À peine installé à la tête du Département du renseignement et de la sécurité (DRS), en remplacement de l'homme au cigare, Mohamed Mediène, dit Toufik, certains médias se sont empressés à mettre un visage sur le nom et à établir une biographie "élogieuse" du général Athmane Tartag, dit Bachir. En moins de 24 heures, les Algériens découvrent un nouveau patron du DRS aux lieux de naissance distincts, "ses" nouveaux biographes le donnant né à Oum El-Bouaghi, alors que d'autres affirment qu'il est natif d'El-Eulma. D'autres disent qu'il est originaire de la ville côtière de Jijel. De Toufik, on disait qu'il est né à Guenzet, alors que d'autres encore affirmaient qu'il a poussé ses premiers cris à Boumerdès et a fait ses premières années de scolarité à Bab El-Oued. Depuis son départ à la retraite, la thèse d'une naissance à Tizi Ghenif ou Boghni, dans la wilaya de Tizi Ouzou, est avancée. D'accord sur son parcours universitaire, puisque Tartag a fait ses études à l'université de Constantine, ces mêmes biographes du nouveau patron du DRS situent sa date de naissance au début des années cinquante. Pourtant, sur une des photos publiées par les sites d'information, Athmane Tartag paraît plutôt appartenir à la génération de ceux qui l'ont récupéré du banc des retraités, tout comme les autres caciques d'un système constamment présenté comme finissant, mais qui se renouvelle en faisant toujours appel à ses vieux et fidèles serviteurs. Durant des années, le mystère qui a entouré la personne du désormais ex-patron du DRS a été l'objet de questionnements et d'une folle course aux scoops pour celui qui aura la primauté de montrer aux Algériens la figure de ce "Reb Dzaïr". Cet intérêt pour le personnage de Toufik peut, évidemment, s'expliquer par une conjoncture politique et sécuritaire particulière. Pour le commun des Algériens, le DRS a incarné la police politique et la terreur vécue par toute une génération de militants. D'aucuns n'ignorent pas que les militaires ont toujours été les maîtres du jeu politique dans notre pays et que le chef d'orchestre était toujours, dans l'imaginaire du peuple, Mohamed Mediène, un faiseur de rois qui a fini par être éjecté du circuit après 25 ans de règne à la tête du DRS. Montrer à quoi ressemble "Reb Dzaïr" relevait donc de ce besoin de savoir qui était cet homme qui "gérait" le pays d'une main de fer et dont l'existence physique était parfois remise en cause par les citoyens lambda, afin, disaient certains, d'entretenir le mythe d'un DRS qui a l'œil sur tout et des oreilles partout. Avec l'arrivée du "bombardier" à la tête du DRS, aux structures rattachées désormais à l'état-major de l'armée, le même schéma se reproduit, comme si cela relevait d'une urgence politique. Durant des années, la recherche du lieu de naissance de Mohamed Mediene et de sa photo a capté l'attention de tout le monde, nous faisant parfois oublier l'essentiel des questions qui engagent l'avenir de notre pays dans un monde de plus en plus complexe. Le journal gouvernemental El Moudjahid a bel et bien illustré son compte-rendu de la passation de consignes entre le général Bousteila et son successeur à la tête de la Gendarmerie nationale par une "photo du jour" mais a soigneusement évité d'accompagner par l'image l'article sur la cérémonie, présidée par Gaïd Salah, durant laquelle Toufik a officiellement cédé son poste à Tartag. Tout cet intérêt à nous montrer de vraies-fausses photos de Athmane Tartag et nous faire le récapitulatif de son parcours improbable, en insistant sur des détails dont on peut bien se passer, et cette censure officielle illustrée par les choix iconographiques d'un journal gouvernemental, ne participent-ils pas de cette même logique de mythification du patron du DRS ? On peut le penser, et à juste titre. Et cela est de nature à disqualifier la thèse d'un processus de "civilisation" des Services secrets algériens. L.M.