Il y a longtemps, notre dignit� d'homme venait de notre travail. On nous avait appris � l'�cole que le premier sentiment moral, c'est le respect de la personne humaine. Aujourd'hui, malheureusement, on ne respecte plus ce principe. Au contraire, nous sommes impr�gn�s de ce caract�re immoral de traiter une personne comme une chose ; une fois �consum�e�, on s'en d�barrasse. Les travailleurs qui s'�chinaient aux labeurs � l'or�e de l'ind�pendance, aujourd'hui, � la retraite, m�ritent plus d'�gards, car m�me s'ils travaillaient par n�cessit� �conomique, beaucoup se sentaient utiles au pays qui avait besoin de t�tes et de bras pour relever les d�fis qui se pr�sentaient � lui. L'individualisme outrancier, longtemps d�cri� pour tourner le dos au plus faible, accumule le plus gros des richesses pour lui redistribuer le r�sidu. Sur un fond hideux du personnalisme f�roce, le travailleur des ann�es 1960 et 1970 est presque r�duit � la mendicit�. Dans cette perspective, il est des fois tentant de se replier sur le pass� pour trouver des rep�res. Chercher dans ce tourbillon du pr�sent ce qui m�rite d'�tre perp�tu�, ce qui donne leur valeur aux traditions de la temp�rance. Sous le r�gne actuel de la marchandisation du monde, les puissants ne s'int�ressent qu'en termes d'argent et de pouvoir, le prol�taire ne peut plus penser qu'en termes de survie. S'il y a 40 ans, le travailleur baignait dans le bonheur, l'�gocentrisme �tait un mot presque inconnu de son vocabulaire. Il pensait au bonheur d'autrui quelle que soit sa condition. Le fl�au du mis�rabilisme s�vissait malheureusement avec acuit� dans plusieurs pays de la r�gion. Par la gr�ce de Dieu, notre main-d'�uvre n'�tait pas vou�e � l'inculture et �cras�e sous le poids des contingences mat�rielles, nolens volens, elle menait une vie simple et heureuse. Elle n'avalait pas des poires d'angoisse. Les retrait�s des quinze glorieuses, celles qui correspondaient au d�collage �conomique et o�, � l'usine, le sid�rurgiste, le m�tallo, l'ajusteur... �tait aux commandes des machines industrielles et vibrait � leur son : au vrombissement des moteurs et au hurlement des souffleries. Dans l'administration, il n'�tait pas ce fonctionnaire v�tilleux et imp�rieux difficile � aborder. Dans les exploitations agricoles, qui furent cr��es gr�ce � des changements sociaux plus ou moins r�volutionnaires, l'agriculteur se levait t�t et se couchait tard. Les mains calleuses par la m�canisation, il contribua � jouer un r�le d�terminant dans l'accroissement des rendements agricoles. Il veillait au grain. Sur le chantier de construction ou de la plateforme de forage : le ma�on, le ferrailleur, le man�uvre, le sondeur, l'accrocheur en haut du derrick � 20 m�tres du sol, sous un soleil de plomb sur son front d�j� br�lant. Tous ces travailleurs ont su faire preuve de rectitude et de fid�lit� envers le serment de Novembre 54. Ils n'�taient pas enclins � l'incurie. Pour un fait v�ridique qui se perdra peut-�tre dans l'anecdote, nous d�dions une pens�e � notre ami Hocine K. qui nous a quitt�s il y a une ann�e et qui figurait parmi ces guerriers du labeur pour avoir trim� d�s le d�but de l'ann�e 1970 sur la plateforme de forage de Tiguentourine. Ce lieu, connu d�s lors du monde entier suite aux derniers �v�nements. Certaines puissances occidentales et m�me d'Asie reprochent � l'Alg�rie d'avoir agi en solo. Oubliant par l� que l'Alg�rie est un pays souverain, surtout quand il s'agit de d�fendre son int�grit� territoriale. Une fa�on de rappeler aux sourdes oreilles que cette intervention, m�me si des dommages collat�raux sont � d�plorer, constitue un principe de droit international. Apr�s plus de 40 ans de durs travaux, la situation dans laquelle se trouvait notre ami �Hocine� et tous les autres, ces vieux partisans du stakhanovisme, ces vieillards cacochymes au visage rid� encore en vie, n'�tait et n'est gu�re reluisante. La maigre pension per�ue les emp�che de mener une fin de vie d�cente, sachant bien qu'ils ne s'endorment pas dans les d�lices de Capoue. Jambes vacillantes, vue basse... conscients de ne servir plus � �rien�, ils sont n�anmoins les premiers � r�pondre aux appels de la nation quand il s'agit de faire leur devoir de citoyens. J'ai rencontr� dans un site consacr� � la philosophie et spiritualit� (Serge Car), un conte qui refl�te bien la pens�e des guerriers du labeur : �Le fakir et le Premier ministre �Toute la cour est l�, attendant l'arriv�e du roi, quand un fakir en haillons entre et va nonchalamment s'asseoir sur le tr�ne. Le Premier ministre n'en croit pas ses yeux. - Qui crois-tu �tre pour entrer ici et te conduire de cette mani�re ? Lui demande-t-il. Te prendrais-tu pour un ministre ? - Un ministre ? r�plique le fakir. Non, je suis bien plus que cela. - Tu ne peux pas �tre le Premier ministre, parce que le Premier ministre, c'est moi. Serais-tu le roi ? - Non pas le roi. Plus que cela. - L'empereur ? - Non encore plus ! - Le proph�te alors ? - Plus encore ! - Serais-tu Dieu ? - Non, je ne suis pas Dieu. C'est encore bien plus que cela. - Mais il n'y a rien au-dessus de Dieu ! - C'est exact, reprend le fakir. Je suis ce �Rien� (L'appel de l'�tre : Ramesh Balsekar)