L'idée de faire un pèlerinage à Abalessa dans le Hoggar m'a toujours fasciné, je l'avoue. Pour des raisons liées à mon insatiable curiosité d'apprendre chaque jour davantage sur l'Histoire de mon pays, pour mieux me connaître et m'affirmer davantage. Béla Bartók, le grand musicologue hongrois, n'avait-il pas déclaré, à l'issue de sa visite en Algérie, qu'on ne peut mieux chanter que dans l'arbre généalogique de son peuple ? L'occasion de faire ce voyage initiatique allait m'être donnée par l'infatigable présidente de l'association Sauvez l'Imzad. Une merveilleuse opportunité que la manifestation qu'elle organise, à Tamanrasset, pour le défricheur de l'Histoire que je suis, plus enclin, il est vrai, à célébrer ce qui advient du passé à l'effet d'ouvrir de nouveaux horizons qu'à cultiver une nostalgie inhibitrice. Ensuite, l'idée de retrouver un vieil ami, Saïd Meziane, le wali-poète de Tamanrasset, n'était pas sans m'encourager à prendre le premier avion. Surtout que les rencontres internationales initiées par Farida Sellal réussissent toujours le tour de force de mettre en scène de merveilleux entrelacs entre la poésie et cet instrument emblématique qu'est l'Imzad. Une belle revanche pour les femmes que cet ancêtre de la vielle tant il leur permet d'exprimer par la musique ce que la pudeur leur interdit de dire par les mots. Ce qui n'est pas sans laisser le champ libre aux hommes que le respect des convenances privilégie et à leurs longs poèmes lointainement inspirés par la qasida antéislamique où un narrateur éconduit déplore l'indifférence assassine de la bien-aimée. Lorsqu'il n'interpelle pas Tin Hi Nan, une énigmatique et belle ancêtre originelle des Touareg du Hoggar. Et je ne peux que comprendre cette quête et ce désir ardent de se réconcilier avec soi-même, de rendre hommage à une créature exceptionnelle, une femme irrésistiblement belle, grande, au visage sans défaut, au teint clair, aux yeux immenses et ardents, au nez fin. L'ensemble évoquant à la fois la beauté et l'autorité. C'est ce qui explique le fait qu'elle soit devenue, depuis la découverte de sa tombe en 1925 à Abalessa, une attraction touristique alors que son corps trône majestueusement au Musée du Bardo à Alger. Au moment où je fais référence à ce musée, je ne peux m'empêcher d'avoir une pieuse pensée pour son attachante directrice de l'époque. Je veux parler de Mme Aïcha Boukli-Hacène qui fut à l'origine de mon inextinguible coup de foudre pour la reine du Hoggar que le roman l'Atlantide de Pierre Benoît et son adaptation à l'écran par le cinéaste belge Jacques Feyder ont immortalisée à jamais. À ma connaissance, l'académicien français ne fut pas le premier à imaginer une histoire inspirée par une telle magnificence. Mais il faut reconnaître à l'œuvre (Grand Prix du roman de l'Académie française), largement inspirée par les thèses réductrices du Père de Foucauld, le mérite relatif d'avoir provoqué une onde de choc. En se démarquant un tant soit peu de l'imaginaire platonicien, elle évoque soudainement plus l'histoire d'une femme qu'une quête d'un océan englouti. Et il ne pouvait en être autrement à l'époque des guerres coloniales et des lendemains désastreux provoqués en France par la Première Guerre mondiale. À l'horizon des fantasmes des uns et des autres, cette terre/chair féminine devient alors île mystique, le dernier continent dont la conquête allait provoquer un déferlement hystérique. Ils furent des millions à se jeter dans l'aventure, à tenter de l'aborder mais sans jamais la matérialiser car une héroïne littéraire ne vit que par l'esprit. Le succès commercial du film de Feyder est justifié lui aussi par le contexte politique, économique et social. La Première Guerre mondiale est terminée depuis peu. Après les souffrances et les privations chacun rêve de paradis, d'amour, d'aventures au grand soleil dans des pays colonisés où l'être humain, ses espaces et ses repères ne constituent que des décors… A. M. [email protected]