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KABYLIE STORY II
9. Ighil Ali, comme un po�me de Jean Amrouche Par Arezki Metref
Publié dans Le Soir d'Algérie le 25 - 10 - 2005

Ce matin, j�ai rendez-vous avec Malek Boudjem�a � la librairie Haroun d�Akbou. G�rant d�une bo�te d�informatique, il est par ailleurs tr�s impliqu� dans la vie associative de la r�gion. Il m�a promis qu�� d�faut de me conduire lui-m�me � Ighil Ali, il me mettra entre les mains d�un ami. On prend un caf�, dans le coin. Malek me pr�sente � Bessa�d Khiari, qui se d�voue comme guide. La gestuelle aristocratique, r�serv�, Bessa�d a plusieurs casquettes. Il est enseignant, correspondant d�El Watan, membre de l�association Taos et Jean Amrouche. Il a �crit, en outre, des articles de qualit� sur la �tribu Amrouche�, selon le mot de Mouloud Mammeri. Accoud�s au comptoir de ce caf� d�Akbou, Malek me parle de l�histoire de la kal�a des A�t Abbas, cette citadelle naturelle qui abrite le tombeau d�El Mokrani, et des bistrots cland�s �pars dans la for�t de ch�naies de Boni, au-dessus d�Ighil Ali.
Aussit�t que l�id�e de ce p�riple s�est concr�tis�e, j�ai pens� que je devais retourner � Ighil Ali avec Abdelkrim Dja�d. Non seulement parce qu�il y est n� et que sa famille y demeure, mais aussi � cause de cette passion que je l�ai toujours entendu mettre � en parler. Nous n�avons malheureusement pas trouv� le temps commun pour faire ce voyage ensemble. Pour refaire, plut�t, ce voyage. Nous l�avons fait nagu�re, dans des circonstances qui, en nous frappant dans notre proximit� amicale, annon�aient la trag�die qui allait endeuiller le pays. A la sortie d�Akbou, une plaque sur la route d�Alger nous informe qu�Ighil Ali est � 20 kilom�tres. Une autre nous donne l�altitude : Akbou, 250 m. Arriv�s l�-haut, � Ighil Ali, nous aurons grimp� � 650 m. Dans la voiture, nous sommes dans le vif du sujet. Bessa�d Khiari me raconte la gen�se de l�association qui s�appelait, au d�part, Taos Amrouche. On a d� ajouter le pr�nom du fr�re, Jean. Naturel ! Nous sommes sur la rive gauche de la Soummam. Apr�s Amirouche, ex-Riquet, nous quittons la route nationale et commen�ons � escalader les contreforts des Bibans. La luxuriance de la v�g�tation reste dans la vall�e. Apr�s Aflis, changement brutal de d�cor : nous zigzaguons � travers des collines sur lesquelles des oliviers �talent leur ombre noueuse. Dans les vallonnements, encore et toujours des oliviers. Les trois communes des A�t Abbas, c�est-�-dire Ighil Ali, A�t Rezine et Boudjellil, totalisent 500 000 oliviers. Le Printemps noir a touch� l�arch des A�t Abbas. Ighil Ali a �t� secou� par des �meutes qui, au bout du compte, ont contraint les gendarmes � s�en aller. Les autres communes des A�t Abbas ont connu des �v�nements similaires. Les effets de cette s�quence dramatique de l�histoire de la Kabylie sont encore en action. La d�termination avec laquelle les populations, � travers notamment les associations, se r�approprient le pr�sent et leur pass� est une de ces cons�quences. Apr�s un ultime virage, nous entrons dans Ighil Ali. La premi�re chose que Bessa�d tient � me montrer, c�est la plaque en marbre sur laquelle est grav�e l�inscription suivante : �Ecole Jean-Amrouche, �crivain et patriote, 1906- 1962�. C�est une plaque et rien de plus. Mais qu�elle soit sur ce mur, c�est une victoire sur l�amn�sie organis�e et l�exclusion. La pr�cision selon laquelle Jean Amrouche �tait patriote fait partie de ces choses superflues qu�il faut n�anmoins rappeler. Il faut escalader quelques marches d�un escalier ext�rieur pour acc�der au local de l�association Taos et Jean Amrouche. Derri�re un ordinateur, Ikhlef, son pr�sident, s�enquiert de ce que je voudrais voir. Des livres, par centaines, font plier des �tag�res en bois. Une �tiquette rouge portant un num�ro de classement est coll�e sur la c�te de chaque livre. Deux jeunes filles entrent. Elles se renseignent pour une adh�sion. Puis c�est au tour d�un homme d�entrer. A 74 ans, Dda Cherif est le doyen des Amrouche. Une barbe poivre et sel orne son menton. Il est v�tu d�une chemise grise sous un bleu-Shanga� d�lav�. Une ch�chia blanche