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De la nécessité du recentrage du débat sur le gaz de schiste
Publié dans Le Soir d'Algérie le 20 - 04 - 2015

«Deux faiblesses qui s'appuient l'une à l'autre créent une force. Voilà pourquoi la moitié du monde, en s'appuyant contre l'autre moitié, se raffermit.»
Léonard de Vinci (1452-1519).
Cette contribution est née de la lecture d'une réflexion sur le thème «Natural Gas : The fracking fallacy», parue dans la revue Nature en décembre 2014, suivie de deux répliques en janvier intitulées «Shale gas : hardly a fallacy» et «Shale gas : Nuance in output prédictions». Preuve que les débats sur les hydrocarbures non conventionnels sont animés et loin d'être clos, y compris dans les pays où l'innovation technologique tient d'une ressource économique majeure. Par ailleurs, dans sa substance, cette réflexion se nourrit du vécu national qui révèle, on ne peut mieux, les velléités de pouvoir latentes et l'illusion d'un jdanovisme économique démesuré dans lequel sont compostés depuis des décennies tous les programmes de développement, pétrifiant ainsi toute forme d'émergence d'intellect critique positif, plus particulièrement en cette période de recul brutal de la rente pétrolière. C'est à croire qu'on verse dans la cécité et la surdité pour ignorer les préceptes les plus élémentaires qui clament haut et fort les valeurs forces de la réussite : le travail, l'intelligence, l'organisation et le partage du savoir !
La sagesse retenue, si c'en est une, est d'écouter les détenteurs de la précellence sortis tout droit de l'école où le fait de dire suffit à satisfaire ceux qui attendent l'acte de faire. Evidemment, le temps est loin où la parole engageait jusqu'à l'honneur d'un individu, c'est plutôt l'ère du discours révulsif et modulable en fonction de l'auditoire et des circonstances. Pour le moins perplexe et inquiétante, cette situation de la décision volatile et inaccomplie nourrit inexorablement le lit de la spéculation et de la prolixité de conjectures cataclysmiques profilant de sombres horizons aux jeunes générations et déteignant négativement sur la vie et le comportement de nos concitoyens innocents, avec entre autres proéminences, la tournure prise par la question du gaz de schiste.
Revenons donc à cette ressource inerme enfouie depuis des millions d'années sous nos pieds jusqu'à ce que ses émanations — non celles de son chimisme intrinsèque mais la volupté du smog d'inférences de l'écologisme outrancier – nous inondent et bouleversent nos fibres sensitives et que les conjectures et les élucubrations distillées goulûment par nos chers experts n'embrument un peu plus les esprits les plus humbles et ne provoquent une éclampsie généralisée difficile à stabiliser. Une guerre de positions s'en est alors suivie : ou on est pour ou on est contre, les positions médianes raisonnées et conciliantes ne semblent pas avoir de place dans cette vision binaire.
Ceci étant, la réflexion sus-citée et ses répliques rédigées par des auteurs avisés illustrent fort bien la vivacité et la controverse des débats aux Etats-Unis, initiateurs du développement du gaz de schiste, non sur l'opportunité de continuer à l'exploiter mais sur le biais des prévisions dans l'évaluation des réserves et la faible performance de la fracturation lors du processus d'extraction. Ils renseignent aussi sur le caractère paradoxal de cette ressource qui est à la fois illusoire, au vu des écarts importants entre les prévisions des réserves potentielles et les réserves prouvées par l'exploration, doublés des contraintes environnementales de la ressource, et prometteur, par sa qualité de nouveau levier énergétique dans l'économie américaine. La controverse est également alimentée par la confusion née d'une distinction entre hydrocarbures conventionnels et non conventionnels, elle-même issue d'une catégorisation arbitraire en rapport avec l'habitus géologique et, par conséquent, avec les moyens techniques et méthodes à mettre en œuvre pour sa récupération. Mais qu'y a-t-il de conventionnel ou de non conventionnel dans n'importe quelle ressource naturelle extraite des entrailles de la Terre ? Ce n'est qu'une question de typologie et de classification établies par l'Homme lui-même en fonction de ses standards et de ses préoccupations économiques et environnementales, ou encore, de ce qui s'écarte quelque peu de ses habitudes et routines ? Dès lors, le qualificatif «non conventionnel» porte en lui-même une charge subjective, voire péjorative et instable dans le temps, impliquant une perception négative et une forme de rejet arbitraire de ce qu'il qualifie. En fait, conventionnels ou non, les hydrocarbures proviennent tous des entrailles de la Terre et sont contenus dans des roches. La différence vient des