C'est le 19 mars 1962 qu'est proclamé officiellement le cessez-le-feu entre les troupes de l'armée française et les combattants de l'Armée de libération nationale. Les accords d'Evian mettent un terme à huit années de guerre qui n'ont jusqu'à présent pas encore dévoilé tous leurs secrets. Les Algériens ont accueilli ce jour avec beaucoup de joie. Cependant, ce jour ne peut aucunement réparer les pertes humaines algériennes. Cinquante ans après, plusieurs monuments ont été érigés en mémoire des glorieux martyrs. Un nombre important d'associations militant pour la préservation de la mémoire ont vu le jour. Néanmoins, un travail de mémoire et d'écrits approfondis sur la question n'a pas encore été entrepris et le temps presse car les acteurs de la révolution ne seront pas là éternellement. C'est d'ailleurs le cas de Mme Djouher Amhis, à laquelle un vibrant hommage a été rendu jeudi dernier aux palais de la culture Moufidi Zakaria, et d'où elle a appelé à la sauvegarde de la mémoire des acteurs de la révolution, pan primordial de notre histoire. Contactée par nos soins, Mme Amhis nous raconte comment elle a vécu la proclamation du cessez-le-feu et l'état d'esprit des Algériens ce jour-là. «C'était quelque chose d'important pour nous, cela mettait fin à huit années de souffrances et de violences où il y a eu beaucoup de morts et une douleur vive jusqu'à présent», raconte-t-elle. Cette actrice de la révolution explique que c'est un moment glorieux et terrible à la fois. «Nous étions soulagés de recouvrer notre liberté bafouée pendant un siècle et demi de règne colonial, mais la perte des membres de notre famille et de nos proches nous a tellement marqués que rien, même pas l'indépendance, ne pouvait réparer», dit-elle. Elle se rappelle les moments difficiles qu'elle a vécus durant la guerre. Une période d'angoisse à la fois pour les combattants et pour le peuple qui craignaient à tout moment de se faire prendre dans une embuscade ou de se faire tuer ainsi qu'un membre de leur famille dans une bombe. «On continuait à travailler malgré les difficultés, on distribuait des tracts, on essayait de propager des idées révolutionnaires et d'expliquer autour de nous la nécessité d'un tel combat, mais le contexte n'était pas facile.» Elle nous relate à ce propos une tentative de mener une grève dans le secteur de l'éducation mais qui a échoué et comment ils ont été rappelés à l'ordre par l'armée française. A ce propos, elle raconte : «On vivait dans un village colonial et nous étions uniquement trois enseignants algériens parmi plein d'autres français, lors du déclenchement de la révolution. On récoltait des vivres pour les moudjahidine, on procédait à la collecte d'argent et on essayait malgré le contexte difficile d'imprégner les valeurs républicaines aux élèves.» «Un jour nous avons décidé de mener une grève avec nos collègues et de ne pas dispenser les cours. Mais c'était sans compter sur la férocité des parachutistes français qui débarquèrent chez nous pour nous forcer à rejoindre les établissements scolaires.» Travail de mémoire inabouti Notre interlocutrice trouve par ailleurs le travail de mémoire «très insuffisant» chez nous et dit ne pas comprendre pourquoi cinquante ans après, il n'y a pas suffisamment de films qui relatent les événements de la guerre de Libération. En matière d'écriture, cette ancienne enseignante déplore le fait que les livres historiques de cette période soient rares et ne rapportent pas les événements dans les faits. «La mémoire est occultée et c'est bien dommage pour les générations futures qui grandiront sans connaître leur histoire qui fait partie de leur identité», déclare-t-elle. Pour Mme Amhis, il n' y a pas moyen d'avancer dans la vie si on ne sait pas d'où l'on vient et l'histoire renseigne sur les origines d'une nation. Elle propose également d'organiser des conférences sur des thèmes se rapportant à la révolution, de faire parler les moudjahidine de cette époque et de recueillir leurs témoignages qui seront profitables aux générations futures et qui pourront se construire sur ces vécus. Des tables rondes seraient aussi appropriées pour que les révolutionnaires encore vivants puissent partager leur vécu et échanger leurs expériences. «Il faut revisiter cette période, parler des grands noms qui ont marqué la guerre car tout reste à bâtir en Algérie» dit-elle. Elle considère qu'un travail de mémoire et de commémoration ne fera pas rendre les milliers d'Algériens morts durant la révolution mais il permettra de faire parler d'eux, de ne pas les oublier et de garder leur souvenir toujours vivant. «Célébrer l'indépendance de l'Algérie une fois par an n'est pas suffisant, on aura beau faire parler les anciens combattants ce jour-là, cela restera vain si, en parallèle, il n'y a pas d'historiens qui écrivent sur la question et retracent les événements.»