La crise sanitaire a induit de grands bouleversements pas seulement dans le fonctionnement de l'économie, mais aussi dans les rapports sociaux devenus otages des mesures de restriction et de protection. Jamais le pays et par-delà le monde n'a vécu un tel cataclysme. Qui aurait imaginé un instant, il y a une année à peine, qu'un micro-organisme intangible impacterait aussi durement la vie aux plans social et économique ? Personne, sans aucun doute. Le 17 novembre 2019 au diagnostic du premier cas Covid+ à Wuhan, en Chine, les préoccupations des Algériens étaient aux antipodes de la menace qui allait bouleverser leur quotidien et les ferait vivre continuellement dans la psychose d'une contamination virale à l'issue incertaine, moins de six mois plus tard. Hospitalisation, détresse respiratoire, confinement..., le champ lexical de la Covid-19 paraissait surréaliste dans l'actualité du pays, rythmée à l'époque par les actes du Hirak, la campagne électorale pour la présidentielle du 12 décembre et... les discours hebdomadaires du défunt général de corps d'armée Ahmed Gaïd Salah. Le virus se propage en Italie, en Espagne et en France fin décembre, début janvier. Il se rapproche de nous. Le 26 février 2020, le ministre de la Santé, de la Population et de la Réforme hospitalière, le Pr Abderrahmane Benbouzid, annonce la confirmation d'une première infection au coronavirus intra-muros. La nouvelle n'inquiète guère la population. L'évolution de la situation sanitaire à une dizaine de cas, en quelques jours, non plus. Les marches des mardis et des vendredis, rassemblant des dizaines de milliers de manifestants dans la majorité des wilayas, se poursuivent, bien que de plus en plus de marcheurs portent des bavettes. Le 11 mars 2020, l'Algérie enregistre 24 Covid+ dont 5 nouvelles contaminations en 24 heures et un premier décès. Le risque prend alors sa mesure dans les esprits. Sur les réseaux sociaux, les appels à prendre des dispositions préventives se multiplient autant que les incitations à mettre en veille les actions de rue du mouvement citoyen. Les pouvoirs publics ordonnent la fermeture des établissements scolaires, puis des campus universitaires, des frontières, des mosquées, des commerces, des services, des restaurants, des cafés et des fast-foods, des lieux de loisirs et des jardins publics. Blida, foyer de l'épidémie à son émergence, est totalement confinée, les résidents des autres villes sont astreints à rester chez eux de 15h à 7h. Les entreprises mettent leurs personnels en congé forcé, exceptionnel ou au télétravail. À partir du 20 mars, les Algériens adoptent un mode de vie dicté par la crise sanitaire. Les fêtes familiales sont interdites, les enterrements se déroulent à huis clos, la communication entre proches est quasiment circonscrite à la sphère virtuelle. Comme le reste du monde, l'Algérie s'enferme dans une bulle. Pourtant, la courbe des infections ne fléchit guère. Le système de santé est confronté à ses carences et son obsolescence. Le personnel soignant frôle le burn-out, perd nombre des siens, emportés par le nouveau Sars-CoV-2. Au bout de quelques semaines de confinement, les entreprises de petite et moyenne taille, ainsi que les commerces, les artisans et certaines professions libérales sombrent financièrement. Des milliers de travailleurs sont mis au chômage technique ou en congé sans solde. D'autres perçoivent des salaires ponctionnés de toutes les primes. L'inflation concourt à l'érosion du pouvoir d'achat. La perte de revenus, la claustration, la surconsommation des informations sur la Covid-19 (ses effets et ses conséquences), le manque d'activités physiques, la rupture de traitements vitaux et, parfois, de denrées alimentaires de première nécessité... favorisent les troubles psychiques. Le stress, l'angoisse, le mal-être, le manque de perspectives... conduisent à une explosion de violences conjugales. La première vague atteint le pic de 700 contaminations par jour au mois de juillet. La deuxième est en voie de battre chaque jour un nouveau record national. Dès lors que les conditions de confinement demeurent relativement souples, les citoyens mènent un quotidien presque normal. Les apparences sont assurément trompeuses. Porter constamment un masque de protection dans les lieux publics, garder ses distances et éviter le contact direct avec les autres (accolades, serrement de mains...), désinfection compulsive des surfaces et des objets... sont de nouvelles habitudes imposées par le nouveau coronavirus, autant que cette propension à ne plus faire de projets de vacances ou se projeter dans un avenir professionnel différent.