propriétés pétrophysiques de ces dernières et du fait que sous l'action de forces motrices les uns ont quitté la roche mère où ils se sont formés pour être piégés dans une roche réservoir poreuse et perméable, prêts à être pompés par simple forage vertical, tandis que les autres restent confinés dans la roche mère, relativement poreuse mais peu perméable, exigeant des moyens et des méthodes d'extraction plus complexes et plus coûteuses. Dès lors, le développement de toute forme de ressource énergétique comporte des risques et des formes de pollution, le tout est d'en définir les marges admissibles, d'identifier les phases à risque dans les séquences du processus de développement et d'en estimer l'ampleur afin de les limiter et/ou de les circonscrire, et les traiter en cas de survenance. Sinon, déjà, le fait d'extraire abusivement une ressource est en lui-même une atteinte à l'intégrité environnementale et physique de la Terre, à ses équilibres sous toutes leurs formes. L'exploitation du gaz de schiste ne constitue qu'un recours à une autre forme de ressource naturelle, à l'instar de tant d'autres, en stock dans les entrailles de la Terre dans des conditions géologiques plus complexes, à des profondeurs plus ou moins grandes, par des procédés appropriés perçus a priori comme agressifs et extrêmes pour l'heure actuelle. Mais en réalité, il ne s'agit que du prolongement des techniques utilisées dans le développement des hydrocarbures conventionnels, adaptées aux conditions de gisement de cette ressource. Seuls les déterminants de la rentabilité économique et de l'efficacité énergétique de la nouvelle ressource face à d'autres alternatives existantes ou à acquérir sur le marché international préfigurent la décision de recourir ou non à cette ressource. Le reste relève de la littérature, de la science et de la conviction des investisseurs qui doivent consentir d'énormes efforts à l'endroit des populations et, depuis peu, de l'environnement à travers ce qu'on a convenu d'appeler la responsabilité sociale et environnementale de l'entreprise mais aussi de l'Etat. Telle est donc la problématique duale de la question du gaz de schiste, prise en tenailles entre les tenants de son développement comme défi énergétique majeur et les adeptes d'un écologisme effréné s'y opposant foncièrement au nom d'impacts jugés cataclysmiques. Dès lors, les conséquences de l'exploitation du gaz de schiste sont qualifiées de révolutionnaires par les uns et de désastreuses par les autres alors que la réalité se trouve sans nul doute quelque part entre ces deux extrêmes par l'explicitation de marges admissibles en termes de risques et d'identification de périmètres à interdire à toute opération de ce type s'il y a lieu. En effet, cette énergie «non conventionnelle» peut générer d'importants revenus et, lorsqu'elle est bien produite, ses effets pervers sur l'environnement peuvent être réduits, relativement aux autres énergies fossiles. Il est aussi vrai qu'alternativement, elle semble constituer un frein à l'émergence des énergies renouvelables qui relèvent d'un autre enjeu économique à la fois pour les nouvelles technologies et le secteur énergétique et, mal produite, elle est susceptible de libérer des substances toxiques pour l'hydrosphère, l'atmosphère, et partant, la biosphère ! Ainsi se présente le dilemme de l'équation du développement du gaz de schiste, non seulement dans notre pays mais à l'échelle internationale ; toutefois, une solution intermédiaire combinant revenus et propreté est envisageable avec notamment la mise en place d'instances de contrôle et de régulation indépendantes tout au long du processus de production, de traitement et de transport de cette ressource tant décriée. La question-clé est donc de savoir comment la produire de manière intelligente et raisonnée en réduisant autant que faire se peut les impacts environnementaux à toutes les échelles, les avantages économiques étant maintenant certains ? A cette question principale se greffent d'autres questions qui nécessitent des réponses et qui sont relatives à la rentabilité de cette nouvelle industrie, aux moyens d'exploration et d'estimation des réserves par une meilleure identification des formations productives et de leurs propriétés et aux marges de risque d'atteinte à l'environnement ? Quels horizons aquifères de la plateforme saharienne peuvent être exploités à l'usage de l'extraction de la ressource et quels sont ceux qui doivent être préservés pour le futur ? Là sont les questions pertinentes dont on doit débattre et auxquelles on doit apporter des réponses scientifiquement fondées à même d'estomper les inquiétudes des citoyens pour ne pas rester cramponnés à des considérations superficielles, à des guerres de tranchées et à démarches approximatives.
