Vous allez encore dire en lisant ce titre: «Voilà encore un qui va nous abreuver d´une dissertation de circonstance et qui, en pillant les auteurs classiques, va nous inonder de citations et d´exemples puisés dans la sagesse des nations pour essayer de nous éclairer sur le concept de doute à la veille de ce mois sacré...» Détrompez-vous! Je n´ai pas les qualifications requises et je pense que ce n´est pas le lieu ici pour parler de sujet aussi important et aussi sérieux que la religion qui guide l´action de certains hommes: les minbars des mosquées et les tables rondes de la télévision sont assez prodigues en la matière. Mais je profite de l´occasion du doute, qui saisit les hommes de bonne foi et qui se demandent s´ils vont jeûner mercredi ou jeudi, pour attirer l´attention des lecteurs sur l´importance du mot «doute». On a le plus souvent attribué à René Descartes la fameuse formule existentialiste «Cogito ergo sum», alors qu´en réalité, le célèbre philosophe français l´avait faite précéder d´une formule qui la nuance et la précise davantage: «Dubito» (je doute). C´est là qu´il faut saisir toute l´importance du concept de doute qui, bien qu´étant une conséquence, un produit de la pensée, n´en demeure pas moins une condition sine qua non de l´acte de pensée. Encore qu´il faille savoir faire la différence entre réfléchir et penser. Mais je ne vais pas vous égarer dans des considérations byzantines et je me contenterai de vous dire que l´homme qui doute est d´un cran supérieur à l´homme qui pense, devant n´importe quel problème posé, l´homme sage, celui qui fait passer avant tout la praxis, dira: «Je pense que...» Par cette formule, il introduit le doute qui existe dans son esprit et vous soumettra son avis comme une éventualité, à moins que vous ne proposiez une meilleure solution. C´est faire preuve d´humilité que d´exprimer un doute. L´homme imbu de sa personne, l´apparatchik façonné par un raisonnement scholastique ou par des années de parti unique pendant lesquelles il a appris à réciter sa leçon, vous dira d´un ton péremptoire «Il n´a qu´à..». Et il vous citera à l´appui mille et une formules toutes aussi convaincantes les unes que les autres comme si l´expérience des gens qui ont connu d´autres expériences, en d´autres temps, sous d´autres latitudes, pouvait être concernée par le problème posé présentement. En arabe, cela s´est souvent traduit par une formule: «Qararna!» Tout le monde sait où cette forme de pensée a mené des peuples dirigés par des despotes illuminés. C´est un défi jeté aux gens de bon sens qui préfèrent le dialogue sain et serein et le débat mené avec des idées et des concepts clairs. A la question de savoir si la viande indienne est bonne à la consommation, le sage dira: «Attendons d´en goûter et nous verrons...» Il faut tout de suite tracer les limites de cette façon de penser, car la qualité d´une viande ne dépend pas seulement de son origine, de l´âge de la pauvre bête abattue, de l´élevage dont elle est issue, c´est-à-dire du mode et de la qualité de son alimentation, mais elle dépend surtout de la cuisinière (ou du cuisinier) qui la prépare. Ce ne sera pas du tout l´avis du commis d´Etat, qui a participé aux négociations ou qui a mis sur pied l´infrastructure nécessaire pour la conclusion de l´accord commercial, qui vous dira sur un ton ferme: «Elle est excellente!» Il faudra engager un détective privé pour savoir s´il en consomme chez lui...Le sceptique, lui, réfléchira plus longtemps et essaiera de savoir pourquoi la viande d´Argentine n´est plus la bienvenue chez nous et que l´Inde n´est pas réputée pour être un pays d´élevage, hormis des vaches sacrées...Le syndicaliste méfiant vous dira qu´après la sidérurgie, les véhicules, les Indiens envahissent notre table. Il doit y avoir un lobby indien quelque part...