Liberté : Après analyse des huiles contenues dans le puits d'Ouled Rahmoune (Constantine), Sonatrach a conclu qu'il s'agit d'une "huile de moteur très dégradée, prouvée par la présence de métaux en quantités importantes qui est probablement due à l'usure et à la pollution". Faut-il croire que les résultats de cette analyse sont définitifs et qu'il faudra désormais clore cette affaire ? Dr Ali Kefaïfi : Le forage réalisé durant la période du 23 mars 2021 a conduit à déceler des composants hydrocarbures et minéraux dans les rejets liquides, solides et gazeux du forage. Selon les premières conclusions de Sonatrach et de l'Administration, il s'agirait de lubrifiants et d'huiles usagées rejetées dans l'environnement. Leur analyse se base essentiellement sur la découverte de résidus métalliques aux rejets de fluides hydrocarbures ayant atterri dans le bourbier. L'erreur des techniciens de Sonatrach est de se focaliser sur les rejets d'huile de vidange et d'oublier les autres options, à savoir le soutirage illicite de carburants à partir des pipelines existants et/ou la traversée de gisements de kérogène. En effet, les résidus métalliques et minéraux ne caractérisent pas seulement les rejets d'huiles de vidange (lubrifiants, graisses, huiles de transformateurs, etc.), mais sont les constituants naturels des roches-mères et des roches réservoirs d'hydrocarbures. Les techniciens de Sonatrach peuvent-ils ignorer ou oublier les rudiments de base de la géologie pétrolière ? Pourquoi les autres options dont vous parlez n'ont pas été prises en compte par les enquêteurs chargés de l'analyse des huiles et des gaz contenus dans le forage ? Les conclusions des analyses faites par le groupe pétrolier conduisent à éliminer le problème posé en termes d'exploration pétrolière et/ou minière. On peut s'étonner aussi de l'absence du secteur minier dans ce dossier, à savoir l'Organisme de recherche minière (ORGM), alors que l'hypothèse la plus probable, ou la moins improbable, est l'existence d'un gisement de kérogène, un combustible minéral solide. Contrairement au pétrole brut, hydrocarbure liquide et gazeux qui a peu de chances de migrer vers la subsurface sans s'évaporer, le kérogène solide peut se trouver à 90 mètres sous la surface et constituer un gisement d'hydrocarbures. Les schistes qui constituent la roche-mère de ce kérogène contiennent de nombreuses matières minérales et métalliques. En outre, en forant la couche en sous-sol, le trépant lui-même peut, par frottements et usures, donner des résidus métalliques ou entraîner les matériaux et minéraux contenus dans la roche-mère. Le comportement des techniciens de Sonatrach face à cet exercice permet de comprendre l'échec absolu de l'exploration minière et pétrolière de ces 20 dernières années : la cause de l'échec total ne réside pas dans l'attractivité des codes miniers ou pétroliers, mais dans l'indigence et la nullité des prospects mis en compétition par les agences administratives (Anam, Alnaft). Selon vous, quelle aurait été la meilleure démarche à suivre et quelles sont les autres pistes à explorer pour aboutir à une analyse fiable et globale à la fois des substances découvertes dans le puits et des hypothèses outre celle avancée par Sonatrach ? Une première remarque porte sur la démarche : une approche rigoureuse, stratégique du type Top-Down, aurait dû être suivie, au lieu de l'approche "techniciste" du type Bottom-Up comme cela a pu être fait et qui mène à l'impasse "garage" comme c'est le cas pour les politiques minières et pétrolières vouées à l'échec total et à l'Etat rentier de 2000-2020. Ainsi, l'analyse complète des différentes options permet de tester les différentes hypothèses, à savoir le soutirage illicite à partir des pipelines de carburants, les vidanges et les rejets de lubrifiants et d'huiles usées, les gisements de kérogène (huiles de schiste), la présence en sous-sol de réservoir de pétrole conventionnel et de fractures. Notre société pétrolière devrait aborder le problème dans un cadre rigoureux surtout que le Nord constantinois recèle très probablement des hydrocarbures (schistes bitumineux ou kérogènes, hydrocarbures conventionnels, etc.) Dans ce cadre, n'importe quelle entreprise ou organisme étranger aurait mené une analyse circonstanciée, approfondie, autour d'une équipe de 2 ou 3 personnes, pour tester les différentes options citées ci-dessus. L'option de la présence d'un gisement de schistes bitumineux (oil shale) est-elle probable d'après vous ? Cette option présente une très forte probabilité. Elle a, d'ailleurs, été présentée aux cadres du secteur des mines lors d'un séminaire animé par le professeur Kazi Tani (ministère de l'Industrie et des Mines, le 27 juillet 2015). Durant ce séminaire, le professeur avait exposé, entre autres, l'exploration de nombreux sites dans le Constantinois (dont la wilaya d'Oum El-Bouaghi), recélant des gîtes contenant en même temps de l'argile, du calcaire et du kérogène, constituants idéaux pour la production de ciment sans utilisation de gaz naturel ou d'autres formes d'énergie, ciments dits auto-cuisants. Ce procédé est utilisé depuis des décennies, voire un siècle en Europe (Allemagne et Estonie), pour produire du ciment et, en complément, de l'énergie électrique. Il y a une quinzaine d'années, nous avions mené un projet de développement d'une structure similaire de kérogène en Mauritanie et qui aurait pu servir à la construction du projet d'autoroute allant de la frontière algéro-mauritanienne à Nouakchott.