Un expert confirmé Eminent expert, orientaliste convaincu, très écouté au Kremlin, ancien ambassadeur de la Russie dans plusieurs pays arabes dont la Libye, Viniamin Popov, qui a dirigé, il y a quelques jours le Forum des journalistes des pays contre l'extrémisme, nous éclaire dans cet entretien sur le but de cette rencontre médiatique internationale qui intervient dans un contexte sécuritaire mondial très particulier. L'Expression: La Russie vient d'accueillir le Forum des journalistes des pays musulmans contre l'extrémisme. Quel est le but recherché à travers cette rencontre internationale? Viniamin Popov: Je peux vous résumer l'objectif recherché à travers ce Forum international en une seule phrase. Notre but est de mutualiser nos expériences et rassembler nos forces dans le domaine de la lutte contre l'extrémisme. Le phénomène de l'extrémisme n'est ni circonscrit ni spécifique à un pays ou à une région, c'est un phénomène mondial. Sans la participation des pays musulmans, la lutte sera vaine contre ce fléau qui menace le monde et qui met en péril l'avenir de l'humanité-même. Les pays qui, par ailleurs sont les premiers à souffrir de l'extrémisme religieux, vivent de l'intérieur ce phénomène, ont une meilleur culture de l'islam, maîtrisent mieux les tenants et les aboutissants, ils sont de ce fait, les seuls habilités à dénoncer les visées des extrémistes barbares. Ces pays sont mieux placés pour convaincre surtout les jeunes que les chemins que leur montrent les extrémistes sont sans issues. Vous placez alors les médias aux premières lignes de cette guerre contre les djihadistes? Le monde est en guerre contre Daesh. Bien évidemment, il vaincra militairement cette organisation. Mais est-ce à dire que la guerre contre l'extrémisme est pour autant gagnée? A coup sûr non! On ne vaincra jamais une idée par la force. A ce niveau de lutte, le rôle des hommes de religion, des hommes politiques, des débats et de la confrontation des idées pour expliquer, dénoncer, montrer le vrai visage de ces extrémistes destructeurs, invalider leur projet auprès de la société. Pour porter toutes ces idées, toutes ces actions sur la place publique, il est du rôle essentiel des médias qui doivent être conscients de cette délicate mission. Ils ont le devoir d'expliquer que ces égarés se sont éloignés de la religion et qu'ils utilisent cette religion pour arriver au pouvoir. Ils promettent la paix et la justice sociale en coupant des têtes aux innocents, ils détruisent tous les symboles de la culture, tous les repères de la modernité. En réalité, c'est un retour vers les ténèbres de la barbarie qu'ils nous proposent comme projet. Dénoncer tout cela est du rôle des médias. Plus que jamais, leur rôle est déterminant car, au risque de me répéter, il y a va de l'avenir de l'humanité. L'Algérie en général, et la presse algérienne en particulier, a souffert de ce phénomène. Quelle peut être sa contribution dans cette demande de lutte médiatique? C'est un combat mutuel. L'Algérie de par son expérience dans la lute antiterroriste doit jouer un rôle important. Nous avons besoin de cette expérience comme celle des autres pays qui souffrent de cette terreur. C'est pour cette raison d'ailleurs, que nous voulons maintenir le contact avec les hommes des médias de ces pays, dont l'Algérie. Comment la Russie compte-t-elle assister ces médias sur le «terrain de la lutte»? Ce sont les pays musulmans qui sont aux premières lignes de lutte contre le terrorisme islamiste, car ce sont d'abord eux qui en souffrent les premiers, plus que les autres pays. Les statistiques macabres le prouvent bien: l'organisation terroriste Daesh a jusqu'à présent tué dix fois plus de musulmans que d'autres religions. Mais, ce n'est pas pour autant que ces pays doivent être livrés seuls face à cette implacable machine de guerre qui utilise parfaitement les nouvelles technologies de la communication. Une entraide entre pays est nécessaire face à cette armée du Net que maîtrise cette organisation. C'est un danger qui n'épargne personne. Cependant, il faut sortir de cette idée d'aide matérielle et d'assistanat. Tel n'est pas l'objectif de la Russie. Tout comme nous avons dénoncé l'intervention étrangère dans les affaires internes des autres pays, nous nous gardons d'un tutorat médiatique sur les autres pays. Notre objectif est de créer une action commune et rassembler nos efforts face à ce danger planétaire. Une machine de guerre par les nouvelles technologies, à ce rythme Daesh ne risque-t-elle pas d'accéder à des armes autrement plus puissantes, comme les armes chimiques, les armes bactériologiques, la bombe nucléaire? Ce n'est pas une exagération que de l'affirmer aujourd'hui. Oui, Daesh peut accéder à ces armes. Son but suprême est de commettre un massacre mondial. On l'a vu avec le bombardement de l'avion des touristes russes au Sinaï en Egypte. C'est une première dans les annales où une organisation possède des armes capables d'abattre des avions civils. On a vu le massacre à Paris, à Bamako et à Tunis. A coup sûr, il y aura d'autres pays qui seront touchés par ce genre de massacres. Ils sont prêts à sacrifier des vies d'innocents.