Ces considérations montrent combien la question des hydrocarbures non conventionnels est sérieuse et importante en ce sens :
1- qu'elle participe foncièrement à l'avenir énergétique de notre pays à travers la stratégie alternative qu'elle peut offrir avec le déclin des hydrocarbures conventionnels et les retards pris par l'essor des alternatives renouvelables ;
2- qu'elle engage un challenge environnemental de taille auquel il va falloir faire face. De ce fait, elle ne peut faire l'objet de débats superficiels mal documentés et mal intentionnés comme elle ne peut être au centre d'une guerre de positions. Elle nécessite explication et compréhension sur la base d'une argumentation scientifiquement fondée et acceptée par toutes les parties prenantes.
Une confusion terminologique porteuse d'une perception négative du gaz de schiste
Ces derniers temps, le paysage médiatique national s'est emballé avec d'intenses débats sur le gaz de schiste, seulement le terme el-ghaz essakhriy utilisé dans les médias pour le désigner en langue arabe paraît impropre et approximatif quand bien même il semble de plus en plus consacré. La traduction littérale en français donnerait un curieux agglomérat de «gaz rocheux» avec une contradiction intrinsèque de taille, le gaz est à l'état gazeux comme état de la matière, il ne peut être qualifié par un terme incarnant l'état solide auquel renvoie le terme essakhriy, rocheux, même si, sous certaines conditions de pression et de température, un corps peut épouser divers états ! Ce qui n'est pas le cas de la ressource dont il s'agit ici. Les approximations commencent donc à ce niveau ! Nommons les choses comme il se doit ou laissons-les dans l'anonymat ou l'innommable au risque de les affubler d'une charge péjorative ou d'un attribut répulsif ! Les dictionnaires de la langue arabe ne sont pas prolifiques en matière de terminologie scientifique dans le domaine de la géologie, surtout quand il s'agit de néologismes relatifs à des concepts des plus modernes. Pour désigner le schiste, les dictionnaires bilingues (français-arabe et anglais-arabe) que nous avons consultés donnent les termes nadhid, ttin safhiy, tafl. Le terme nadhid est le plus récurrent dans ces dictionnaires et semble être le terme approprié tandis que les autres renvoient à des noms communs d'argiles. A la limite, les composés ghaz essakhr ou ghaz ttin essafhiy, ou encore, ghaz ennadhid, paraissent plus corrects et acceptables aux plans syntaxique et sémantique que l'oxymore el ghaz essakhriy. A défaut d'avoir un terme exact traduisant le vocable schiste, encore désigné par le terme essidjil en arabe, on n'a pas trouvé mieux que d'user d'un terme approximatif. Comme si le gaz naturel dit conventionnel n'était pas extrait d'une roche pour qualifier le non conventionnel de rocheux ! Dès lors, la spéculation fait le reste : tout le monde traite du gaz de schiste au nom d'un écologisme sans limites et d'une ardeur subite et inconditionnelle à défendre l'environnement !
Gaz de schiste : du gaz naturel, contenu dans les entrailles de la Terre dans des conditions complexes, qui pénètre de plus en plus le marché énergétique
A l'instar des autres gaz dits non conventionnels, le gaz de schiste est un gaz naturel piégé dans des formations géologiques de faible perméabilité et difficiles d'accès. En fait, il est resté emprisonné dans le matériau géologique, la roche mère, où il s'est formé il y a des millions d'années dans des interstices ou pores qui communiquent peu entre eux. D'où la nécessité pour son extraction de mettre en œuvre des techniques spécifiques permettant l'amélioration de la communicabilité entre pores pour le faire sortir : on développe ainsi de manière hydraulique une meilleure perméabilité de la formation géologique. Au total, l'extraction du gaz de schiste nécessite à la fois d'effectuer des forages verticaux, horizontaux et d'user d'une technique de fracturation de la roche par injection à haute pression d'un mélange d'eau, de sable et de produits chimiques. En fait, le gaz de schiste n'est pas le seul gaz non conventionnel, il en existe une panoplie dont l'extraction nécessite, à peu près, les mêmes techniques (forage dirigé et fracturation), comme le gaz de réservoir compact, le gaz de charbon et les clathrates. Faiblement exploitées jusqu'à un passé récent pour des raisons techniques et de rentabilité économique, les réserves de gaz de schiste sont aujourd'hui convoitées par les grands groupes énergétiques. En effet, les coûts d'exploitation ont été réduits de moitié depuis quelques années grâce aux avancées technologiques et à des programmes d'exploration et de développement de plus en plus ambitieux lancés dans différents pays réputés en posséder des réserves importantes. L'essor du gaz et pétrole de schiste est tiré essentiellement par les Etats-Unis qui augmentent de plus en plus la part de cette ressource dans leur production énergétique, surclassant ainsi leurs rivaux et limitant leur dépendance des importations.
