Au marché de Aïn Bénian, qui a la très peu flatteuse réputation d'avoir des «pharmaciens» derrière les étals, on ne sait plus quoi faire de la sardine. Le «poisson du pauvre», ou plus poétiquement le «blé de la mer» est revenu avec une abondance telle qu'on se surprend à entendre chez ses vendeurs des arguments de vente inhabituels. La nouveauté est d'abord dans le fait même que les marchands de poisson, réguliers ou occasionnels, se sentent obligés de redoubler d'effort persuasif pour écouler un produit dont on a plutôt l'habitude de parler en termes de rareté et de prix surréalistes. La dérision populaire, dont le niveau de création n'a jamais été pris en défaut, n'a pas seulement inventé la formule des pharmaciens derrière les étals pour exprimer en fait une sourde colère de ne pouvoir accéder à des produits censés améliorer, ou du moins changer de temps à autre leur quotidien alimentaire fait de broc et de broc. Il a aussi changé le nom de la sardine, en l'appelant tour à tour le «caviar», l'«esturgeon» ou plus bizarrement «Mademoiselle». Que ces formules dérisoires fassent rire ou non, on connaît le sens du message qu'elles nous délivrent : le pouvoir d'achat des humbles se lamine chaque jour un peu plus, au point d'être privés des «plaisirs» les plus simples et «snobés» par des produits devenus stars en raison de leur inaccessibilité. Au marché de Aïn Bénian en ce premier vendredi de juin, on ne sait plus quoi faire de la sardine ; vous êtes happés par des vendeurs occasionnels-opportunistes serait peut-être plus juste- qui veulent vous «prendre en charge» avant de parvenir aux marchands réguliers qui paient les impôts et la redevance de la «table». Ceux-là, quand on réussit la prouesse de parvenir jusqu'à eux, ont aussi leurs «arguments». Vingt dinars de plus pour donner l'illusion que la «marchandise ne peut pas être la même», quelques artifices pour la faire briller un peu plus et des explications de pros qui feront de vous quelqu'un à qui on ne la fait pas. Bien sûr, c'est souvent tiré par les cheveux, comme cette énigme qui fait de la sardine de la Madrague la meilleure d'Algérie et celle de Bouharoun la pire à éviter ou les indices de fraîcheur qui changent tellement que ça vous donne le tournis. Au marché de Aïn Bénian, on a des réponses à toutes les questions qui ne se posent pas. Quant à savoir par quel miracle on ne sait plus quoi faire de la sardine, si rare il y a une semaine, et par quel mécanisme du… marché son prix a dégringolé de 300 à 100 dinars, ceci est une autre histoire, comme dirait l'autre. Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir