Tandis que les Etats-Unis s'enfoncent dans une polarisation de plus en plus caractérisée depuis la Seconde Guerre mondiale, voilà que les médias américains subissent, à leur tour, les coups de boutoir d'une campagne électorale pour la présidentielle aux allures de pré-guerre civile. Prenant acte d'un scrutin lourdement indécis, des titres prestigieux ont annoncé qu'ils renoncent à soutenir la candidate démocrate Kamala Harris. Ils font face depuis à de fortes tensions dans leurs rédactions qui contestent l'abandon d'une longue tradition caractéristique de la vie politique américaine. «C'est de la lâcheté, et la démocratie en est victime», a dénoncé Marty Barton, ancien redchef du Washington Post, dont le propriétaire est Jeff Bezos, patron d'Amazon. Pour la première fois depuis une trentaine d'années, ce journal affirme donc ne plus soutenir aucun candidat «par souci d'indépendance». En réalité, Amazon a de nombreux contrats avec le Pentagone et plus encore l'administration américaine, et Bezos craint que Trump, élu, ne lui fasse payer la facture d'un soutien malencontreux à Kamala Harris. D'anciens ténors du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein qui avaient provoqué le Watergate, ont critiqué la démarche, estimant qu'elle «fait fi des preuves journalistiques accablantes présentées par le Washington Post lui-même sur la menace que Donald Trump fait peser sur la démocratie». Conséquence de la décision, plus de 200 000 abonnés au journal ont résilié leur contrat, un coup très dur pour un titre en proie à des difficultés financières manifestes, sans compter les démissions de chroniqueurs et de membres du comité éditorial. Quelques jours plus tôt, le milliardaire Patrick Soon-Shiong, propriétaire d'un autre grand titre, le Los Angeles Times, avait brandi le veto contre tout soutien à Kamala Harris, entraînant un flot de démissions dont celle de la responsable éditoriale, Mariel Garza, qui estime que «dans ces temps dangereux, les gens honnêtes doivent se manifester». De tels évènements ne sont pas pour déplaire au candidat républicain et à son équipe de campagne qui traient le journaux jusqu'alors hostiles de «coquilles vides». Mais le fait est que les magnats de la presse redoutent clairement les «punitions» dont Trump a agité la menace durant la campagne pour freiner leurs ardeurs, craignant surtout pour leurs intérêts financiers liés au gouvernement. Trump a la solide réputation de privilégier les relations personnelles, y compris dans les affaires politiques. Aussi obtient-il une «obéissance anticipée» dans le seul but de prévenir les sanctions prévisibles en cas de retour à la Maison-Blanche du candidat tumultueux. Il faut dire que la longue tradition d'alignement des médias sur un camp ou sur l'autre, dans les élections américaines, s'est lentement dégradée depuis quelques années, compte tenu d'une polarisation politique devenue très agressive et d'une crise économique de plus en plus aiguë. Cela n'a pas empêché, pour l'instant, des titres comme le New York Times, le Boston Globe ou encore les magazines Rolling Stone et Philadelphia Inquirer de soutenir Kamala Harris tandis que le New York Post de Rupert Murdoch et le Washington Times sont engagés avec Donald Trump. Signe des temps, les électeurs et les candidats eux-même ont de plus en plus le regard fixé sur les réseaux sociaux (podcasts, TikTok, etc.) au détriment d'une presse écrite confrontée à un marasme grandissant. Il n'empêche, son influence est encore réelle et c'est pourquoi Trump a averti que s'il est élu, il «révisera les licences des chaînes de télévision, punira davantage les journalistes et attaquera la presse libre». Un programme qui a le mérite d'être clair.