brod�e est pos�e sur la t�te. Il a l�allure du paysan que l�oisivet� d�sarme. Retrait� des PTT, Dda Cherif est encore hyperactif. Il vaque chaque jour aux menues t�ches gr�ce auxquelles, depuis des mill�naires, les montagnards survivent dans la pire des adversit�s. Il se souvient de cette nuit neigeuse de janvier 1959. On est venu le chercher parce que l�oncle Belkacem, le p�re de Jean, �tait mourant. Depuis 1956, Jean ne vient plus rendre visite � ses parents, Belkacem et Fadhma, rentr�s en 1953 � Ighil Ali apr�s que le p�re eut obtenu sa retraite des chemins de fer tunisiens. Jusqu�� un certain moment, il venait chaque �t� en vacances. Il adorait, se souvient Dda Cherif, marcher dans la montagne, du c�t� de Tala El Hadj, une terre qui appartenait � son grand-p�re, Ahmed. Ses positions en faveur de l�ind�pendance de l�Alg�rie sont de plus en plus nettes. Le 27 janvier 1956, il d�clare sans ambages � la salle Wagram � Paris : �C�est contre la France des colonialistes, contre l�anti-France, que les maquisards d�Alg�rie, mes fr�res selon la nature, ont d� prendre les armes.� Depuis lors, sa position se radicalise et rend p�rilleuses ses visites familiales � Ighil Ali. L�ann�e d�avant, Belkacem pr�f�rait, en raison de la fa�on dont �tait re�ues ses opinions, quitter Ighil Ali o� il �tait syst�matiquement rafl� par l�arm�e fran�aise, pour se rendre en France. C�est Jean qui le rassure. Il lui dit : �Ne crains rien !.� Il le ram�ne � la maison. Dda Cherif veille, avec des amis et des membres de la famille, Belkacem Amrouche. Le lendemain, il construit, avec l�aide de Debouh Iber, la tombe de ce patriarche qui, apr�s avoir pass� sa vie � ne finir un exil que pour en commencer un autre, est enterr� dans la terre de ses anc�tres. Depuis Jugurtha, exhum� par Jean comme le �veilleur int�rieur� de l��ternit�, ces derniers campent l��me berb�re dans la r�sistance. Les Amrouche, Jean et Taos en particulier, ont impos� la culture berb�re comme composante de l�universalit�. C�est pourquoi la r�appropriation par les jeunes, � l�encontre des �troitesses des pouvoirs engonc�s dans l�inculture et la n�gation, de leur travail et de leurs blessures est un acte de perp�tuation de cette r�sistance. Du ton discret des humbles, Dda Cherif n�h�site pas une seconde quand je lui demande ce que lui inspire l��uvre titanesque accomplie par Jean el Mouhouv et Taos, gr�ce � Fadhma, la m�re, consistant � porter � hauteur du si�cle la culture et l�identit� berb�res de tout temps minor�es. Il r�pond : �De la fiert�.� Bessa�d Khiari m�entra�ne � pr�sent dans le vieux village d�Ighil Ali. Nous traversons la place du march�. A droite, l�entr�e de la mosqu�e blanche est une enfilade d�arcades ogivales bleu clair. On croirait l�ombre du ciel reproduite dans sa teinte d�origine. Des camionnettes proposent des l�gumes de saison. En face, une maison patin�e avance d�un pas un balcon sur la place. Le parapet est en fer. Au premier, la porte et les fen�tres, peintes du m�me gris, sont ferm�es. En bas, une porte bleue est �galement ferm�e. Une autre ouvre sur une minuscule gargote d�o� sort un fumet de friture. On entrevoit les collines pel�es derri�re lesquelles court la for�t de Boni. C�est du haut de ce balcon que Ferhat Abbas, leader de l�UDMA, harangua ses sympathisants en 1936. Pour entrer dans le village, il faut grimper un raidillon. Nous sommes devant une superbe porte en bois rustique sur laquelle sont sculpt�es les figures g�om�triques de l�artisanat berb�re. Une �uvre d�art ! �C�est un jeune �b�niste qui l�a r�alis�e.