Le huit mai, date officielle de la fin de la Seconde Guerre mondiale, sera fêté dans toutes les capitales occidentales, comme chaque année (la Russie, elle, ne pourra le fêter que le 9 mai, car les accords de paix signés par les Occidentaux avec l´Allemagne nazie ne seront paraphés que le lendemain par ceux qui ont perdu 25.000.000 de leurs concitoyens pour occuper Berlin et écraser la bête immonde). C´est une occasion pour les responsables politiques européens de faire des discours sur l´inanité des frontières qui ont longtemps séparé leurs pays (alors qu´elles s´imperméabilisent un peu plus chaque jour pour les peuples du Sud) et sur les bienfaits d´une paix retrouvée, condition indispensable pour une économie florissante. Les responsables politiques ne manqueront pas d´évoquer les erreurs du passé et d´affirmer leur satisfaction d´avoir tourné une page aussi douloureuse de l´histoire du vieux continent. Ils ne s´empêcheront pas de s´incliner, une fois de plus, (ils le font chaque fois qu´ils le peuvent) devant les monuments élevés à la mémoire des victimes de la Shoah. Ils écraseront une larme de contrition sur une paupière qui se ferme à la vue des nouveaux crânes rasés qui revendiquent à tue-tête la pureté de la race et qui font de la chasse aux faciès bronzés leur sport favori. Ceux qui ont connu les champs de bataille, eux, iront se recueillir sur les lieux où ils ont laissé tant de camarades ou vont refleurir les monuments dressés à la mémoire de ceux qui ont été sacrifiés sur les autels des idéologies périmées. Il n´y a que le souvenir qui ne se périme point tant qu´il y a des gens qui cultivent la mémoire. Le huit mai est une date importante: elle marque la fin d´une guerre atroce et inutile pour des pays qui étaient faits pour vivre ensemble, mais elle marque aussi le début d´autres guerres et d´autres conflits. La première guerre la plus longue, la plus coûteuse est évidemment la guerre froide qui va s´installer entre deux blocs. Ce sera une étape de course folle aux armements qui vont gravement grever les budgets des grandes nations. Mais cette guerre froide ne sera pas froide pour tout le monde puisqu´elle va générer une infinité de conflits localisés de par le monde. Ces guerres de frontières (comme l´Inde et le Pakistan, les deux Corée), ces guerres de libération, seront le terrain où seront expérimentés les nouveaux armements mis au point par les chercheurs des pays industrialisés. Cependant, la fin de la guerre froide ne va pas sonner la fin des conflits sordides puisque de nouvelles guerres coloniales vont réapparaître aussitôt : l´éternel conflit israélo-palestinien est l´exemple le plus douloureux d´un peuple exproprié. Le conflit du Sahara occidental connaît le même parcours et personne n´en voit la fin. La guerre des Balkans est bien finie mais tout le monde sait qu´elle peut ressurgir à la faveur d´un nouvel équilibre des forces. D´autres guerres sont menées avec grand fracas: l´expédition en Afghanistan, l´occupation de l´Irak laissent présager un sombre avenir pour l´Iran. Peut-être que demain, (quand le pétrole sera épuisé) ces guerres paraîtront aussi sordides que les précédentes et les nouveaux monuments aux morts seront plus glorieux que les précédents. Ce sont les morts inutiles qui attirent le plus de compassion. Dans toutes ces célébrations, les morts, évidemment, n´auront pas tous la même reconnaissance. Il y a les vainqueurs et les vaincus: mais le plus triste, c´est le fait qu´il y a des morts qu´on ne reconnaît pas ou que l´on veut oublier: c´est le cas des victimes des massacres du 8 Mai 1945. Guelma, Kherrata et Sétif ne sonnent pas comme Oradour-sur-Glane aux oreilles des dirigeants français.