C'est le cas des romans de Malika Mokeddem qui a marqué la scène littéraire algérienne et francophone particulièrement durant les années 1990 lorsqu'elle a produit ses tout premiers romans qui ont impressionné aussi bien les lecteurs que la critique littéraire. Native de Kenadsa dans la wilaya de Béchar, Malika Mokaddem a vu le jour le 5 octobre 1945. Elle a vécu très modestement dans sa région natale avant de poursuivre des études supérieures à Oran. Ensuite à Paris où elle devint médecin. Mais l'écriture l'a toujours titillée et elle n'a jamais pu comprimer le besoin de s'exprimer et de se faire le porte- étendard de la femme algérienne à une époque où très peu de femmes osaient s'adonner à la littérature en dépit de l'existence de quelques pionnières comme Assia Djebar, Fadhma Ath Mansour Amrouche, Taos Amrouche, Hawa Djabali, Yamina Mechakra… C'était bien avant l'éclosion spectaculaire que connaît actuellement l'écriture romanesque féminine en Algérie qui voit de nouvelles voix s'élever dans le ciel de la littérature. ÀMontpellier où elle s'est installée pour y travailler à partir de 1979, Malika Mokeddem a écrit la majorité de ses romans. Entre la littérature et la médecine, Malika Mokeddem tranche définitivement en faveur de la première. En 1985, elle mit un trait définitif à sa jeune carrière de spécialiste en néphrologie. Il est évident que quand elle se mit à écrire, sa propre expérience dans la vie fut la matière première dans laquelle elle a puisé. Ses romans, surtout les premiers, sont très largement à connotation autobiographique. Ce sont véritablement des autobiographies. Mais Malika Mokeddem a su, avec ingéniosité et talent, conférer à ses récits de vie une touche romancière indéniable. On lit donc ses livres comme on lirait une fiction de bout en bout. À aucun moment, ses romans ne prennent l'allure de récits, encore mopnss de témoignages. Son premier roman, Les hommes qui marchent, édité en 1990 connait un succès immédiat. Il s'agit dans ce livre du destin de Leila, qui n'est autre que l'auteure, on le devine aisément. Malika Mokeddem raconte le combat d'une femme pour s'affranchir et accéder à l'instruction. Leïla est l'aînée de plusieurs frères. Ces derniers, prisonniers des préjugés, s'opposent farouchement et avec une rare brutalité, à ce que leur sœur vole de ses propres ailes en poursuivant le chemin de l'instruction. Pour montrer qu'il s'agit bel et bien de sa trajectoire, Malika Mokeddem n'hésite pas à livrer au lecteur plus d'indices précis. Comme elle, Leïla, personnage principal de son roman, opte pour des études de médecine. Leïla va donc se rebeller de manière courageuse et ferme et imposera son propre destin à celui auquel voulaient l'astreindre ses frères frappés de misogynie aveugle. Malika Mokeddem choisit le ton de conteur pour tresser magistralement le parcours de Leïla. Et c'est par la voix de Zohra qu'elle le fait : , au-delà du Grand Erg occidental Derrière la dune, c'est le désert, sa lumière aveuglante, sa chaleur et ses vents de sable, son ciel immense qu'ont oublié les citadins. Mais aussi ceux qui ne marchent plus. Zohra, hier nomade, a dû arrêter cette marche éternelle qui était sa raison de vivre, le contraire d'une errance. Avec une partie de son clan, elle s'est installée là, au pied de la dune, à la frontière des deux mondes, où elle est devenue l'inoubliable conteuse des temps anciens, le pilier de la sagesse et des traditions bédouines. De nombreux enfants l'entourent, l'écoutent, fascinés, entretenir la magie de la route du sel et des longues caravanes qui sillonnent le Sahara. Sa petite fille Leïla, l'une des premières jeunes femmes de la tribu à maîtriser l'écriture, est aussi la plus rebelle à la condition de recluse qu'on veut lui réserver. Elle puisera dans ses racines nomades la force de s'opposer à son destin, au poids des coutumes d'un autre âge... ». Les autres romans de Malika Mokaddem sont également à forte connotation autobiographique. Malika Mokeddem tente de semer l'amour, dans ses romans, dans des espaces ravagés par la violence et