Un pr�c�dent p�riple s�est arr�t�, sur l�autre versant du Djurdjura, � Akbou. Les raisons de cette suspension du reportage, je les ai donn�es lors de la publication de la premi�re s�rie. Il me fallait cependant aller sur l�autre versant, les autres versants, puisque la Kabylie, ce ne sont pas seulement les deux versants du Djurdjura, mais aussi ceux des Babors et de Bibans. Changement de d�cor, donc, mais aussi changement de saison. Si j�ai parcouru les routes du Djurdjura en roulant sur un tapis de neige, j�ai pris les routes en lacets du Djurdjura, des Babors et des Bibans dans la canicule. Une �vidence : la Kabylie est plus peupl�e en dehors de l�hiver. L��t� la voit multiplier la population. Depuis la derni�re fois, de l�eau s�est �coul�e sous les ponts. Les reportages de la premi�re s�rie ont �t� regroup�s dans un livre ( Kabylie Story, Casbah- Le Soir d�Alg�rie)que j�ai eu le bonheur d�aller pr�senter � Alger et dans des libraires de Kabylie. Cela a donn�, chaque fois, lieu � des discussions souvent anim�es sur les choix de lieux que j�ai d� faire. J�ai beau me justifier, avec toujours les m�mes arguments, on n�accepte pas que je rate tel village ou que je ne m�attarde pas davantage dans tel autre. Les critiques que j�ai essuy�es la premi�re fois me seront, je m�y attends, une fois de plus adress�es. Je r�ponds d�ores et d�j� par les m�mes explications. Comme en d�cembre et janvier dernier, je n�ai visit� qu�une petite dizaine de villages dans le Djurdjura, les Bibans et les Babors car je n�ai pu visiter que ceux-l�. Comme autrefois, on va me dire : pourquoi pr�cis�ment ceux-l� ? Je r�ponds tout simplement : pourquoi pas ceux-l� ? D�abord, je ne pouvais faire plus. De surcro�t, et c�est peut-�tre l�une des le�ons que j�ai tir�es de la premi�re s�rie, je me suis efforc� de rendre, de la r�alit� de chaque lieu, ville ou village, que j�ai visit� ce qui pourrait �tre extensible � tous les autres lieux. J�ai cherch�, en quelque sorte, l�universalit� kabyle dans chaque sp�cificit� villageoise. Les discussions suscit�es par mes premiers reportages m�ont conduit � voir plus nettement non point ce que je cherche � travers ces p�r�grinations, mais peut-�tre pourquoi je le cherche. Quand je signais Kabylie Story � la librairie Cheikh de Tizi-Ouzou, un jeune s�est avanc� vers moi. Il s�est pr�sent� comme �tudiant en vue de devenir ing�nieur et m�a pos� l��ternelle question de savoir pourquoi je n�ai pas fait une halte dans son village. Il me dit, en outre, que ce qui motive sa demande, ce n�est point son appartenance � ce village, mais plut�t la r�alit� que ce villagel� est incontournable dans un p�riple comme celui que j�envisageais d�j� de poursuivre. En guise de r�ponse � sa conviction, je n�avais que mon embarras. Puis, il dit souhaiter m�accompagner dans mes prochains voyages, convaincu que ce travail est d�une utilit� d�autant plus grande que �dans cinquante ans, on se souviendra peut-�tre de ce qu��tait la Kabylie d�avant, et de toute �ternit�, en se basant sur cette image-l��. Mon interlocuteur venait de donner un sens suppl�mentaire, et peut-�tre le sens profond, � ce que je ne consid�rais jusque-l� que comme une recherche de journaliste. Je l�ai pr�cis� � l�envi dans les pr�sentations ant�rieures, ma seule ambition, originelle, �tait de capter l�air du temps et de voir, � travers ce pr�sent confort� et contredit constamment par le pass�, en quoi persiste la singularit� kabyle. Je n�avais pas vu que les mutations, � la fois sociologiques et physiques, qui sont en train de transformer rapidement et brutalement la Kabylie, vont bient�t rel�guer les solidarit�s traditionnelles, l�esprit de r�sistance mill�naire, l�habitat au stade de curiosit� historique ou m�me folklorique. C�est d�j�, en partie, le cas, si on interpr�tait comme elles le doivent un certain nombre de d�clarations politiques visant � ostraciser la Kabylie en d�valorisant sa recherche identitaire pugnace en enfermement. C�est aussi parce qu�ils ont compris cet enjeu que des dizaines d�associations, dans tous les villages de Kabylie, essayent de concilier le patrimoine kabyle et les faits culturels anciens avec les adaptations et les changements contemporains. Comme r�ponse � la vaine tentative d�uniformisation de l�Alg�rie, de standardisation de l�Alg�rien dans un mod�le nationaliste rigidifi� par les �constantes�, ces associations s�efforcent de sauvegarder un patrimoine prodigieux de litt�rature orale, de modalit�s des expressions de la culture, de croyances, de religions, de magie et de sp�cificit�s kabyles dont l�ethnologue et Kabyle d�adoption Camille Lacoste-Dujardin dit qu�ils sont constitu�s de �mythologie et les mythes pr�islamiques� ainsi que de �la sp�cificit� de l�islam kabyle�. Ayant parcouru, cette fois-ci, les villages et les villes de l�autre Kabylie, je n�ai trouv� aucune rupture fondamentale dans le continuum kabyle. D�une Kabylie � l�autre, et en d�pit des barri�res dress�es par les montagnes et l�histoire locale qui a fa�onn� d�autres singularit�s dans la singularit�, la Kabylie reste un ensemble homog�ne dont les caract�ristiques n�ont pas �t� alt�r�es. Il n�y a pas de Kabylie plus kabyle ou moins kabyle qu�une autre. Derni�re chose � pr�ciser, et c�est une pr�cision qui me semble importante pour le lecteur. La premi�re s�rie, je l�ai r�dig� au jour le jour. Tous les matins, le lecteur lisait le compte-rendu de mon reportage fait la veille ou l�avant-veille. C��taient des articles �crits � chaud. La s�rie que vous allez lire d�sormais a connu un autre traitement. Les reportages ont �t� r�alis�s sur le terrain au mois d�ao�t dernier. Pour des raisons de programmation r�dactionnelle, ils ne pouvaient �tre publi�s avant aujourd�hui. Ce recul, on va s�rement le sentir dans le contenu. Je n�ai pas, comme la premi�re fois, abord� la question politique. C�est un choix. Mais cela ne m�a pas emp�ch� d�en discuter beaucoup avec mes interlocteurs. Nous sommes souvent tomb�s d�accord sur ce que les �volutions en cours ne sont pas forc�ment des avanc�es. Demain : 2. Nator ou comment habiter un nuage