Zemmouri : L’espoir fait… Voter

Les sinistrés du séisme aux urnes

Terriblement touchés par le tremblement de terre du 21 mai dernier, les sinistrés de Zemmouri sont allés voter massivement et pour Bouteflika. Pourtant, les promesses de relogement n’ont pas été tenues. Les raisons d’un plébiscite.
Un baraquement métallique en guise de siège pour la mairie, un autre pour la police, des camps d’habitation disséminés dans la plaine et sur la plage.
À Zemmouri, les espoirs préfabriqués font couler le béton sur une terre mouvante et fragile qui retient, grippées à des murs de bois et de tôle, des existences rescapées du néant. Il y eut un 21 mai dévastateur.
Écartelée par la faille du séisme, Zemmouri a englouti ses hommes. Près d’une année après le drame, les survivants foulent encore le vaste cimetière en craignant à leur tour d’être aspirés par une nouvelle tourmente. Des secousses épisodiques leur rappellent leur chance d’être en vie. Aujourd’hui modestes, leurs ambitions expriment un besoin minime de sécurité, un toit résistant qui ne risque pas de leur tomber sur la tête et une ville paisible sans le moindre terroriste embusqué dans ses ruelles et ses buissons.
“LE PRÉSIDENT NOUS A RELOGÉS�
Doublement affligée par le sort, la localité a fait face aux soubresauts de la nature après avoir subi le diktat des groupes armés. “El hamdoullah, nous sommes en paix maintenant�, se félicite Sadek. Ce vieux commerçant de Zemmouri a voté pour Bouteflika. Deux arguments ont motivé son choix. “Le président nous a relogés. Il a aussi rétabli la sécurité�, explique le sexagénaire. Rencontré sur le seuil de la mairie, Sadek scrute l’arrivée d’un ami. Celui-ci doit retirer sa carte d’électeur auprès des autorités municipales. “J’étais surpris d’apprendre qu’il n’avait pas l’intention d’aller voter�, s’offusque le septuagénaire. Sous son air ombrageux, cette envie d’exister et de faire valoir son choix exprime une réelle détresse.
“Qui aurait dit que je survivrai au dernier tremblement de terre�, soupire Sadek. Un instant replongé dans les images de la terreur, il rouvre les yeux sur la réalité.
Tout autour de lui, dans ce centre-ville défriché par les bulldozers, des boîtes blanches ont remplacé les maisonnettes aux toitures en tuiles rouges, la mosquée orpheline de son minaret et lui de ses nombreux voisins. “J’aurai pu y passer moi aussi�, répète inlassablement le rescapé. Il aurait pu y passer le jour où des agents de la Protection civile l’ont découvert écrasé sous un mur. Miraculé, il s’emploie depuis à marquer de ses pas le destin de la communauté, sa résurrection. Sa première initiative a eu pour objectif la reconstitution à titre bénévole du fichier de l’état civil. Ce fut là l’expression de son instinct de survie, le plus important à ses yeux. “Je croyais que vous étiez décédé�, lui avait annoncé confus un agent de la mairie, le jour où Sadek est allé dans le fameux baraquement pour retirer un extrait de naissance. La même réponse a été donnée à cet ami qu’il attend en ce jeudi matin devant le siège de la mairie.
“Tu dois aller voter !�, le presse-t-il depuis quelques jours. Il est 11 heures. L’ami tant attendu arrive. Sur insistance de Sadek, il s’engouffre dans les locaux de l’APC et ressort quelques minutes plus tard muni de sa précieuse carte d’électeur. C’est décidé, il ira voter… pour Bouteflika. “C’est le seul qui est venu nous voir après le séisme�, argue-t-il. “Il me plaît�, répond simplement cette femme rassasiée par les images de l’ENTV.
