El Libi au mois de juin dernier laissent en tout cas supposer qu�il y a eu pr�m�ditation. Il est vrai que la r�action en Tunisie est plus �tonnante. Mais les islamistes ont �t� tellement r�prim�s du temps de Ben Ali qu�ils suivent aujourd�hui leur propre programme id�ologique. Eux aussi n�oublient pas non plus que les Etats-Unis, la France et tous les pays occidentaux avaient soutenu le r�gime de Ben Ali. L'Alg�rie n'a connu aucun mouvement de protestation de grande envergure. Existe-t-il une exception alg�rienne ? Sinc�rement, je ne crois pas � la notion d�exception alg�rienne. Souvenez-vous, m�me durant l�affaire des caricatures blasph�matoires, les Alg�riens n�avaient pas manifest� m�me s�ils ont condamn� la publication de telles caricatures. Les Alg�riens sont non seulement plus pr�occup�s par leur quotidien, mais ils semblent aussi faire preuve de plus de maturit�. A quoi servirait-il de se soulever contre un film qu�ils ne verront m�me pas ? De plus, l�Alg�rien a une mentalit� qui lui est propre et personne ne peut savoir quand et pourquoi il se soul�ve. Ce n�est pas un suiviste. L'Alg�rie, de par sa position politique, peut-elle tirer profit de cette situation, d'abord dans ses relations avec les Etats- Unis et ensuite dans un cadre plus global de lutte contre le terrorisme ? Aujourd�hui, l�Alg�rie donne l�image d�un pays stable, comparativement � ce qui se passe en Tunisie, en Libye ou encore au Sahel. En janvier 2011, on s�attendait � ce que le pays soit plong� dans la violence. Cela n�a pas �t� le cas. Aujourd�hui, on peut dire que les responsables alg�riens avaient raison de s�opposer � l�intervention en Libye, notamment sur la probl�matique de la circulation des armes. Le gouvernement alg�rien est aujourd�hui dans une situation beaucoup plus confortable gr�ce � cette �stabilit�. Mais encore une fois, ce peut n��tre l� qu�une simple illusion car nul ne sait ce qui peut se produire � l�avenir si un changement en profondeur n�est pas entrepris dans le pays.