[email protected] Banlieue d'Alger. Il est 16h. Les voitures roulent pare-choc contre pare-choc. Les klaxons fusent de partout. La circulation s'arrête. Djahid s'énerve. Il doit récupérer son voisin et la route est encore longue jusqu'à Tipasa. Au loin, il aperçoit un attroupement, puis une ambulance. Il sort de son véhicule, se dirige vers tous ces gens qui, le visage pâle, se lamentent sur le sort de ce jeune homme allongé par terre. Djahid se faufile entre la foule, il parvient difficilement à se frayer un chemin et arrive à proximité de la victime. Il se tape la tête de ses deux mains, titube, il est vite rattrapé par un homme. - C'est un parent à vous ? - Mon voisin que je suis venu récupérer. On devait rentrer ensemble. Mais que s'est-il passé ? - On dit qu'un pan de mur est tombé, il a reçu un bloc sur la tête. - Mon Dieu, je n'arrive pas à y croire. Un jeune homme, à la fleur de l'âge, baraqué, une santé de fer. - Il paraît que c'est un étudiant. - Un matheux brillant. Il ne lui restait qu'une année et il aurait terminé ses études. Un jeune homme tout ce qu'il y a de studieux, d'intelligent et de brave. - Il n'est pas mort, il respire encore. J'espère qu'il s'en sortira. Djahid, tétanisé, a du mal à contenir ses larmes. «Je n'en reviens pas. Un colosse pareil. Et dire que son père m'a appelé il y a à peine une heure pour me demander si je pouvais le déposer à la maison. J'ai confirmé dans les cinq minutes qui ont suivi avec Farid. Il était content. Je lui avais épargné le calvaire des transports en commun. Le malheureux m'a aidé lors de mon déménagement. Et il n'a ménagé aucun effort. Cela s'est passé hier. Et voilà qu'aujourd'hui il est entre la vie et la mort. Je pense surtout à sa pauvre mère. Son fils unique. Je ne sais pas comment annoncer ça à son père.» Il a fallu à Djahid une tonne de courage pour prévenir sa famille. «Je n'allais tout de même pas appeler son papa. C'était au-dessus de mes forces. Heureusement je possédais le numéro de téléphone d'un de ses cousins qui habite Alger.» La nouvelle est tombée tel un couperet, puis a fait le tour de la famille. Farid, sur son lit d'hôpital, luttait contre la mort. Les médecins, eux, n'étaient pas très optimistes et cachaient difficilement leur inquiétude. Collègues de promo, voisins, parents, tous étaient venus faire leurs adieux à celui qu'ils affectionnaient tant. Farid décédera quelques heures plus tard, et à deux jours du mois sacré de Ramadhan. Un étudiant, les yeux rougis, dira entre deux sanglots : «Il y a à peine deux jours, en nous quittant, il m'avait lancé : «Adieu, j'ai comme le pressentiment qu'on ne se reverra plus.» J'ai répondu en riant : «Mais qu'est-ce que tu racontes, on a encore une année à passer ensemble.» Ses paroles résonnent encore dans mes oreilles.