Au lendemain de la décolonisation du Maghreb et surtout de l'Indépendance en Algérie, fut mise en place une politique de coopération entre notre pays et “l'ancienne puissance coloniale", notamment dans l'enseignement supérieur. Une coopération qui aurait pu paraître paradoxale, nous sommes en 1963, et qui s'inscrivait dans une démarche collective et individuelle complexe pour nombre de ces coopérants, mais également une politique d'Etat voulue par de Gaulle. Et quoi de plus intéressant dans l'Algérie d'aujourd'hui, où l'on parle encore de réforme de l'enseignement supérieur, que de découvrir le bilan fait par les acteurs de cette histoire et de cette coopération. C'est autour de cette évocation qu'a eu lieu hier une conférence donnée par le professeur Jean-Robert Henry, directeur de recherche émérite au CNRS et à l'Institut de recherche et d'études sur le monde arabe et musulman, autour de l'ouvrage Le temps de la coopération. Invité dans le cadre des activités de l'Institut français et en collaboration avec le Centre d'études maghrébines en Algérie (Cema) dont le siège se trouve à Oran, le conférencier a évoqué, aussi bien en tant qu'acteur qu'en tant que chercheur, cette période de coopération post-coloniale en rappelant que l'ouvrage est le fruit d'un travail collectif donnant la parole à certains de ses camarades et d'autres plus jeunes. L'intérêt, dira-t-il, est bien de dresser un bilan scientifique de cette politique de coopération dans l'enseignement supérieur, notamment pour les sciences sociales et le droit. Ce sont les disciplines en phase avec “la construction de l'Etat qui ont été importantes comme la faculté de droit qui a eu un rôle stratégique dans le dispositif universitaire algérien", rappellera à un moment donné le conférencier. L'universitaire explique qu'à ce moment, la motivation n'était pas “dans la fascination du fait colonial et post-colonial, mais le besoin de s'impliquer à travers une démarche personnelle ou collective, avec un attachement pour construire un monde nouveau". Pour beaucoup de ces jeunes coopérants qui avaient devant eux des militants de l'Indépendance, “certains avaient été torturés", dira-t-il, il s'agissait d'une démarche personnelle engagée ; “ils étaient contre le colonialisme" et donc de participer “à la construction d'un nouveau monde, progressiste non capitaliste mais avec l'utopie de la réconciliation". À partir de 1963 et jusqu'en 1970, ce sont entre 15 000 et 18 000 coopérants qui sont arrivés en Algérie pour remplacer aussi les quelque 400 000 fonctionnaires qui avaient quitté le pays au lendemain de l'Indépendance. Il est vrai que tous étaient porteurs d'idéaux progressistes, nous dit l'intervenant, pour expliquer les motivations des uns et des autres. “Ils avaient le cœur à gauche", explique-t-il. Mais si à l'époque la question de cette présence des coopérants était jugée comme étant encore “un moyen de maintenir l'influence de l'ancienne puissance coloniale", un néocolonialisme, pour les acteurs de l'époque, dont Jean-Robert Henry qui témoigne : “On ne nous a jamais jeté au visage le passé colonial, la guerre, la question de repentance ne s'est jamais posée à cette époque, c'était une notion inconnue." Et d'ajouter qu'il s'agissait pour beaucoup d'entre eux de comprendre comment fonctionnait cette ancienne société, avant le fait colonial. L'une des ruptures de ce temps de la coopération, le conférencier la situe avec le coup d'Etat de 1965 qui “a un peu bouleversé les choses, fait naître la perte de cette utopie de réconciliation avec les effets durables de la colonisation". L'autre vraie rupture fut la réforme de 1971 et le choix de l'arabisation, une période dont l'histoire mérite d'être écrite, du moins tant que les acteurs de ce moment sont vivants. “Ecrire l'histoire de la réforme de 1971, ce qu'elle voulait, ses ratages, ses effets, et cela pour comprendre au mieux où en est l'université algérienne", dira le conférencier, interpellant en quelque sorte ses collègues algériens présents dans la salle. D. L Nom Adresse email