Le gaz de schiste ou la longue expérience américaine : une vieille histoire ancrée dans l'industrie des hydrocarbures à la recherche d'un faire-valoir en Algérie
L'intérêt pour le gaz de schiste n'est pas nouveau. Sa mise à l'écart temporaire est due à des raisons économiques et techniques d'accès à cette ressource piégée dans des conditions géologiques complexes, la priorité ayant été accordée aux hydrocarbures conventionnels dont l'accès, plus aisé, a permis une meilleure rentabilité économique.
L'exploration et le développement du gaz de schiste a débuté aux Etats-Unis : la première production de gaz de schiste remonte à 1821 à Fredonia (New York) et le premier forage horizontal a été réalisé dans les années 1930 tandis que les travaux de fracturation dans un puits eurent lieu en 1947. Et depuis, plusieurs gisements ont été découverts et mis en exploitation. Durant la décennie 1970, le gouvernement américain consent de gros investissements dans les recherches géologiques et géochimiques pour mieux cerner la problématique du gaz de schiste et multiplie sa production par un facteur 7 entre 1979 et 1999, mais le gaz de schiste ne participe que pour 1% dans la production totale de gaz naturel américain. En 2006, la production atteint 30 milliards de m3, soit près de 6% de la production de gaz naturel pour représenter 20% en 2010. Cette forte évolution est également perceptible dans le nombre de forages réalisés pour l'extraction du gaz de schiste aux Etats-Unis : d'environ 15 000 puits en 2005, on est passé à près de 500 000 puits en 2011 et certainement davantage aujourd'hui avec près de 1 250 sites en production. Il est prévu qu'en 2035, près de 46% de la production américaine de gaz naturel proviendrait du gaz de schiste.
Dès lors, ce dernier constitue une composante majeure dans le secteur gazier non conventionnel avec le gaz de houille ou coal bed gas et le gaz de réservoir compact ou tight sand gas, devenant ainsi un enjeu stratégique pour l'avenir énergétique du pays. L'essor de cette nouvelle industrie a non seulement stimulé la production américaine en gaz secs qui s'est accrue de plus de 27% entre 2005 et 2012, mais il a enthousiasmé d'autres pays comme la Chine, le Canada, le Mexique, l'Argentine qui ont engagé des programmes ambitieux en recherche et développement du gaz de schiste. L'intérêt accru pour le gaz naturel en général, et les gaz non conventionnels en particulier, a été accompagné par une baisse progressive du prix du gaz qui chute de plus de 70% entre 2008 et 2012 passant de 8.86 $/MMBtu à 2.50 $/MMBtu pour remonter à 4.50 $/MMBtu en 2014, les volumes extraits devenant plus importants et les techniques mieux maîtrisées. Ces tendances baissières ont jugulé la pénétration du gaz de schiste dans les secteurs de l'économie américaine comme le transport, l'industrie et l'électricité.
Partant de là, et forte de ces expériences, l'Algérie ne peut que s'enorgueillir de posséder d'importantes réserves de cette ressource économiquement et politiquement stratégique et d'entrevoir, en s'entourant d'un principe de précaution, une nouvelle stratégie énergétique intégrant cette composante. Emargeant à concurrence de 10% environ dans les réserves mondiales récupérables, l'Algérie ne peut laisser échapper cette opportunité économique qui doit être envisagée comme alternative porteuse d'emplois, de créations d'entreprises et de partenariat public-privé. En effet, les réserves algériennes en gaz de schiste sont de l'ordre de 40 000 milliards de mètres cubes, dont 21 000 milliards de mètres cubes sont récupérables et exploitables, ce qui octroie une autonomie de plusieurs dizaines d'années pour la consommation interne en gaz naturel, la production d'énergie électrique et pourquoi pas l'exportation. Le tout est d'opter pour des technologies et des processus de production et de transformation les moins polluants sans se laisser entraîner dans des contrats asymétriques dominés par des leaders mondiaux qui négocient tout en leur faveur — les majors comme on les désigne – faisant fi des contraintes environnementales en raison de leur position de domination. L'Algérie peut compter sur le développement progressif de cette ressource après une étape d'estimation de ses potentialités, la définition d'une stratégie appropriée limitant au mieux toutes formes d'impacts sur la santé humaine et l'environnement et la formation des techniciens spécialisés dans le domaine. Cet axe majeur mérite une réflexion approfondie. Si on venait à dire que gaz et pétrole conventionnels sont des industries toutes aussi polluantes et toxiques que l'industrie du gaz et pétrole de schiste, irait-on jusqu'à arrêter leur exploration et leur exploitation ? Irait-on jusqu'à fermer la manne de la rente sur laquelle reposent grandement de nombreux systèmes politico-économiques et systèmes rentiers et distributifs à travers le monde, dont le nôtre ? Que non, la rente que génèrent ces industries polluantes à souhait continue de nourrir toutes formes d'investissements pour ces nations et à amplifier chaque jour un peu plus l'accumulation de la richesse et le boom des géants spécialisés dans l'exploration, l'exploitation et le développement de technologies toujours plus performantes. A ce niveau, on doit répondre à une question fondamentale : sommes-nous maîtres de notre destin dans le processus de développement du gaz de schiste ou devons-on rester esclaves de la dépendance et de l'assistance des majors ?
