Tout va très bien... Il est significatif que le roi Salmane ait déclaré à Mike Pompéo qui le remerciait d'avoir «accepté» sa visite à la demande de Trump: «j'espère que vous vous sentez à l'aise, ici». L'allusion était claire. Ni les uns ni les autres n'ont, en effet, intérêt à ce que la crise impacte leur relation. Tandis qu'une équipe d'enquêteurs de la police et de procureurs turcs a quitté, hier, le consulat d'Arabie saoudite à Istanbul, après y avoir effectué une fouille nocturne convenue avec les autorités saoudiennes, la chaîne CNN rapportait, en se référant à deux sources anonymes, que Riyadh s'apprêterait à confirmer le décès de Jamal Khashoggi, suite à un interrogatoire qui «aurait mal tourné». Toujours d'après CNN, un rapport aurait été établi pour conclure à une «opération menée sans transparence et sans les autorisations nécessaires», de sorte que les «responsables» devront seuls en payer les conséquences. Mais on n'en est pas encore là, même si les contacts entre dirigeants américains et saoudiens ont balisé la voie à ce genre de scénario, les sourires affichés hier par le prince héritier et Mike Pompéo étant éloquents. Mohamed Ben Salmane a ainsi délivré un message à l'adresse de l'opinion internationale: «Nous sommes des alliés forts et anciens...Nous faisons face aux défis ensemble, que ce soit dans le passé, aujourd'hui ou demain». Les signaux étaient déjà clairs, dimanche soir, lorsque le président Trump tweetait des états d'âme plus conciliants à l'égard des dirigeants saoudiens, parlant d'un Jamal Khashoggi victime d' «éléments incontrôlables» aux abords du consulat. Cette argutie laissait planer le doute sur l'avènement d'une thèse saoudienne appropriée, mettant en cause les seuls agents identifiés au cours du rapt et de l'assassinat du journaliste. Sauf que les contradictions entre la thèse de départ selon laquelle Khashoggi est «sorti du consulat» en toute tranquillité et les nouvelles assertions, plus ou moins laborieuses, ne seront pas du goût de tout le monde, excepté l'administration Trump. Les enquêteurs turcs iront-ils au bout de leurs conclusions et auront-ils dès lors les preuves formelles qui leur permettraient d'asseoir des accusations objectives? La question est pendante. Mais la manière dont les échanges ont évolué entre Riyadh et Washington, d'abord aigre-doux et désormais excessivement chaleureux, implique la conclusion d'un deal entre Mike Pompéo et Mohamed Ben Salmane, préalablement convenu entre le roi Salmane lui-même et le président Donald Trump, pour tourner la page de ce qui ne sera plus qu'un «regrettable incident» dont les coupables désignés vont devoir payer le prix. Il est significatif que le roi Salmane ait déclaré à Mike Pompéo qui le remerciait d'avoir «accepté» sa visite à la demande de Trump: «j'espère que vous vous sentez à l'aise, ici». L'allusion était claire. Ni les uns ni les autres n'ont, en effet, intérêt à ce que la crise impacte leur relation dont dépend directement une économie mondiale plutôt instable. Si l'Arabie saoudite a effectivement plus à perdre qu'à gagner dans une escalade avec les Etats-Unis, le fait est que les menaces surprenantes du premier jour ont miraculeusement disparu pour laisser place à des propos rivalisant de chaleur et de certitudes. Le retentissement planétaire de cette affaire doit cependant être pris en compte et si les alliés américano-saoudiens peuvent convenir, à condition que la Turquie s'y résolve, d'un plan de sortie de crise, rien ne dit que l'affaire Khashoggi en restera là. Les démocrates américains vont surfer longtemps sur ce registre, ayant quelques soldes de tout compte avec le clan Salmane, malgré ses concessions à l'égard d'Israël, et d'autres pays, d'autres organisations internationales dont l'ONU, d'autres ONG continueront à réclamer la vérité dans un dossier qui en est à ses premiers balbutiements. Bien plus, l'attitude du Congrès sera à cet égard déterminante au moment où le président Trump attend du roi Salmane un soutien indispensable à sa guerre contre l'Iran, à travers une augmentation des exportations de brut, le mois prochain, lorsque les sanctions américaines vont être appliquées. Un Congrès dont la configuration pourrait d'ailleurs changer, en novembre justement, et compliquer davantage la situation pour les dirigeants saoudiens qui vont affronter, alors, d'autres turbulences, sans compter la deuxième opération de fouille que les enquêteurs et les procureurs turcs vont effectuer dans la résidence même du consul. Tout indique, en vérité, que le rapport de mise en cause des «responsables» d'une mise à mort «sans autorisation» et «sans transparence» est déjà prêt, auquel cas les interventions de la justice turque ne pourront être que formelles, surtout que Mike Pompéo s'est rendu, toutes affaires cessantes, hier soir, à Ankara pour «sensibiliser» les dirigeants turcs à ce sujet.