� On ne fait plus gu�re de ces portes, autrefois sp�cialit� des A�t Abla. Le village des Ablaoui est une bague dans un doigt de la montagne. �Un site magnifique�, dit Bessa�d. �Mais le village est vide en raison d�un conflit entre tribus qui a eu lieu il y a deux si�cles�, dit encore Bessa�d. A l�aide d�une grosse cl�, il ouvre la porte. Nous entrons dans une vaste salle peinte en blanc. �C�est le nouveau local de notre association. Nous l�avons construit nous-m�mes sur un terrain de la commune. Il n�y pas un centime de l�Etat l�-dedans. Nous avons appris � nous prendre en charge�, dit-il avec une fiert� compr�hensible. Nous enfilons une rue �troite, bord�e de part et d�autre de maisons aux murs en pierre de taille couleur terre. Parfois, les fa�ades sont ciment�es et laiss�es en l��tat. Pendant que nous parcourons cette venelle qui va bient�t conna�tre une inflexion courbe, Bessa�d r�pond enfin � la question que je lui avais pos�e sans doute pr�matur�ment. �Azrib n�at djaad (le quartier de la famille Dja�d�), me dit-il en d�signant une limite imaginaire. A l�approche d�un porche, nous entrons dans �azrib Iamrache� (le quartier de la famille Amrouche). Sous le porche, des banquettes ont �t� ma�onn�es le long des murs. C�est tajma�t la plus ancienne d�Ighil Ali. �Elle date d�au moins quatre si�cles�, me pr�cise Bessa�d. On la traverse en emportant des bribes de discussions d�un groupe de jeunes. On tourne � gauche � l�intersection de deux venelles et on tombe sur une maison en ruine. La porte est ferm�e. On peut y entrer par le trou fait par l�effondrement des pierres, mais on pr�f�re r�cup�rer la cl�. Quelqu�un a essay� de colmater la br�che dans le mur en posant un sommier, des chambranles de portes et fen�tres, des solives. Un parent Amrouche vient nous ouvrir. Sur la porte, les entailles g�om�triques des A�t Abla sont �lim�es par le temps sans gommer ce que l�ouvrage a pu avoir de fastueux. M�me en ruine, la maison de Belkacem Amrouche, le p�re de Jean et de Taos, garde quelque chose de sa somptuosit� premi�re. Un chien � la robe noire tachet�e de blanc est attach� � un mur. A l�int�rieur, le temps a fait le travail d�un ouragan. Comme ceux qui donnent sur la rue, les murs qui ouvrent sur la cour int�rieure sont �ventr�s. L�escalier qui, dans un coin de la cour, menait � la chambre haute, finit dans le vide. C�est sans doute � partir de cette pi�ce qui n�existe plus que le 21 juillet 1950, Fadhma, la m�re, �crivait ceci � Jean, qui se trouvait � Paris : �(�) J��cris � c�t� de la fen�tre, j�ai d� tirer un peu les volets car la lumi�re est aveuglante. Le grand figuier est charg� de fruits, mais ils sont loin d��tre murs. J�habite l��tage seulement. Je ne rentre presque jamais dans les pi�ces du bas, trop d�ombres les occupent, elles sont rest�es dans l��tat o� les a laiss�es ta grand-m�re ; sur les murs on voit encore les traces de ses mains.� Entass�s dans un capharna�m, un buffet en bois peint, un coffre de voyage, un arrosoir de jardin en fer blanc emplissent le creux de ce qui devait servir de salle commune. Dans la cour, recouvrant un lavabo �br�ch� surnageant sur les gravats, des brouettes rouill�es indiquent que, � un moment, quelqu�un a tent� de mettre de l�ordre dans cette d�solation. Par le trou du plafond, le soleil illumine la pi�ce sombre du bas. Et comme un flash, ce rayon �voque �le rayon primoradial/ comme
la cl� des songes�, chant� par Jean Amrouche comme une tension pour dissoudre la �salve nocturne de l��me�. Partout dans la maison et dans la cour, les belles pierres ocre dont son faits les murs gisent comme des ruines qui rendraient illusoire de voir un jour cesser l�exil qui semble le destin de la �tribu Amrouche�. Mais dans ce d�cor de finitude, l�espoir flotte comme un pr�sage de r�surrection. Au bout d�un moment, sans que l�on sache d�o� il est sorti, on voit sourire un enfant v�tu d�une gandoura blanche immacul�e. Au milieu des gravats, deux figuiers �tendent leurs branches charg�s de vie dans la d�cr�pitude de l�abandon. C�est sans doute � propos de l�un de ces arbres que Belkacem, dans une lettre �crite le 28 ao�t 1958, disait � son fils : �Nous mangeons depuis une douzaine de jours les figues que nous cueillons tous les matins du figuier de la cour de la maison. Elles sont succulentes et nous en profitons.� L�instinct du migrateur a fait pressentir � Jean Amrouche, enlev� par l�exil � l��ge de 4 ans d�Ighil Ali, le nid de la tribu o� sa famille est enracin�e depuis plusieurs si�cles, que la d�dicace qu�il a inscrite en haut de son po�me La Mort (Cendres) r�sumera un jour la r�alit� de cette �maison d�sert�e, aux tombes ancestrales qui n�habiteront pas (son corps)�.


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