L'Etat et la société mobilisés    Les zones de prédilection de corruption dans les marchés publics    « L'Algérie a réussi un exploit stratégique »    Le Monde au chevet de l'armée d'Israël ou comment on fabrique l'innocence    La folie fatale de Netanyahou qui le rapproche de sa fin !    La France reporte la conférence internationale sur la Palestine    Une fin de saison en toute sportivité    Ce qu'il faut savoir sur la Coupe du monde des clubs    Poumon du développement, améliorer la gestion de la politique des transports en l'Algérie    Des chercheurs ont créé un outil pour repérer les ouvrages toxiques    Prix du Président de la République pour les jeunes créateurs : les lauréats unanimes sur l'importance de cette distinction et son rôle dans la stimulation et la valorisation des créations des jeunes    L'ONSC salue la position de l'ANC en faveur de la cause sahraouie    In Amenas: arrestation de 3 étrangers armés et saisie de plus de 1,2 mn de psychotropes    Activités variées à l'Ouest du pays à l'occasion de la Journée nationale de l'artiste    Saihi présente à Tunis l'expérience de l'Algérie dans la mise en œuvre de l'approche "Une seule santé"    Tour du Cameroun: l'Algérien Islam Mansouri nouveau maillot jaune    Blé dur: la production nationale attendue assurera l'autosuffisance pour l'année 2026    Assainissement du foncier agricole: installation dès dimanche des comités de wilayas pour l'examen des dossiers    Béjaïa: le FFS plaide pour la préservation de l'unité nationale    Les établissements audiovisuels priés de cesser l'exploitation illégale des œuvres protégées par des droits d'auteur    Meeting International de Seine-et-Marne: les Algériens Bouanani et Hocine en Or    Chargé par le président de la République, le Premier ministre préside la cérémonie de remise du Prix du Président de la République pour les jeunes créateurs    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 55.297 martyrs    Le chef de l'AIEA appelle l'entité sioniste à la plus grande retenue après ses attaques contre l'Iran    Décès de l'ancien photographe de l'APS Mahrez Amrouche : le ministre de la Communication présente ses condoléances    L'Algérie préside la Commission de l'application des normes internationales du travail lors de la 113 session de la Conférence internationale du Travail    Foot/Tournoi amical (U17) /Algérie-Tunisie : la sélection algérienne poursuit sa préparation à Blida    2.000 enfants issus d'Adrar et de Tamanrasset bénéficieront de séjours dans des villes côtières    Lundi 30 juin 2025, dernier délai pour soumettre les candidatures    La saison 2024/2025 sélectionne son champion    L'Ensemble ''Senâa'' de musique andalouse rend hommage à Mohamed Khaznadji    Des maisons de jeunes mobilisées pour accueillir les candidats durant la période d'examen    Début de la campagne moisson-battage dans les wilayas du nord, indicateurs annonciateurs d'une récolte abondante    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    L'Algérie est en mesure de relever toute sorte de défis !    Une série d'accords signés entre l'Algérie et le Rwanda    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



«La question palestinienne montre toute l'absurdité de notre idée de responsabilité de protéger»
Publié dans La Nouvelle République le 14 - 10 - 2011

Les questions palestinienne et libyenne entre «droit d'ingérence» et «responsabilité de protéger», la politique de l'échiquier et l'attitude des Verts européens, tels ont été les sujets abordés par La NR avec Jean Bricmont, analyste politique, physicien et essayiste, membre de l'Académie royale de Belgique.
