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La porte de Boussad Par Mohamed Benchicou
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 05 - 2009

L�avouerai-je ? Je n�ai pas sursaut� � la mauvaise nouvelle. La librairie des Beaux- Arts de Boussad Ouadi risque de fermer ses portes. Non, je n�ai pas sursaut�. J�ai toujours associ� Boussad Ouadi � une porte ferm�e. Etrange. Etrange ? Je ne sais pas. Je revois les photos.
Celle-l� d�abord. Boussad au Salon du livre d�Alger. Devant son stand sauvagement scell� avec des planches et des clous. Il venait d�exposer Les ge�les d�Alger, mon livre que personne ne voulait �diter. Lui, avait os�. Il re�ut mon manuscrit alors qu�il veillait son p�re mourant, son p�re, le v�tre, le mien, un homme qui s��tait saign� pour instruire ses neuf enfants et dont le seul luxe, le luxe maudit, �tait cette cigarette qui allait l�emporter. Boussad en parlait avec d�votion. �Il m�a laiss� deux ou trois cl�s pour la vie.� Il lut donc le r�cit de mes deux ann�es � la prison d�El-Harrach, le r�cit de nos calvaires pr�sents, alors qu�il veillait ce p�re agonisant, son p�re, le v�tre, personnage de nos calvaires anciens, orphelin d�s la petite enfance, fils unique sauv� de la mis�re par un oncle instituteur, devenu ouvrier �b�niste, puis technicien en tout genre chez un riche juif alg�rois qui poss�dait les cin�mas d�Alger. Le Plaza et le Marignan de Bab-El- Oued, le Colis�e et le Versailles. Encore des portes ferm�es. Boussad lut ce r�cit, comme il le dit lui-m�me, en des moments d�rob�s � l�atmosph�re de deuil et de tristesse et me r�pondit tard dans la nuit. �J�ai trouv� beaucoup de r�confort dans la lecture de ton texte. Mon p�re �tait un homme de bien, qui m�a beaucoup appris et je ne savais comment le remercier. Je crois que ton texte me permettra de le faire, car il r�sume, au fond, tout ce que je sais de la vie : faire son devoir vis-�-vis de sa conscience d�abord et des valeurs morales qu�on place au-dessus de tout, m�me au p�ril de sa vie. Que vaut une vie hors la dignit� et le respect de soi ; �tre solidaire des autres, des plus faibles, �tre de son temps, en harmonie avec la nature, la soci�t� et ses m�urs, dans la mesure, la g�n�rosit� et l�effort. Ton t�moignage m�a beaucoup �mu et je serai honor� de le publier, quoi qu�il en co�te.� C�est ainsi qu�est n� un livre. Tard dans la nuit. D�une solitude. Tard dans la nuit, la nuit, ses portes sombres qui verrouillent les vieux tunnels noirs de nos p�res, les portes sacr�es des t�n�bres, les portes du mensonge, de l'hypocrisie, de l'ignorance, de l'ali�nation et de la servitude. Boussad s��tait retrouv� seul, avec les cl�s de son p�re, devant ces portes massives, seul, de cette solitude qui accompagne, dans mon pays, les fous, les femmes et les traqueurs de lumi�re. Ils sont, comme �a, quelques-uns dans ce territoire pourtant domin� par l��clat de la verroterie, ils sont une poign�e d�hommes et de femmes, de femmes surtout, � r�ver du m�me voyage, de p�re en fils, depuis des si�cles, � la recherche d�une lumi�re improbable. C�est l�id�e de la lumi�re qui leur est indispensable. Ils sont comme les oiseaux de Farid al din Attar, ils sont partis un jour � la recherche du Simorg l�oiseau mythique, l�oiseau fabul�, si beau que nul ne peut le regarder. Pour voir le Simorg, ils traversent le temps avec des �lans fous, ainsi que les oiseaux rassembl�s par la huppe, avec des �lans fous mais aussi avec des reculs �pouvant�s, dans les paysages redoutables et intimes de l�humanit�. Ils savent que nombre d�entre eux dispara�tront, comme les oiseaux de Farid al din Attar, submerg�s par les oc�ans, d�vor�s par la soif, an�antis par le soleil ou les b�tes sauvages, certains s�entre-tueront tandis que d�autres abandonneront la route. Ils savent tout cela, mais ils pr�f�rent ce risque mill�naire � l�insoutenable indiff�rence � la lumi�re. Ils sont une poign�e qui r�vent du m�me voyage, de p�re en fils. Ils n�ont jamais oubli� le visage du p�re, nos hameaux nus, nos cordill�res �ternelles et ces contr�es perdues o� bat le c�ur de la nation. Ce sont les descendants de cette race imp�rissable de gens humbles de ma terre, ces hommes aux visages br�l�s par les �preuves, ces femmes au regard r�solu et dans lequel Dieu avait d�pos� l�expression d�un demi-si�cle d�abandon et de t�nacit�, ces gens que j�avais trouv�s devant la porte de la prison, ce 14 juin 2006. A quoi pensait donc Boussad sur cette photo, au Salon du livre d�Alger, devant son stand sauvagement scell� avec des planches et des clous ? Nous �tions le 31 octobre 2007. Bouteflika venait de donner le coup d�envoi du 12e Salon du livre d�Alger. Les ge�les d�Alger