Cour constitutionnelle: constatation de la vacance du poste de président, Mme Leïla Aslaoui assure l'intérim    Le Musée national du moudjahid organise une conférence à l'occasion du 69e anniversaire de la mort en martyr du héros Ahmed Zabana    Finance islamique: plus de 500 milliards de dinars de dépôts    Signature d'un accord de partenariat entre le ministère de la Formation et l'UNICEF    Lancement de la campagne moisson-battage dans nombre de wilayas de l'Est du pays    Sortie de la 53e promotion de l'Ecole de Commandement et d'Etat-major de Tamenfoust    Oran: des recommandations pour la sauvegarde et la valorisation des archives manuscrites    Réunion de coordination entre le ministère de la Culture et la wilaya d'Alger pour la mise en œuvre du décret portant transfert de l'OREF    Le corps de la Sûreté nationale bénéficie d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics en raison de la nature sensible de ses missions    Organisation de la 17e édition des Portes ouvertes sur le sport militaire à Alger    Boudjemaa salue les efforts de l'Etat en faveur de l'amélioration de la performance judiciaire et de l'instauration de l'Etat de droit    Festival Cirta des sports équestres: le tent pegging, premier pas vers la généralisation d'un sport nouveau aux niveaux national et régional    Hausse continue du nombre de réfugiés et appel à une solidarité mondiale envers eux    Times Higher Education Impact Rankings 2025 : l'Algérie décroche la 1ère place au niveau maghrébin avec 53 universités classées    Bac 2025 : plusieurs condamnations à des peines de prison pour fraude et fuite de sujets et de réponses    Compétitions africaines interclubs : la CAF fixe les dates pour la saison 2025-2026    L'Iran tire une nouvelle salve de missiles sur l'entité sioniste    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 55706 martyrs    Bonnes nouvelles pour les femmes au foyer    Donald Trump appelle à la reddition de Téhéran    Le MCA a un point du titre, suspense pour le maintien    Rush sur le Parc de Mostaland    Seize joueurs pour préparer le championnat arabe    Succès retentissant de l'Algeria Bid Round 2024    quels impacts sur la sphère énergétique ?    Un lieu pour l'éveil des enfants à La Haye    Déjouer toutes les machinations et conspirations contre l'Algérie    « Abdelmadjid Tebboune n'a pas accordé d'entretien à des journaux français »    Campagne de sensibilisation autour des menaces sur les récoltes de la tomate industrielle    Les MAE de plusieurs pays arabes et musulmans condamnent    Au cœur des Hauts Plateaux de l'Atlas saharien, Aflou offre bien plus qu'un paysage rude et majestueux    La télévision d'Etat annonce une nouvelle salve de missiles contre l'entité sioniste    L'USMA stoppe l'hémorragie, l'USMK enchaîne    La première journée des épreuves marquée par une bonne organisation dans les wilayas de l'Est du pays    Une date célébrée à travers plusieurs wilayas de l'est du pays    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



CONTRIBUTION
La porte de Boussad Par Mohamed Benchicou
Publié dans Le Soir d'Algérie le 13 - 05 - 2009

L�avouerai-je ? Je n�ai pas sursaut� � la mauvaise nouvelle. La librairie des Beaux- Arts de Boussad Ouadi risque de fermer ses portes. Non, je n�ai pas sursaut�. J�ai toujours associ� Boussad Ouadi � une porte ferm�e. Etrange. Etrange ? Je ne sais pas. Je revois les photos.