La Nouvelle République : Vous soulignez que «d'un point de vue strictement légal, la résolution du Conseil de sécurité concernant la Libye est discutable. Elle est en fait le résultat d'années de lobbying pour faire reconnaître le droit d'ingérence qui se trouve ici légitimé». Pouvez-vous expliciter davantage ? Jean Bricmont : Depuis des décennies, les Occidentaux plaident pour un «droit d'ingérence humanitaire», qui est rejeté par l'immense majorité des pays du Sud. Avec la résolution sur la «responsabilité de protéger» ils sont arrivés en partie à leurs fins parce que cette résolution accepte, mais sous conditions, certaines formes d'ingérence. Il faut néanmoins noter que la première application de cette résolution, au moins de son esprit, en Libye, a mené immédiatement à une violation massive du droit international, y compris de la «responsabilité de protéger». En effet, même en admettant tout ce qu'a dit l'Otan avant la chute de Tripoli, comment peut-on prétendre protéger des civils en bombardant lourdement encore aujourd'hui les villes qui résistent au CNT ? Cela explique sans doute pourquoi les Russes et les Chinois ne veulent plus se laisser rouler dans la farine et adoptent une attitude ferme sur la Syrie. En fait, la première application de la résolution sur la responsabilité de protéger pourrait bien être la dernière à cause, justement, de la façon dont l'Otan a abusé de la situation pour mettre en œuvre le «changement de régime» qui n'est absolument pas prévu par cette résolution et est en conflit fondamental avec la Charte de l'ONU. Vous ironisez également en disant que «les guerres de l'Otan sont recyclables et l'impérialisme a été intégré au développement durable», une déclaration lourde de sens... L'ironie portait sur l'attitude des Verts (ou écologistes) européens qui soutiennent à fond la guerre. Ce mouvement qui, lors de sa naissance dans les années 1970, en pleine guerre froide, prônait la résistance passive non violente, même face à une invasion, est devenu ultra-militariste du moment que les guerres sont faites au nom des droits de l'homme, comme en Kosovo et en Libye. M. Cohn-Bendit a fortement critiqué l'Allemagne pour sa non-participation à la guerre. Bien que ce soit une réaction plutôt sentimentale, pour quelqu'un de ma génération, celle de 1968, le fait qu'un ex-soixante-huitard, allemand d'origine juive, critique l'Allemagne pour son pacifisme apparent a quelque chose de surréaliste. Mme Joly, candidate des Verts français à l'élection présidentielle, qui critique les défilés militaires du 14 juillet — ils sont peut-être ringards, mais ne font pas grand mal —, approuve à 100 % la guerre et s'est même inquiétée du fait que celle-ci serait difficile à mener sans troupes au sol. A la suivre, les soldats français devraient être verboten sur les Champs Elysées, mais autorisés à Tripoli. Tout cela montre le chemin accompli, si l'on peut dire, dans la gauche, particulièrement celle issue de 1968, en ce qui concerne le militarisme et l'impérialisme «humanitaire». Comble de l'ironie, les «fascistes» du Front national condamnent la guerre sans ambages. Ce qui fait que je me retrouve être «objectivement proche de l'extrême droite» parce que j'ai gardé des positions qui étaient traditionnellement celles de la gauche sur la question de la guerre, du militarisme et du droit international. Actuellement, avec les questions palestinienne et libyenne et autres, on assiste à une léthargie des instances onusiennes face à la violation du droit international, notamment au nom du «droit d'ingérence». N'est-ce pas là une autre forme de dictature organisée et légalisée ? Les défenseurs autoproclamés des droits de l'homme, qui sont souvent mais pas toujours des apologistes des guerres humanitaires, soulignent le caractère affreux et oppressif des dictatures sur le plan interne. Je veux bien les suivre là-dessus, mais qu'en est-il des rapports de force sur le plan international ? Si un groupe de pays s'arroge le droit d'intervenir de façon militaire là où bon lui semble, droit qu'il s'attribue à lui et à lui seul — on n'imagine pas l'Otan accepter l'ingérence de la Russie, par exemple, en Libye —, pourquoi n'est-ce pas une forme de dictature au niveau mondial ? Les citoyens des pays de l'Otan se sentent évidemment à l'abri, mais qu'en est-il des autres ? Comment sont-ils supposés percevoir la situation ? Et si on est tous d'accord pour dire que la torture est horrible, pourquoi serait-il agréable de mourir de mort lente suite aux dommages collatéraux des bombardements atlantistes ? Les défenseurs des droits de l'homme répondraient sans doute que les dommages dus à l'Otan sont moindre que ceux dus aux «dictateurs». Mais le calcul est moins évident qu'ils ne le pensent, si l'on pense, par exemple, à la guerre en Irak, mais aussi aux guerres en Indochine et à tous les coûts directs et indirects des politiques impériales en Afrique, en Amérique latine, au Moyen-Orient et, jusqu'à ce qu'elle devienne réellement indépendante, en Asie. Par ailleurs, la question palestinienne montre toute l'absurdité de notre idée de «responsabilité de protéger» : lorsqu'Israël bombarde le Liban ou Gaza, loin d'intervenir militairement pour protéger les populations civiles, nos gouvernements cherchent à en faire un minimum sur le plan diplomatique pour mettre fin au conflit et nos intellectuels et nos médias cherchent toutes les excuses possibles et imaginables pour justifier ces agressions. Dans l'un de vos entretiens vous avez déclaré : «Pour s'assurer le contrôle de la région et protéger Tel-Aviv, les Occidentaux