Pour ceux qui, dans la sphère arabe ou en Occident, souhaitent voir les pays arabes non démocratiques adopter le modèle turc pour asseoir la démocratie, il serait intéressant de savoir aujourd'hui de quel modèle parlent-ils ? S'agit-il de celui qui, comme aujourd'hui, suppose un partage du pouvoir entre la majorité au Parlement avec un rôle dévolu à l'armée dans la préservation des équilibres de l'Etat ou de celui dont rêve Erdogan, c'est-à-dire un pouvoir sans partage qui mettrait fin à toute manifestation démocratique dans le pays ? Le parti du Premier ministre, Erdogan, a remporté, cette fois encore, la majorité aux législatives confirmant une avancée de l'islamisme en Turquie. Entre le soutien de l'Union européenne pour une réforme de la Constitution turque, les mises en garde d'Israël et l'attentisme des Etats-Unis d'Amérique, le Parti de la justice et du développement (AKP), au pouvoir depuis 2002, semble avoir désormais le vent en poupe. Mais pourquoi ce parti a-t-il pu récolter autant de voix et ratisser large au sein de la société turque ? Sur le plan économique, le plan de relance d'Erdogan a eu d'importantes répercussions sociales dès lors qu'il a pu remettre sur pied l'économie du pays malgré la crise financière internationale. En 2010, la Turquie a enregistré un taux de croissance “à la chinoise” de 8,9% réduisant le taux d'inflation à moins de 6%. Qualifié de réformateur, le gouvernement d'Erdogan a obtenu en 2005 l'ouverture de négociations d'adhésion à l'Union européenne qui sont aujourd'hui au point mort en raison de prétendues divergences économiques qui cachent mal les craintes du “monde libre” d'intégrer en son sein un ogre qui pourrait bien lui coûter cher un jour. Toutefois ceci est une autre histoire. Mais qu'en est-il de l'avenir démocratique de la Turquie ? Considéré comme un modèle pour le monde arabe et musulman, l'exemple turc survivra-t-il à la poussée de l'intégrisme puisque Erdogan ne cache pas sa volonté de réformer la Constitution pour limiter le pouvoir de l'institution militaire, pourtant garante du respect du régime républicain ? Et c'est là ou apparaît l'aspect idéologique de la question. Pour ceux qui, dans la sphère arabe ou en Occident, souhaitent voir les pays arabes non démocratiques adopter le modèle turc pour asseoir la démocratie, il serait intéressant de savoir aujourd'hui de quel modèle parlent-ils ? S'agit-il de celui qui, comme aujourd'hui, suppose un partage du pouvoir entre la majorité au Parlement avec un rôle dévolu à l'armée dans la préservation des équilibres de l'Etat ou de celui dont rêve Erdogan, c'est-à-dire un pouvoir sans partage qui mettrait fin à toute manifestation démocratique dans le pays ? En Algérie, plusieurs personnalités ont évoqué le modèle turc comme alternative au régime actuel en précisant le rôle de l'armée comme garante de la Constitution. Sommes-nous à ce point incapables de produire des idées pour être condamnés à importer un système en considérant qu'il pourrait fonctionner comme dans son pays d'origine ? Cette politique du “copier-coller” ou de “système clé en main” comme ce fut le cas lorsqu'il fallait industrialiser le pays dans les années 1970 ne mène nulle part. Le modèle turc, qui semble déjà dépassé par les évènements, ne peut réussir en Algérie qui a sa propre histoire, d'ailleurs douloureuse, dans la gestion de l'islam politique.