M�dus�, semble-t-il, il eut cette renversante r�ponse � un journaliste : �Je ne sais pas pourquoi ils font �a...� Lui est un �lu du Hamiz et le Hamiz est de triste notori�t� alg�roise, un v�ritable chancre urbain. Implacable r�alit� qui ne lui avait pas crev� les yeux, lui qui d�lib�re en leur nom et exerce son mandat dans cette proximit� humaine. Un autre �dile, agac� par la tournure violente de la protestation et pr�tentieusement qualifi� pour en parler, trouve �inconvenable� que l�on agisse ainsi. � (...) Ces gens-l�, r�p�tait-il � la cantonade, devraient savoir qu�il y a un ordre dans les priorit�s (?) et surtout apprendre � patienter !...� (1) Bel �chantillon de mandataires locaux, devenus par la gr�ce de petits pouvoirs octroy�s, des mandarins parfois d�boussol�s et souvent arrogants. Vous les entendrez d�signer leurs modestes cong�n�res, par des p�joratifs qui mettent la �distance" qu�il fait entre eux. Tant�t, c�est le cinglant �ces gens-l�� qui ponctue leurs propos et r�sonne comme la �racaille� entendue ailleurs. Tant�t, c�est le vague �ils� qui les rend absurdement sans importance, quantit� humaine n�gligeable qui ne vaut que par le bulletin de vote qu�on lui vole ponctuellement. Mais faut-il pour autant accabler ces faux �lus alors qu�en v�rit� ils ressemblent � leurs commanditaires, les ma�tres du pays ? Ces derniers doivent tout autant se demander �pourquoi ils font �a ?...�, ces frondeurs de toutes les provinces. La col�re des sujets est toujours incompr�hensible pour les princes vivant dans des bulles. Cette liste des lieux, dits de la d�sesp�rance qui ne cesse de s�allonger et se d�cline comme une litanie les surprend sans pourtant les �mouvoir outre mesure. Au pire, elle les agace car elle d�range leur �somnolence�. C�est-�-dire la fatuit� de leurs certitudes, mais seulement le temps de trouver la parade d�magogique. Conviendra-t-on enfin qu�on ne les a pas encore entendue d�plorer leurs erreurs face aux petits peuples de B�char- Djedid, Tarf, Arzew, El-Attaf, B�ni- Dergoun, Takhmamet, Theniet-El- Had, Oued-Chadi, Djelfa et le bidonville �new-yorkais� de Constantine ? C�est que les respectables actes de contrition, corrolaires des scrupules et de l�humilit� sont �trangers � leur culture fonci�re. Mandat�s pour contribuer au bonheur de la communaut�, ils seraient immunis�s contre les mauvais choix politiques, voire les errements dans leurs actes souverains. A travers de telles postures et d�un tel orgueil, signes distinctifs de la m�galomanie ubuesque (�Le dictateur m�content de son peuple d�cide de le dissoudre� B. Brecht), l�on mesure l��tendue du d�calage que ces types de r�gimes ont par rapport � la r�alit� de leurs administr�s. Par une sorte de travestissement de l��chec de leur gouvernance, les tyranneaux de nos tropiques ne tirent-ils pas une malsaine jubilation de ce qui se passe ailleurs et que la t�l�vision officielle a contribu� � rendre perceptible ? Ainsi l�on peut imaginer de quel genre de surr�alistes satisfactions ils pouvaient se gargariser dans la discr�tion de leurs palais, au moment o� les vents de la r�volte se levaient dans un certain pays riche. D�abord, ils trouvent calamiteux pour les nantis que leurs banlieues br�lent et leurs dirigeants surpris par la fracture sociale. Ensuite, par un glissement cynique du sens des choses, ils estiment que d�cid�ment nos �Etats� de la d�solation ont bien de la chance de n�avoir pas de p�riph�rie humaine singuli�re mais la grande mis�re en partage. La voil� l�horrible explication de leur coh�sion nationale que l�on cimente par la paup�risation g�n�ralis�e. Celle qui est �galement confort�e par la clochardisation syst�matique de nos villes et villages. Pas de ghettos d�limit�s mais des Etats cloaques et par cons�quent pas de fracture sociale mais des populations �clop�es. R�ussir � transformer une condition d�testable en fatalit� est, en quelque sorte, leur seul haut-fait d�arme. Mais ces soci�t�s chloroform�es un moment peuvent surmonter cette l�thargie et se mettre, elles aussi, � comparer. C�est ce moment terrible pour les dirigeants, si disert et habiles dans la manipulation qui est le d�tonateur de toutes les col�res. L�Alg�rie est dans ce cas de figure quoi que disent et �crivent les bons ap�tres du r�gime. Par ailleurs, tenir de notre part � ce constat violemment caustique quitte � �tre d�lib�r�ment caricatural n�est pas irr�v�rencieux, loin s�en faut. Chaque fois que l�on se penche sur la profonde d�ch�ance morale et mat�rielle de pans entiers de la population, r�duites � la plus inf�me des pr�carit�s l�on a la certitude que les outrages et