Le Comité national des droits de l'homme en Libye a alerté hier contre un chaos humanitaire que la bataille de Syrte risque de provoquer. Le Gouvernement d'union nationale (GNA) de Tripoli, internationalement reconnu, a annoncé samedi soir l'envoi d'importants renforts en direction de la ville stratégique de Syrte (457 km au sud-est de la capitale), un des derniers fiefs du général Khalifa Haftar dans l'Ouest libyen. "Dans le cadre du soutien continu à l'opération Chemins de la victoire, d'importants renforts sont arrivés de diverses villes libyennes, samedi soir, alors que des cadres lourdement armés et du matériel logistique et militaire lourd affluaient vers les bases de nos vaillantes forces", a annoncé le commandement des opérations pour la protection de Syrte et d'Al-Djafra, du GNA, sur sa page facebook. Une colonne d'au moins 200 véhicules militaires blindés at pris la route durant le week-end pour appuyer les troupes du GNA qui encerclent Syrte, la ville natale du défunt colonel Mouammar Kadhafi, qualifiée par l'Egypte de "ligne rouge", ce qui risque en effet de transformer cette bataille en une confrontation directe en terrain neutre entre Le Caire qui soutient Haftar et Ankara qui appuie le GNA depuis le début de l'année. L'intervention militaire turque aux côtés du GNA a permis d'ailleurs de mettre fin à un an de combats contre l'Armée nationale libyenne (ANL) de Haftar, après avoir vainement tenté de prendre le pouvoir à Tripoli. Mais pourquoi tant de tensions et l'intérêt pour les différents acteurs de cette crise d'asseoir leur contrôle sur Syrte ? Cette ville côtière est située en effet à la limite de ce qui est communément appelé le Croissant pétrolier, qui s'étend sur 205 km vers l'est du pays jusqu'à la ville de Tobrouk, où s'est exilé le Parlement élu en 2014 pour des raisons sécuritaires à l'époque. Il concentre à lui seul l'essentiel de l'industrie pétrolière (puits, raffineries et ports pétroliers), d'où la Libye tire la quasi-totalité de ses revenus pétroliers. Le Croissant pétrolier contient 80% des réserves en pétrole et en gaz libyen, soit l'équivalent de 45 milliards de barils de pétrole et 52 trillions mètres cubes en gaz. Actuellement, toute la zone est sous le contrôle de l'ANL et des mercenaires russes, soudanais et syriens que la société de sécurité russe Wagner a mobilisés ces derniers jours, malgré les appels de la communauté internationale et les dénonciations de la Compagnie nationale libyenne du pétrole (NOC) à préserver les installations pétrolières de tout conflit, étant la seule ressource de survie pour le peuple libyen. Pour sa part, le général Haftar a envoyé aussi des renforts vers Syrte, lourdement armés avec des équipements russes, rapporte la presse libyenne. Outre la ville de Syrte, le GNA se prépare aussi à reprendre le contrôle de la base aérienne d'Al-Djafra, actuellement aux mains de l'ANL. Cette base aérienne au centre du désert libyen est distante de 300 km de Syrte et constitue un point de ravitaillement et d'appui pour Haftar. Récemment restaurée, elle peut accueillir différents types d'avions de combat. La semaine dernière, le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlüt Çavuşoğlu, a conditionné tout retour aux négociations par le retrait des troupes de Haftar de Syrte et d'Al-Djafra, suscitant évidemment la réaction de l'Egypte qui a menacé d'intervenir directement en Libye, bénéficiant de l'appui des Emirats arabes unis et de l'Arabie Saoudite, ainsi que du soutien russe que les Etats-Unis dénoncent depuis un moment, sans apporter pour autant un appui franc au GNA et à leur allié turc en tant que membre de l'Otan. Ce télescopage des intérêts et jeu d'alliances entre les différents intervenants dans cette crise libyenne ne facilite pas le retour à la table des négociations et le lancement d'un véritable dialogue interlibyen inclusif, loin de toute ingérence étrangère, comme le réclament l'Algérie et la Tunisie. Par ailleurs, le Comité national des droits de l'homme en Libye (NCHRL) a alerté hier contre un chaos humanitaire que la bataille de Syrte risque d'entraîner dans son sillage, dans un communiqué publié sur les réseaux sociaux. "Le Comité national des droits de l'homme en Libye exprime ses graves préoccupations quant à la possibilité d'une nouvelle crise humanitaire dans la ville de Syrte, à la suite du renforcement militaire à ses frontières, qui menace une escalade militaire, qui aggravera les souffrances de la population civile et l'escalade des souffrances humaines qu'elle subit", lit-on dans ce communiqué du NCHRL. Lyès Menacer