Celle-l� d�abord. Boussad au Salon du livre d�Alger. Devant son stand sauvagement scell� avec des planches et des clous. Il venait d�exposer Les ge�les d�Alger, mon livre que personne ne voulait �diter. Lui, avait os�. Il re�ut mon manuscrit alors qu�il veillait son p�re mourant, son p�re, le v�tre, le mien, un homme qui s��tait saign� pour instruire ses neuf enfants et dont le seul luxe, le luxe maudit, �tait cette cigarette qui allait l�emporter. Boussad en parlait avec d�votion. �Il m�a laiss� deux ou trois cl�s pour la vie.� Il lut donc le r�cit de mes deux ann�es � la prison d�El-Harrach, le r�cit de nos calvaires pr�sents, alors qu�il veillait ce p�re agonisant, son p�re, le v�tre, personnage de nos calvaires anciens, orphelin d�s la petite enfance, fils unique sauv� de la mis�re par un oncle instituteur, devenu ouvrier �b�niste, puis technicien en tout genre chez un riche juif alg�rois qui poss�dait les cin�mas d�Alger. Le Plaza et le Marignan de Bab-El- Oued, le Colis�e et le Versailles. Encore des portes ferm�es. Boussad lut ce r�cit, comme il le dit lui-m�me, en des moments d�rob�s � l�atmosph�re de deuil et de tristesse et me r�pondit tard dans la nuit. �J�ai trouv� beaucoup de r�confort dans la lecture de ton texte. Mon p�re �tait un homme de bien, qui m�a beaucoup appris et je ne savais comment le remercier. Je crois que ton texte me permettra de le faire, car il r�sume, au fond, tout ce que je sais de la vie : faire son devoir vis-�-vis de sa conscience d�abord et des valeurs morales qu�on place au-dessus de tout, m�me au p�ril de sa vie. Que vaut une vie hors la dignit� et le respect de soi ; �tre solidaire des autres, des plus faibles, �tre de son temps, en harmonie avec la nature, la soci�t� et ses m�urs, dans la mesure, la g�n�rosit� et l�effort. Ton t�moignage m�a beaucoup �mu et je serai honor� de le publier, quoi qu�il en co�te.� C�est ainsi qu�est n� un livre. Tard dans la nuit. D�une solitude. Tard dans la nuit, la nuit, ses portes sombres qui verrouillent les vieux tunnels noirs de nos p�res, les portes sacr�es des t�n�bres, les portes du mensonge, de l'hypocrisie, de l'ignorance, de l'ali�nation et de la servitude. Boussad s��tait retrouv� seul, avec les cl�s de son p�re, devant ces portes massives, seul, de cette solitude qui accompagne, dans mon pays, les fous, les femmes et les traqueurs de lumi�re. Ils sont, comme �a, quelques-uns dans ce territoire pourtant domin� par l��clat de la verroterie, ils sont une poign�e d�hommes et de femmes, de femmes surtout, � r�ver du m�me voyage, de p�re en fils, depuis des si�cles, � la recherche d�une lumi�re improbable. C�est l�id�e de la lumi�re qui leur est indispensable. Ils sont comme les oiseaux de Farid al din Attar, ils sont partis un jour � la recherche du Simorg l�oiseau mythique, l�oiseau fabul�, si beau que nul ne peut le regarder. Pour voir le Simorg, ils traversent le temps avec des �lans fous, ainsi que les oiseaux rassembl�s par la huppe, avec des �lans fous mais aussi avec des reculs �pouvant�s, dans les paysages redoutables et intimes de l�humanit�. Ils savent que nombre d�entre eux dispara�tront, comme les oiseaux de Farid al din Attar, submerg�s par les oc�ans, d�vor�s par la soif, an�antis par le soleil ou les b�tes sauvages, certains s�entre-tueront tandis que d�autres abandonneront la route. Ils savent tout cela, mais ils pr�f�rent ce risque mill�naire � l�insoutenable indiff�rence � la lumi�re. Ils sont une poign�e qui r�vent du m�me voyage, de p�re en fils. Ils n�ont jamais oubli� le visage du p�re, nos hameaux nus, nos cordill�res �ternelles et ces contr�es perdues o� bat le c�ur de la nation. Ce sont les descendants de cette race imp�rissable de gens humbles de ma terre, ces hommes aux visages br�l�s par les �preuves, ces femmes au regard r�solu et dans lequel Dieu avait d�pos� l�expression d�un demi-si�cle d�abandon et de t�nacit�, ces gens que j�avais trouv�s devant la porte de la prison, ce 14 juin 2006. A quoi pensait donc Boussad sur cette photo, au Salon du livre d�Alger, devant son stand sauvagement scell� avec des planches et des clous ? Nous �tions le 31 octobre 2007. Bouteflika venait de donner le coup d�envoi du 12e Salon du livre d�Alger. Les ge�les d�Alger est expos� � c�t� de La Dignit� humaine d�Ali Yahia Abdenour. Le chef de l�Etat avait � peine quitt� l�enceinte de la Foire que les cerb�res avaient d�boul� sur le stand des �ditions INAS, tel un commando de la