La fracturation hydraulique : l'acte «répugnant» du développement du gaz de schiste au centre des polémiques
Avant qu'elle ne constitue de nos jours un objet de polémique, la fracturation hydraulique et l'injection d'additifs chimiques divers est en elle-même une vieille technique appliquée pour améliorer le taux de récupération des hydrocarbures conventionnels (récupération tertiaire). La différence se situe au niveau de la diversité des contextes géologiques et surtout des propriétés géo-mécaniques des roches relativement aux roches réservoirs des hydrocarbures conventionnels. Cette complexité naturelle appelle l'utilisation de techniques spécifiques pour faciliter l'accessibilité à cette ressource : il faut non seulement forer mais fissurer la roche.
Une fois le forage vertical accompli pour accéder à la formation cible et le forage horizontal exécuté pour pénétrer au mieux dans le corps de cette formation, il faut établir une interconnexion entre les pores de la roche, ces micro-poches remplies de gaz ou pétrole de schiste. C'est là qu'intervient le processus de fracturation. La technique consiste à injecter par le puits horizontal des milliers de m3 d'eau sous haute pression pouvant aller jusqu'à 600 bars ou plus selon la compacité et les propriétés géo-mécaniques de la roche et la profondeur de la formation-cible. L'eau est additionnée de sable, qui va maintenir ouvertes les fissures une fois l'injection arrêtée, et de produits chimiques (bactéricides, anticorrosifs, acides) capables de lisser les parois de la roche pour fluidifier la circulation du gaz. Puis, on pompe l'eau pour laisser la voie libre au gaz qui remonte par le tube de forage jusqu'à la surface. Le gaz est récupéré dans des réservoirs, raffiné et évacué par gazoduc vers les ports, lieux de stockage et centres de consommation.
La fracturation est donc un processus hydraulique et mécanique qui rompt l'intégrité de la formation géologique cible et qui permet l'amélioration de ses propriétés en vue de faciliter la venue du gaz ou pétrole de schiste vers la surface. Il est évident que le fluide utilisé, chargé de différents additifs et pris à l'état brut au retour, peut constituer un effluent à risque pour la santé humaine et les eaux souterraines et de surface. Il faut donc trouver des moyens d'élimination soit par le traitement et la récupération de l'eau, soit par réinjection dans les formations dont le gaz ou le pétrole ont été épuisés. Là sont les aspects qui font du forage horizontal et de la fracturation deux facteurs qui augmentent la charge psychologique des populations résidant dans les périmètres à fort potentiel en hydrocarbures non conventionnels. Mais dans les faits, tous les types d'énergie ont leurs aspects positifs et leurs effets pervers.
