Un fatras d'injustices incommensurables s'est abattu et s'abat encore sur le arch d'Ath H'çaïn, à sa tête le village d'Alma Tagma. La simple évocation à notre arrivée au chef-lieu de commune, Zekri, englouti au creux des montagnes environnantes, de ce village mythique qui a pourtant marqué de son empreinte la révolution algérienne pour avoir été une base arrière du colonel Amirouche, a fait sursauter et sourciller plus d'un citoyen. «Vous avez rendez-vous avec quelqu'un ?», nous interroge Djilali, originaire du village Ighil Mekhlef, fonctionnaire à la mairie. «Non», avons-nous répondu avant qu'il nous conseille de revenir un week-end, «car les Algérois du village y viennent généralement». «Mais nous voulons nous entretenir avec les villageois sur leur vécu quotidien», avons-nous insisté. Sourire un peu gêné, notre interlocuteur nous informera que désormais le village est vide de ses habitants. La plupart vivent à Alger alors que les derniers citoyens qui ont quitté le village fuyant le terrorisme et le mal-vivre ont trouvé refuge dans des logements sociaux ici au chef-lieu. Nous avons tenu tout de même à nous y rendre. Aucun habitant d'Alma Tagma n'est dans les parages, mais Djilali a fait des mains et des pieds pour nous trouver un accompagnateur. Un sympathique homme d'un certain âge s'amène et accepte de nous servir de guide. Ammi Mohammed qui vit à Alger et rentre au village de temps à autre, histoire de travailler la terre, qui ne donne désormais rien, ou quémander quelques sacs de ciment auprès de l'APC pour refaire sa maison presque en ruine, nous raconte en cours de route : «Il n'y a rien ici, c'est le dénuement total. Tout le arch d'Ath H'çaïn est éparpillé. Mais nous tenons à nos terres et nous revenons chaque fois que c'est nécessaire.» Chemin faisant, Ammi Mohammed nous montre «la base de Amirouche Aït Hamouda», aujourd'hui occupée par les éléments de l'armée nationale. «A partir d'ici, c'est un autre monde», fait remarquer notre guide. En effet, un kilomètre à peine au nord du chef-lieu, c'est la limite des routes bitumées. Nous arpentons inquiets la piste défoncée qui mène vers Alma Tagma, harcelant ammi Moh d'interrogations sur la sécurité dans les environs. «Ne craignez rien», nous dit-il pour nous rassurer. Le village est effectivement plongé dans un silence de cathédrale. Pas âme qui vive. Un monument commémoratif y trône non loin d'un oranger au milieu du hameau en hommage à un important rassemblement organisé par le colonel Amirouche, un an avant sa mort. «Il n'y a aucun harki dans le arch d'Ath H'çaïn», se réjouit notre guide qui regrette que les autorités n'aient rien fait pour «nous maintenir ici». «Nous avons subi les affres de la guerre d'indépendance et celle contre le terrorisme, et aujourd'hui nous ne récoltons que mépris», commente ammi Moh. «C'est normal que les gens fuient leur village. Comment voulez-vous qu'on vive dans des conditions pareilles ?», s'interroge-t-il encore en nous montrant les villages alentour. Le arch est composé de 6 villages : Alma Tagma, Agouni Aïssa, Tala Maâla, Aguemoun et Tizeghouine. «Tous sont quasi vides», fait remarquer Da Moh, indiquant que «les derniers villageois ont quitté le douar dans les années de terrorisme». «Qu'il vente ou qu'il pleuve, nos enfants doivent faire tout un chemin, parfois plus de 10 km pour certains villages, pour rejoindre l'école de Tabâarourt, la seule dans la région», s'indigne encore notre interlocuteur qui trouve en cette situation une raison suffisante pour ne pas rester dans «ce coin perdu, abandonné, oublié». Autrefois, une école en parpaing a été érigée à Alma Tagma pour accueillir les bambins du douar et atténuer ainsi leurs souffrances quotidiennes. Faute d'enseignants – tous ont refusé d'y enseigner – elle fait aujourd'hui office d'étable. Drôle de reconversion ! Le chef-lieu n'est pas loti non plus. Quoique la route qui y mène soit finalement revêtue, il n'existe dans cette commune la moins peuplée de Kabylie, frappée de plein fouet par l'exode, que quelques logements sociaux, une boutique «vend-tout» et un café-restaurant. «Si jamais il nous arrive de manquer ne serait-ce que d'un sachet de sel, nous devons nous déplacer jusqu'à Yakouren ou Azazga», fait remarquer ammi Moh. Le transport, l'autre calvaire des citoyens «coûte les yeux de la tête» pour ces petites gens appelés à débourser pas moins de 220 DA pour se rendre à la capitale du Djurdjura avec escale à Azazga, faute de ligne directe. Il est impossible ici d'énumérer toutes les misères que vivent les Ath Zekri qui manquent de salles de soins, d'aires de jeu, de simples commodités… Le dénuement y est total. Leurs souhaits, vivre en paix et revenir dans la terre natale.