Gestapo, �ventrent les cartons � la recherche du livre Les ge�les d�Alger, ordonnent de retirer les affiches montrant l�ouvrage, enjoignent au personnel de quitter les lieux puis, comme dans un mauvais sketch, osent le geste carnavalesque : ils murent le stand � l�aide de grandes planches ! C��taient les cerb�res d�un r�gime qui a peur d'un livre, c'est-�-dire d'une d�raisonnable petite lumi�re qui viendrait � s'aventurer dans les opacit�s du pouvoir. Et laisser des traces. Ah, les traces ! Que peut un gouvernement contre une poign�e de traqueurs qui r�vent, de p�re en fils, depuis des si�cles, d�ouvrir ces portes par l'arme de la d�mesure, la litt�rature, le livre, les mots ? Ecrire. �crire pour moi, pour ma terre, pour porter la sagesse, l�histoire et la m�moire de mille douleurs, de mille histoires, de mille combats, de mille r�ves. Ecrire pour laisser des traces, autres que les traces du d�sert de l�homme, autres que les traces de nos �garements, laisser de nos traces une sagesse ressuscit�e, peut-�tre un patrimoine et, qui sait, une m�moire ! Peut-�tre Naguib Mahfouz avait-il raison : �L��criture est ma�tresse : elle agit sur la culture et sur les civilisations. � A quoi pensait Boussad devant cette porte ferm�e ? Et devant celle-l�, Boussad devant le si�ge du journal Le Matin. Encore une porte ferm�e. Conf�rence de presse. La veille, les vigiles avaient propos� un march� : rouvrir le stand sans �le livre de Benchicou�. Boussad avait refus�. Les journalistes �taient obs�d�s par une question : pourquoi se battre pour un livre dans une guerre in�gale ? �Pour l�avenir, avait r�pondu Boussad. Si on se tait, c�est le quitus � la R�publique banani�re.� Quelqu�un avait demand� : �Qu�allez-vous faire ?� Boussad avait r�pondu : �Jeter le livre au milieu du peuple�. Au milieu de tant d�arrogance, il avait pris une d�cision qui ne lui ressemblait pas, celle d�organiser, partout, des rencontres avec le public, � commencer par sa librairie du centre d�Alger. �Vous ne risquez rien ?� Rien qui ne soit plus irr�m�diable que le silence. Les traqueurs du Simorg savent que nombre d�entre eux dispara�tront, mais ils pr�f�rent ce risque mill�naire � l�insoutenable indiff�rence � la lumi�re. L�histoire de ces vigiles des t�n�bres qui d�cr�t�rent blasph�me tout r�verb�re sur ce peuple d�poss�d� de tout, s��tait termin�e, ce jour-l�, par une fronde du peuple d�poss�d�. Oui, tout cela s��tait termin� par cette autre photo qui donnait raison aux fous et aux r�veurs. J�allais l�oublier celle-l�, cette photo d�une foule fi�re et bigarr�e, attendant devant la porte encore ferm�e de la librairie, sous le regard confus des policiers arm�s de solides talkies-walkies et charg�s de l�impossible mission de museler un livre. Ils �taient l�, m�res de famille qui revenaient du march�, vieux lecteurs du journal, �tudiants aux cheveux gomin�s, belles jeunes filles au regard de feu, des ch�meurs, beaucoup de ch�meurs, des cadres, des provinciaux venus pour la circonstance� Ils �taient l�, � s�impatienter, sous les yeux r�sign�s des flics, d�cid�s � emp�cher la censure d�un livre �dit� pour eux. Une fois de plus, ils avaient surgi du fond de leur solitude, pour tendre leur main coriace o� se lisait l�esp�rance de la terre dans ses lignes et ses rides. A Boussad, il me semblait les entendre lui dire ces simples mots : � On ne s�est jamais vus, mais il y a longtemps qu�on se conna�t, mon fr�re.� Boussad avait ouvert la porte et la s�ance avait dur� cinq heures : jusqu�� �puisement du stock ! Devant une masse si inflexible d�hommes et de femmes d�cid�s � aller � la rencontre d�un livre, les policiers avaient rebrouss� chemin et Les ge�les d�Alger, interdit au Salon d�Alger, vint au monde. Alors oui, j�ai toujours associ� Boussad Ouadi � une porte ferm�e et je verrai toujours devant la librairie des Beaux-Arts planer une ombre, l�ombre du p�re, l�ombre des m�res de famille qui revenaient du march� et celle des �tudiants aux cheveux gomin�s, l�ombre des belles jeunes filles au regard de feu et des ch�meurs r�solus ; je verrai tous ces regards et je me souviendrai de Boussad, alors, comme le po�te afghan, de tant de visages br�l�s par le soleil, de tant d�hommes d�sesp�r�s qui rentrent avec une brass�e de faim, de quelque chose qui ressemble aux pleurs, de quelque chose qui ressemble au sang, de quelque chose qui ressemble � Alger, je me souviendrai que je dois �crire.

Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.