les outrances ne sont pas du c�t� que l�on croit. C�est cette indiff�rence aggrav�e par la morgue de nos dirigeants qu�il faut sans cesse mettre en lumi�re et d�noncer les d�rives. M�me s�il n�y a pas encore parmi eux quelques t�nors f�cheux pour qualifier nos marginaux et nos d�class�s de �racaille�, l�on peut supposer qu�ils n�en pensent pas moins. D�j� que les apprentis sorciers op�rant dans les communes osent les d�signer p�jorativement l�on peut conclure que dans les hautes strates la langue de l�injure est plus �labor�e. Sous nos latitudes l�humiliation s�exerce � demi-mot mais elle est r�elle. Ici, aussi, l�on nettoie au K�rcher des pompiers les manifestants, souvent �galement l�on en inculpe pour l�exemple et l�on r�ussit parfois des �bavures�, en laissant sur le macadam deux cadavres, comme cela s�est pass� � Arzew. Au nom de l�ordre et de l�autorit�, l�on r�prime au lieu d��couter et surtout s�inqui�ter de ce que les deux principaux fondateurs des bonnes R�publiques soient � ce point malmen�s, car il y a bien une diff�rence entre une l�gitime impatience qui ne trouve pas d�oreilles attentives et la propension gr�gaire � jouer au pyromane sans raison dans les sordides ruelles de nos villages. La multiplication des frondes et des brasiers sociaux ont une explication et ils pr�parent aux grands incendies si par c�cit� politique l�on persiste � ignorer tous ces foyers de tension. Tous les clignotants sociaux sont au rouge depuis quelques ann�es d�j� et l�on observe avec �tonnement que les pouvoirs publics continuent � les ��valuer� sous le prisme d�formant du p�ch� r�current de la protestation sans raison. En somme, nous serions une population de grognards ! Une mani�re pas comme une autre de se donner bonne conscience � vil prix. C�est-�-dire � se d�fausser sur un pr�tendu trait de caract�re, alors que l�on sait objectivement qu�il n�y a que la mis�re qui pousse toute cette humanit� aux abois � investir violemment la rue et harceler les symboles de l�Etat. Or, dans le contexte tendu que vit le pays, il est difficile de comprendre que l�on veuille se contenter de contenir cette pouss�e de fi�vre sociale par l�antidote de la castagne, ou dans les cas les plus m�diatiques �missionner� un commis de l�Etat pour prendre langue. C�est-�-dire promettre et mentir pour gagner du temps. Pour avoir imprudemment tergivers� de longues ann�es sur ses propres r�formes, l�Etat n�a plus d�sormais de marge pour les conduire avec la s�r�nit� n�cessaire. C�est socialement qu�il doit jouer au pompier et changer du m�me coup de cap, si tant est qu�il s�en est donn� un r�ellement. Rattrap� par les p�rils sociaux qu�il a jusque-l� jugul�s par l�usage d�magogique de la question du terrorisme et la r�conciliation, il n�a d�autre alternative dans l�imm�diat que de satisfaire ces demandes pressantes, celles-ci se r�sument au bin�me basique : emploi-logement. Implicitement, il devra co�te que co�te obtemp�rer � cet ultimatum s�il souhaite survivre au-del� d�un second mandat et m�me plus, si quelque part il a le souci de la post�rit� historique. L�opportune aisance financi�re ne devrait-elle pas lui donner des id�es dans ce sens ? Autrement dit, lui faire changer de perspective en mati�re de choix politique. Les �conomistes sauront, mieux que nous, expliquer comment il est possible de concilier la libert� d�entreprendre � le march� � et la n�cessit� d�avoir une grande politique sociale. C�est parce qu�il manquait � l�actuelle gouvernance un socle id�ologique qu�elle a �chou� dans tout ce qu�elle a entrepris. Par d�faut de �fondamentaux� elle est devenue illisible pour tout le monde et en premier lieu pour les couches sociales les plus fragiles. Circonstanciellement l�Etat est saisi d�une fr�n�sie distributive mais uniquement lors des messes �lectorales. Mais au-del� des arri�re-pens�es de pareilles op�rations, cet argent qui a fini d�ailleurs par doper les rentes locales, n�est pas un indicateur fiable pour cr�diter le r�gime d�une volont� claire de s�attaquer aux douloureuses fractures. La th�saurisation excessive de la plus-value p�troli�re plaiderait plut�t pour le contraire. C�est de cela que se plaint le pays, r�el, celui de ces �gens-l�� qui n�ont jamais vu la couleur d�un dollar converti en monnaie de singe. Est-il encore possible de ravauder ce pays � la d�rive ? La question est de l�ordre de l�urgence. Ce qui est certain, par contre, c�est qu�il est bien tard pour ramener la confiance dans les masures. B. H. (1) Consulter les comptes-rendus de presse des lundi et mardi 22 et 23 novembre, notamment Le Soir d�Alg�rie, Libert� et L�expression.