Le gouvernement Djerad découvre toute la complexité d'une gouvernance d'un pays aussi vaste qu'est l'Algérie. Il ne suffit pas de débloquer des budgets, de donner des instructions ou de créer des commissions, pour obtenir des résultats sur le terrain. À partir du sommet, on peut penser que l'acheminement aux citoyens, de services publics de base peut paraître d'une simplicité évidente, lorsque la volonté politique s'est exprimée et les enveloppes financières débloquées. Or, dans la réalité quotidienne, l'instruction présidentielle tombe dans un circuit administratif que l'incompétence, la corruption et la négligence obstruent totalement. Au bout du processus, le destinataire final du projet ne reçoit rien et lorsqu'on essaye de voir ce qui a cloché dans le système, on croise systématiquement un bureaucrate qui, la main sur le coeur, affiche sa volonté de résoudre le problème dans la semaine. Mais incompétent, négligent ou corrompu, ledit bureaucrate n'en fait rien et trouve toujours le moyen de gagner encore du temps. Lorsqu'on multiplie ce genre de blocage par autant de projets qu'initie le gouvernement pour améliorer le quotidien des citoyens, l'on devine le gigantisme de la bête. Un responsable politique consciencieux peut agir à un endroit, régler une situation. Mais aucune volonté humaine ne pourra détruire la bête. Celle-ci se nourrit justement de projets d'intérêt public. Plus les Exécutifs en inscrivent, plus elle enfle jusqu'à devenir incontrôlable. Les gouvernements se suivent, s'accusent de toutes les tares du système, pour expliquer l'énormité du scandale bureaucratique. Seulement, ils commettent tous la même erreur: ils gavent le monstre d'argent, d'instructions, de mouvements dans tel ou tel autre corps, mais sans jamais s'intéresser à la mécanique vitale de la machine bureaucratique. En fait, ils ne frappent pas au coeur. À peine s'ils égratignent la bête qui sait faire le dos rond, en attendant une alternance. C'est d'ailleurs ce qui plaît le plus aux incompétents, corrompus et négligents parmi les fonctionnaires de la République. Cela leur donne le temps de se retourner, de trouver un moyen de charger les prédécesseurs et promettre aux walis, ministres, Premiers ministres et président en fonction, de solutionner le problème. On a bien vu cela avec les fameux cinq stades et autres infrastructures en souffrance depuis plus d'une décennie. Sauf que, pour cette fois, les bureaucrates n'auront visiblement pas le temps de trouver la parade. Djerad a eu le courage et pris le risque de dire les choses à la télévision, devant des millions de téléspectateurs. Le risque est que les Algériens fassent le constat d'échec du gouvernement dans la conduite des projets des zones d'ombre, mais dans cette attitude, il y a aussi le courage d'identifier, ils sauront se reconnaître, les responsables incompétents, corrompus et négligents. Est-ce cela frapper la bête au coeur? Ce serait trop facile si ça ne tenait qu'à une réprimande publique. Celle-ci est nécessaire, mais elle ne peut constituer la panacée. Le poison qui tuera le monstre bureaucratique est à trouver dans une modernisation effective de l'administration algérienne. Numérisation, amélioration de la gouvernance, renforcement du contrôle parlementaire, populaire et associatif à tous les étages de l'administration, jusqu'aux ministères. En un mot comme en mille, il s'agit d'imposer une transparence effective. C'est comme cela qu'on coupe les vivres aux fonctionnaires incompétents, corrompus et négligents.