est expos� � c�t� de La Dignit� humaine d�Ali Yahia Abdenour. Le chef de l�Etat avait � peine quitt� l�enceinte de la Foire que les cerb�res avaient d�boul� sur le stand des �ditions INAS, tel un commando de la Gestapo, �ventrent les cartons � la recherche du livre Les ge�les d�Alger, ordonnent de retirer les affiches montrant l�ouvrage, enjoignent au personnel de quitter les lieux puis, comme dans un mauvais sketch, osent le geste carnavalesque : ils murent le stand � l�aide de grandes planches ! C��taient les cerb�res d�un r�gime qui a peur d'un livre, c'est-�-dire d'une d�raisonnable petite lumi�re qui viendrait � s'aventurer dans les opacit�s du pouvoir. Et laisser des traces. Ah, les traces ! Que peut un gouvernement contre une poign�e de traqueurs qui r�vent, de p�re en fils, depuis des si�cles, d�ouvrir ces portes par l'arme de la d�mesure, la litt�rature, le livre, les mots ? Ecrire. �crire pour moi, pour ma terre, pour porter la sagesse, l�histoire et la m�moire de mille douleurs, de mille histoires, de mille combats, de mille r�ves. Ecrire pour laisser des traces, autres que les traces du d�sert de l�homme, autres que les traces de nos �garements, laisser de nos traces une sagesse ressuscit�e, peut-�tre un patrimoine et, qui sait, une m�moire ! Peut-�tre Naguib Mahfouz avait-il raison : �L��criture est ma�tresse : elle agit sur la culture et sur les civilisations. � A quoi pensait Boussad devant cette porte ferm�e ? Et devant celle-l�, Boussad devant le si�ge du journal Le Matin. Encore une porte ferm�e. Conf�rence de presse. La veille, les vigiles avaient propos� un march� : rouvrir le stand sans �le livre de Benchicou�. Boussad avait refus�. Les journalistes �taient obs�d�s par une question : pourquoi se battre pour un livre dans une guerre in�gale ? �Pour l�avenir, avait r�pondu Boussad. Si on se tait, c�est le quitus � la R�publique banani�re.� Quelqu�un avait demand� : �Qu�allez-vous faire ?� Boussad avait r�pondu : �Jeter le livre au milieu du peuple�. Au milieu de tant d�arrogance, il avait pris une d�cision qui ne lui ressemblait pas, celle d�organiser, partout, des rencontres avec le public, � commencer par sa librairie du centre d�Alger. �Vous ne risquez rien ?� Rien qui ne soit plus irr�m�diable que le silence. Les traqueurs du Simorg savent que nombre d�entre eux dispara�tront, mais ils pr�f�rent ce risque mill�naire � l�insoutenable indiff�rence � la lumi�re. L�histoire de ces vigiles des t�n�bres qui d�cr�t�rent blasph�me tout r�verb�re sur ce peuple d�poss�d� de tout, s��tait termin�e, ce jour-l�, par une fronde du peuple d�poss�d�. Oui, tout cela s��tait termin� par cette autre photo qui donnait raison aux fous et aux r�veurs. J�allais l�oublier celle-l�, cette photo d�une foule fi�re et bigarr�e, attendant devant la porte encore ferm�e de la librairie, sous le regard confus des policiers arm�s de solides talkies-walkies et charg�s de l�impossible mission de museler un livre. Ils �taient l�, m�res de famille qui revenaient du march�, vieux lecteurs du journal, �tudiants aux cheveux gomin�s, belles jeunes filles au regard de feu, des ch�meurs, beaucoup de ch�meurs, des cadres, des provinciaux venus pour la circonstance� Ils �taient l�, � s�impatienter, sous les yeux r�sign�s des flics, d�cid�s � emp�cher la censure d�un livre �dit� pour eux. Une fois de plus, ils avaient surgi du fond de leur solitude, pour tendre leur main coriace o� se lisait l�esp�rance de la terre dans ses lignes et ses rides. A Boussad, il me semblait les entendre lui dire ces simples mots : � On ne s�est jamais vus, mais il y a longtemps qu�on se conna�t, mon fr�re.� Boussad avait ouvert la porte et la s�ance avait dur� cinq heures : jusqu�� �puisement du stock ! Devant une masse si inflexible d�hommes et de femmes d�cid�s � aller � la rencontre d�un livre, les policiers avaient rebrouss� chemin et Les ge�les d�Alger, interdit au Salon d�Alger, vint au monde. Alors oui, j�ai toujours associ� Boussad Ouadi � une porte ferm�e et je verrai toujours devant la librairie des Beaux-Arts planer une ombre, l�ombre du p�re, l�ombre des m�res de famille qui revenaient du march� et celle des �tudiants aux cheveux gomin�s, l�ombre des belles jeunes filles au regard de feu et des ch�meurs r�solus ; je verrai tous ces regards et je me souviendrai de Boussad, alors, comme le po�te afghan, de tant de visages br�l�s par le soleil, de tant d�hommes d�sesp�r�s qui rentrent avec une brass�e de faim, de quelque chose qui ressemble aux pleurs, de quelque chose qui ressemble au sang, de quelque chose qui ressemble � Alger, je me souviendrai que je dois �crire.

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