l'agressivité. L'oppression aussi. Celle que subissent les femmes de la part des hommes qui veulent les empêcher d'être des êtres humains à part entière. Le combat de ces femmes pour s'en extirper constitue la sève même des textes de Malika Mokeddem. Le refus d'être une femme au foyer revient tel un leitmotiv dans les romans de Malika Mokeddem. L'inéluctable et douloureuse rupture avec la famille dans de telles circonstances et une profonde affliction que l'auteure tente d'exorciser à travers ses romans. Mais y a-t-il d'autres alternatives pour échapper à la soumission ? Non, répond de manière ferme l'auteure de La transe des insoumis paru en 2003. Malika Mokeddem est également l'auteure de L'interdite, Le siècle des sauterelles, Des rêves et des assassins, La nuit de la lézarde, N'zid, Mes hommes et Je dois tout à ton oubli. Depuis la publication de La désirante en 2011, Malika Mokeddem n'a plus rien édité. Ce roman est paru en Algérie aux éditions Casbah. Malika Mokaddem avait l'habitude d'égayer par sa présence le Salon international du Livre d'Alger, auquel elle a participé à plusieurs reprises. Elle a reçu le prix Méditerranée des Lycéens en 1994 pour L'interdite. La beauté et la force des romans de Malika Mokeddem se reflète amplement dans cet extrait de son roman L'interdite : « Pourquoi cette envie soudaine de reprendre contact ? Est-ce à cause de ma nausée du monde ? Une nausée ressortie des oublis par le désenchantement des ailleurs et des là-bas, dans le cri de la lucidité ? Toujours est-il que je me trouvais de nouveau défaite de tout. Mon détachement avait, de nouveau, gommé mes contours, piqué à ma bouche un sourire griffé, répudié mes yeux dans les lointains de la méditation. Ou est-ce parce que la lettre de Yacine était postée d'Aïn Nekhla, mon village natal ? ». Pour Malika Mokeddem, écrire c'est gagner une page de vie, c'est reprendre un empan de souffle à l'angoisse, c'est retrouver, au-dessus du trouble et du désarroi, un pointillé d'espoir. « L'écriture est le nomadisme de mon esprit, dans le désert de ses manques, sur les pistes sans autre issue de la nostalgie, sur les traces de l'enfance que je n'ai jamais eue », conclut-elle. Dans une recherche consacrée à son roman Mes hommes , parue dans Les cahiers du Crasc sous la signature de Faouzia Bendjelid, cette dernière souligne que ce livre autobiographique (également) s'ouvre sur un épisode douloureux de son enfance (11 ans) qui laisse en elle des traces et des « blessures » indélébiles : l'absence d'amour d'un père qui la méprise et l'ignore et ignore toutes ses filles leur préférant les garçons ; ce sont ses fils qu'il comble d'amour ; ceci lui est insupportable. Faouzia Bendjelid souligne que c'est le récit d'une véritable fracture qui se développe dans la narration par quelques anecdotes : elle doit subir dès sa prime enfance l'exclusion de son père négateur qui lui refuse une part de son affection et de sa tendresse par discrimination et misogynie ; le discours de l'auteure est interpellatif. « T'adressant à ma mère, tu disais Mes fils quand tu parlais de mes frères, Tes filles lorsque la conversation nous concernait mes sœurs et moi. Tu prononçais toujours Mes fils avec orgueil. Tu avais une pointe d'impatience, d'ironie, de ressentiment, de colère parfois en formulant Tes filles », écrit en le déplorant amèrement Malika Mokeddem. Ce qui engendra inéluctablement incommunicabilité, incompréhension, rejet de part et d'autre gouvernent une relation tendue et explosive entre le père et la fille, ajoute l'universitaire du Crasc d'Oran. « Des conflits incessants et intenses gèrent leur quotidien. C'est un père qui ne cesse de multiplier les interdits et de manifester son autoritarisme et son oppression sur sa fille (études, mariage). Malika lui oppose une résistance sans merci et violente pour imposer ses aspirations à vivre librement et à faire ses choix », relève la même chercheuse qui explique ainsi comment est née cette rage d'écrire et de se rebeller dans l'âme de la future célèbre écrivaine qui a honoré l'Algérie et la littérature.