Profondément déçue de ne pas avoir retrouvé son nom sur le fichier électoral de la commune, Zohra fait également partie de ces centaines de rescapés du tremblement de terre. Elle vit dans un chalet sur les hauteurs de la ville. Entre autres commodités mises à sa disposition par des proches, un téléviseur qui l’a gorgé d’images du président. “C’est un homme qui travaille. Il a réglé pas mal de problèmes à beaucoup de gens�, soutient la ménagère. Là devant le baraquement de l’APC d’où elle est sortie bredouille, elle énumère les réalisations du président, dont la plus importante, selon elle, la paix. Zohra parle aussi de la réhabilitation de l’image de l’Algérie à l’étranger. “Charafna� (il nous a honorés), lance-t-elle fière. Vêtue de son modeste hidjab, elle habille le décor triste de son quotidien de cet emblème vert et rouge qui accompagne Bouteflika dans ses voyages à travers le monde.
Oubliée la responsabilité de l’État dans son malheur, quand celui-ci refusait de lui octroyer un logement à la place de sa masure soufflée par le cataclysme, balayant ainsi ses ressentiments et sa rage. Zohra a vu le président inaugurer des cités partout dans le pays, distribuer des enveloppes aux walis. Elle aussi y croit.
Elle pense que son tour viendra. Fatima, Daouia, Taos… toutes nourrissent la même certitude. Agglutinées devant un bureau de vote de l’école primaire Rahal-Mohamed-Saïd, elles encombrent l’entrée de la salle de classe. Leur carte d’électrice à la main, elles s’impatientent. “Je dois reconnaître que c’est la première fois que je viens voter�, confie Fatima. Comme Sadek, son envie de vivre et de prouver qu’elle existe encore explique sa ferveur.
À l’intérieur du bureau, la sérénité se lit sur le visage de toutes les présentes, les votantes, les scrutatrices et les observatrices des candidats. On est entre femmes, donc à l’aise. La détente ambiante s’est transformée en moment d’hilarité lorsqu’une vieille dame s’approche de la table où sont alignés les bulletins. S’accommodant uniquement de son jugement, elle fait fi à la réglementation et s’empare du bout de papier qui décline le portrait du président-candidat.
Elle s’introduit dans l’isoloir et ressort au bout de quelques minutes, munie de la précieuse enveloppe blanche, contenant sa voix. Dans son cas, le vote n’est pas secret. Il est sans surprise comme partout ailleurs dans cette communauté épargnée par la providence.
À la sortie des centres de vote, les petites interviews avec les uns et les autres ont valeur de sondage… très instructif. Les choix assumés par les électeurs préfigurent un véritable plébiscite pour l’ex-candidat du consensus.
“IL A ACHETÉ LES ALGÉRIENS�
“Ses adversaires sont naïfs de croire qu’il va recourir au bourrage des urnes. Bouteflika fraude depuis des mois�, fait remarquer cet abstentionniste convaincu. Il n’a jamais voté et ne compte pas le faire aujourd’hui. Pour cause, si les candidats, selon lui, se valent et sont partie intégrante du système, Bouteflika s’est avéré plus malin. “Il a acheté les Algériens�, tonne-t-il défaitiste. Les personnes âgées invoquent le rétablissement de la paix comme le plus grand atout du chef de l’État, les jeunes lui sauront gré de les avoir dispensés du service national… Le bilan de son quinquennal a servi à Bouteflika de programme électoral attractif. “C’est du vent�, s’insurge un partisan d’Ali Benflis. Mêlé à une discussion avec les sympathisants du président, il rejette en bloc leurs arguments. “S’il passe, ce sera uniquement par la fraude�, tempête-t-il. Dans un bureau de vote de l’école Rahal-Mohamed-Saïd, Hassina et Safia font office d’observatrices pour le compte du chef de l’État et son ex-Chef de gouvernement. Bonnes amies et camarades dans un centre de formation professionnelle, elles s’épient comme des chiens de faïence. Elles s’adressent à peine la parole et préfèrent se concentrer sur leurs tableaux de notation et dessinent une croix à chaque fois qu’une enveloppe est introduite dans l’urne. “Pour l’instant, tout se passe très bien�, disent-elles l’une après l’autre. À midi, le nombre d’électrices dans le centre a atteint 360 sur 2 495 inscrites.
“C’est appréciable�, note le chef du centre. À la clôture de l’opération de vote, le taux de participation dans toute la wilaya de Boumerdès a dépassé 50%. Bouteflika a raflé 84% des voix.
S. L.