Le 1er mai 1962 a lieu, dans le Hoggar, à In Ecker précisément, le second essai nucléaire souterrain français en Algérie. Connue sous le nom de code "Béryl", cette expérience, qui a mal tourné, a provoqué une catastrophe radioactive incommensurable, avec une onde de choc de plusieurs centaines de kilomètres. Selon des spécialistes, il s'agit du premier incident nucléaire de l'histoire. Certains le surnomment d'ailleurs le Tchernobyl 1. Deux ministres français de l'époque, Pierre Mesmer (Armées) et Gaston Palewski (Recherche scientifique), qui ont assisté à l'expérience, ont été irradiés, ainsi que plusieurs soldats du personnel militaire français présents sur place. La radioactivité a également touché les populations de la région, encore largement contaminée. Evitant une opération de décontamination coûteuse, l'armée française s'est contentée de boucher, avec du béton, les galeries qui ont contenu la charge atomique. Légalement, elle a fait en sorte d'enfouir toutes les informations liées à l'épisode Beryl. L'enregistrement des appareils de mesure de radioactivité a été mis sous secret défense, ainsi que d'autres documents concernant l'essai en question. En 2013, le ministère de la Défense, alors dirigé par l'actuel patron du Quai d'Orsay, Jean-Yves Le Drian, a accepté, dans le cadre d'une enquête judiciaire déclenchée par d'anciens soldats, de rendre publique une carte relative au premier essai nucléaire de la France dans le Sahara, plus connu sous le nom de "Gerboise bleue". Ce document avait révélé l'étendue du nuage radioactif, visible jusqu'en Afrique subsaharienne. Mais à ce jour, on ignore encore tout des répercussions exactes de l'explosion nucléaire Beryl. Les informations les plus précises proviennent d'anciens soldats qui réclament à l'Etat français la vérité et demandent réparation. Un témoignage édifiant a été publié ces derniers jours dans le journal régional La Nouvelle République. Il provient d'Albert Nadeau, référent pour la Vienne de l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven). L'ancien soldat avait 20 ans au moment où l'expérience Beryl a été menée. Il évoque un souvenir glaçant qui le tenaille et ressurgit avec violence chaque 1er mai. À l'époque des faits, Albert Nadeau était appelé de 1re classe du 5e régiment du génie. Posté dans le Sahara, il avait déjà assisté à une première expérience à In Ecker, au nom de code Agate, et qui a eu lieu à l'automne 1961. Selon lui, les galeries creusées dans le granit de la montagne de Tan Afella (emplacement de la charge atomique) étaient déjà fragilisées. Il se souvient du bruit de l'explosion et du nuage radioactif qui a surgi. "La montagne s'est soulevée, elle est montée de 32 centimètres. Pendant dix secondes, on avait l'impression d'être sur des rouleaux. Et le sol s'ouvrait, se refermait", raconte-t-il. Pour rejoindre la base de vie d'Aïn M'guel située à 35 kilomètres du site de l'essai, les soldats doivent traverser le nuage. Quelques jours plus tard, l'ensemble de la troupe est rapatriée en France pour subir des tests médicaux. Le corps d'Albert Nadeau porte des traces de radioactivité qui disparaîtront, d'après ses dires, par miracle, après un second examen. Le soldat est démobilisé en 1963. On lui rend son livret militaire, mais sans les pages centrales qui font référence à l'essai Beryl. Aujourd'hui, il se bat avec d'autres vétérans au sein de l'Aven, afin d'éclairer davantage cet épisode dramatique. "On parle toujours de Mururoa (ndlr : site polynésien des derniers essais nucléaires français)... On a vu la même chose, mais on n'a pas vécu le même truc. Ce n'était pas la même époque, pas la même position, pas les mêmes conditions, moi, je voudrais qu'on reconnaisse les victimes des essais du Sahara algérien", réclame Albert Nadeau. En 2013, deux anciens scientifiques du contingent français en Algérie Louis Bulidon, ingénieur chimiste, et Raymond Sené, physicien nucléaire, ont pris la parole pour témoigner de ce qu'ils ont vu. Ils ont écrit une lettre ouverte à l'ex-chef d'Etat, François Hollande, lui demandant de déclassifier les documents concernant la catastrophe Béryl. "Quel sort a été celui des populations sahariennes ainsi exposées à la radioactivité et qui s'en est soucié en France ? Monsieur le Président, au terme de nos vies, nous voulons dire que notre pays ne peut continuer à se soustraire à son devoir de mémoire et de réparation face aux conséquences de ces campagnes de tirs nucléaires et nous en sommes encore les témoins pour dénoncer sa passivité. L'Histoire, nous en sommes convaincus, rattrapera la France pour ce déni de justice", ont écrit les deux scientifiques. Il faut savoir qu'au moment des faits, la France avait aussi caché son intention de mener une expérience nucléaire souterraine. Elle avait prétexté l'organisation d'une prospection minière d'or et d'uranium pour aménager un site de tir. S. L.-K.