veulent probablement se débarrasser des gouvernements déjà hostiles à Israël et à eus-mêmes. Les trois principaux sont l'Iran, la Syrie et la Libye.» Cela présupposerait-il qu'Israël serait derrière toute cette politique hégémonique, outre les avantages dont peuvent bénéficier les Occidentaux ? Non, je ne présuppose pas qu'Israël soit derrière cette politique — j'ai dit : hostiles à Israël et aux Occidentaux, les deux notions n'étant pas identiques —, même s'il est évident que notre souci d'ingérence humanitaire n'impliquera jamais rien en ce qui concerne Israël ou les pays qui sont «amis» avec cet Etat, la Jordanie ou l'Egypte jusque récemment, ou d'ailleurs avec les Etats-Unis, comme le Bahrein ou l'Arabie saoudite. D'après-vous, jusqu'où peut conduire cette politique de «l'échiquier», à savoir destituer un «dictateur» pour imposer un autre ? Malheureusement, je pense qu'elle ira jusque-là où les rapports de force sur le terrain le permettront. Pendant la guerre du Vietnam, il y avait de vastes mouvements d'opposition à la guerre, même dans des pays comme la France qui n'y participaient pas. Dans les années 1980, il y avait encore des mouvements pacifistes très populaires dans de nombreux pays européens, mais pas en France, qui était déjà dominée à l'époque par une forme d'anticommunisme fanatique qui a, d'une certaine façon, précédé et accompagné l'émergence de la doctrine du droit d'ingérence humanitaire. Ces mouvements ont disparu à cause de deux facteurs. D'une part, la victoire idéologique de la doctrine de l'ingérence humanitaire qui a pratiquement tout balayé à gauche, surtout après la fin du communisme, de même que la gauche a rationalisé les politiques néo-libérales au nom de la liberté individuelle ou de «l'égalité des chances», une notion libérale, l'idée socialiste de justice se basant sur l'égalité de condition, au moins à un certain niveau, ou encore en les ignorant totalement et en se focalisant sur «l'antiracisme» ou «l'antifascisme», elle a aussi rationalisé les politiques impériales au nom du droit d'ingérence. D'autre part, les progrès technologiques permettent de faire des guerres avec peu de morts de notre côté, ce qui diminue l'hostilité populaire à ces politiques. Mais ces guerres high-tech coûtent cher et, au moins aux Etats-Unis, ne sont pas étrangères aux problèmes économiques auxquels la population fait face. Celle-ci commence à réagir, par exemple avec les mouvements de type «indignés», mais ces mouvements sont très loin d'avoir un quelconque effet politique réel, ils se concentrent, de façon parfaitement compréhensible, sur les questions socio-économiques sans beaucoup parler du militarisme et de la guerre. Par conséquent, et il est triste pour moi de devoir le constater, je m'attends à ce que toute limitation de l'ingérence occidentale vienne non pas des populations ou des mouvements progressistes ici, mais des difficultés sur le terrain, en Afghanistan par exemple, de la crise financière — sans les énormes budgets militaires américains, aucune de ces guerres ne serait techniquement possible — et de l'opposition du reste du monde, comme on le voit pour le moment à l'ONU avec le veto sino-russe sur la Syrie. Concernant la France, certains observateurs soulignent que Sarkozy a échoué sur le plan interne. Ne pensez-vous pas qu'avec cette guerre libyenne, qu'il considère peut-être comme sa dernière carte pour sauver sa mise face aux Français, il se dirige vers un suicide politique ? Je ne veux pas trop spéculer sur ce que pense Sarkozy ; il faudrait aussi alors analyser les motivations de Cameron et d'Obama. Mais même avec la victoire de l'Otan, à supposer qu'elle soit définitive, cette guerre, comme celle en Afghanistan, n'est pas populaire. C'est un paradoxe de plus qui me frappe à propos de l'adhésion du gros de la gauche et de l'extrême gauche européennes à la doctrine de l'ingérence humanitaire. L'immense majorité de la population continue à penser que l'armée doit servir à défendre nos frontières ou, dans certains cas, nos «intérêts vitaux», mais pas à intervenir dans des conflits lointains où ni notre souveraineté ni nos intérêts ne sont en jeu. Elle se dit que, si l'on a de l'argent à dépenser pour des bonnes œuvres, comme défendre les droits de l'homme, alors, il y a sans doute des façons plus efficaces, moins ambiguës et moins coûteuses de procéder que de faire la guerre. De plus,
elle pense, en grande partie avec raison, que lors d'une guerre, surtout une guerre civile, toutes les parties violent les droits de l'homme et il n'y a pas d'un côté les bons et de l'autre les méchants. Comme je l'ai dit, la population est avant tout préoccupée par la crise. Cela empêche en partie l'émergence d'un mouvement antiguerre sérieux, mais fait aussi en sorte qu'elle reste froide, même face à des victoires militaires comme celle en Libye. L'enthousiasme pour la guerre et la victoire réside presque exclusivement dans le personnel intellectuel, médiatique et politique ; je ne nie pas que celui-ci ait une certaine influence sur la population, mais elle n'est pas profonde. Et le drame est que, à cause de l'idéologie de l'ingérence, la gauche s'empêche elle-même d'utiliser le boulevard qui lui est ouvert par la crise et l'embourbement en Afghanistan et en Irak pour en finir une fois pour toute avec la longue histoire du colonialisme, de l'impérialisme et du militarisme occidental. A l'heure du déclin généralisé de l'Occident, la gauche de l'ingérence humanitaire nous force ainsi à rater un rendez-vous essentiel avec l'histoire.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.