A proprement parler, aucune ressource énergétique n'est strictement propre et la chimie enveloppe notre quotidien
Gaz de schiste et autres hydrocarbures avec tout ce que sous-entend leur arsenal d'extraction, de transport, de transformation et de consommation constituent en fait une même chaîne susceptible d'agresser l'intégrité de l'environnement du système Terre au même titre que les quantités de déchets que rejette le commun des citoyens dans tous les coins et recoins de notre pays ! Y prête-t-on attention ? Que non ! Combien de tonnes de gaz toxiques sont émises quotidiennement par les grands centres d'extraction, de transformation et d'exportation des produits du pétrole et autres phosphates et engrais implantés sur le territoire national ? Combien de millions de m3 d'eaux usées non traitées, industrielles et domestiques sont rejetées quotidiennement dans nos cours d'eaux et à la mer ? Combien de tonnes de résidus de mines sont abandonnés sur place défigurant les paysages et polluant l'environnement ? Qui s'en inquiète ? Ces rejets font déjà autant de dégâts, si ce n'est plus, sur le milieu naturel (atmosphère, hydrosphère et biosphère) que ne le ferait la fracturation hydraulique et ses fluides sur les formations aquifères, l'air et la santé humaine ! Les chimismes, avec des formules diverses et plus ou moins complexes, sont dans nos cuisines, dans nos salles de bains, dans nos jardins, dans nos vêtements, nos chaussures, les moteurs de nos voitures, nos stylos, nos montres, nos télévisions, nos ordinateurs, etc.
Réputé pour être un gaz à effet de serre, le méthane, susceptible de s'échapper des puits d'hydrocarbures non conventionnels, est produit dans les écuries et les champs par les bêtes qui nous fournissent le lait, les yaourts, les fromages et la viande que nous consommons chaque jour, dans les décharges et les déchets, dans les marécages et les océans, et bien entendu, par les biocarburants. Combien de milliers d'hectares de forêts sont consumés par les incendies chaque année, combien de milliers d'hectares de terres agricoles ont été envahis par le béton dans nos plaines les plus fertiles, à l'est, à l'ouest et au centre du vaste territoire algérien, sans qu'aucune voix se soit élevée ? Et pourtant, ces faits constituent des atteintes graves et quasi quotidiennes aux équilibres environnementaux et à l'économie du pays qui ne sont jamais quantifiées ou contestées.
Si on y regarde d'assez près et pris dans cette équation globale à plusieurs variables de la lente et progressive dégradation du système Terre, le développement des hydrocarbures non conventionnels relève foncièrement du même niveau d'atteinte et de risque pour les composantes de ce système et doit être appréhendé de la même manière, sans trop de passion ni de vision cataclysmique.
Le tout étant d'étudier de manière réfléchie et scientifique l'équilibre entre le profit qui peut en être tiré et le prix à payer pour limiter les impacts environnementaux et d'opter pour une extraction la plus propre possible tout en définissant au préalable les périmètres où elle peut être pratiquée. Par ailleurs, cette pratique doit être opérée dans le cadre d'une loi explicite en mesure de définir les normes en vigueur dans le secteur que ce soit en termes de techniques et additifs admissibles, de précautions et de normes environnementales à respecter, et bien entendu, sous l'observation d'autorités ou agences de régulation indépendantes. De la sorte, la consonance hideuse de la fracturation hydraulique peut être tempérée et acceptée avec moins de passion si on venait à ramener à une plus juste perception ses effets pervers qu'on peut toujours réduire à des marges acceptables comme pour toutes les autres formes d'énergie, le risque zéro étant de l'utopie. Ainsi, on fera déclasser cette perception d'une qualification à caractère psychologique confuse qui, du reste, constitue un fourre-tout, à une qualification à caractère physico-chimique contrôlé à faible risque mais non nul, bien entendu, les règles en vigueur en matière de préservation de l'intégrité des puits étant observées au mieux et les produits et technologies utilisés répondant aux standards actuels en la matière. Le fait de louer l'énergie solaire comme une alternative d'avenir masque ses effets pervers en amont qui sont tout aussi sévères pour l'homme et la nature que le gaz de schiste et l'énergie nucléaire. En effet, l'industrie du silicium à la base des nouvelles technologies est aussi néfaste pour le système Terre dans toutes ses composantes à l'analyse des maillons de la chaîne de production des composants électroniques à base de silicium que ce soit au niveau des carrières d'extraction de sable (pollution atmosphérique, atteintes au paysage, érosion et impact sur la santé humaine) ou de l'étape de production qui nécessite différents produits chimiques (rejets d'effluents chimiques toxiques, de gaz dopants, etc.) conjugués à la consommation d'importantes quantités d'eau et d'énergie. On voit donc que toutes les industries génèrent des gains mais au prix de la dégradation d'une partie de l'environnement. Développer une nouvelle ressource énergétique appelle des principes de précaution et un élan de recherche permanent pour améliorer son efficacité et réduire à chaque fois un peu plus ses impacts environnementaux dans toutes les étapes de sa production.
A. I. Z.
(*) Géophysicien, département STU, université Mouloud-Mammeri de Tizi Ouzou.


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