Le 4 mai 1991, nous quittait à l'âge de 61 ans, Mohamed Khadda, l'un des plus grands plasticiens algériens.Plus de trois décennies après sa disparition son nom résonne encore avec puissance dans le paysage artistique algérien. Peintre, graveur, illustrateur et poète du trait, il a su créer un pont entre la tradition calligraphique arabo-islamique et les langages esthétiques de l'art moderne occidental. Né en 1930 à Mostaganem, Khadda appartient à cette génération d'artistes qui, dans le tumulte de la guerre d'indépendance et les premières années du jeune Etat algérien, ont posé les jalons d'une identité artistique nationale. Dès l'enfance, Mohamed Khadda montre une aptitude naturelle pour le dessin. Mais ce n'est qu'après avoir exercé divers petits métiers, dont celui de typographe, qu'il pourra accéder à une formation artistique structurée. En 1953, il rejoint l'Ecole des Beaux-Arts de Paris, un tournant décisif qui lui permet de plonger au cœur des mouvements artistiques européens. Il y découvre l'art abstrait, le cubisme, et se frotte aux grands noms de la peinture moderne. Pourtant, jamais il ne rompt avec ses racines : c'est dans les signes, les symboles, et surtout dans la lettre arabe que Khadda va puiser la matière première de son art. « Je ne fais pas de la calligraphie, disait-il, je fais de la peinture avec des lettres ». Cette phrase résume l'essence de sa démarche artistique. Khadda ne reproduit pas les caractères arabes pour leur contenu linguistique, mais pour leur puissance graphique, leur capacité à structurer l'espace pictural. Il déconstruit la lettre, la stylise, la superpose, la laisse vibrer sur la toile comme une entité plastique autonome. Dans ses œuvres, le verbe se fait forme, le signe devient rythme. Après l'indépendance de l'Algérie en 1962, Mohamed Khadda rentre au pays. Il y joue un rôle crucial dans la mise en place d'une vie artistique moderne. Il participe à la fondation de l'Union nationale des arts plastiques et contribue à la création de nombreuses institutions culturelles. En même temps, il poursuit une carrière foisonnante d'artiste, multipliant les expositions en Algérie comme à l'étranger. L'un des traits les plus marquants de l'art de Khadda réside dans son engagement esthétique : il cherche à décoloniser le regard, à affirmer une modernité qui ne serait ni une simple imitation de l'Occident, ni un retour figé au passé. Chez lui, l'héritage est vivant, réinterprété, en mouvement. Les entrelacs de ses toiles évoquent parfois les enluminures anciennes, parfois les fresques urbaines contemporaines. Le regard s'y perd et s'y retrouve, comme dans un poème visuel où chaque signe est une mémoire, chaque forme une parole. Khadda n'était pas seulement un peintre ; il était aussi un penseur. Il a rédigé plusieurs textes théoriques sur l'art, dans lesquels il développe sa vision d'une esthétique maghrébine moderne. Il réfléchit sur le rôle de l'artiste dans une société post-coloniale, sur la nécessité de créer une langue plastique autonome. Pour lui, l'art devait être un espace de liberté, mais aussi de responsabilité : un lieu où se construit le regard d'un peuple. Son influence s'étend bien au-delà de ses toiles. Khadda a formé toute une génération de jeunes artistes, notamment par son enseignement et ses interventions publiques. Il a aussi marqué durablement le design graphique en Algérie, notamment par son travail sur les affiches culturelles et les couvertures de livres. Mohamed Khadda s'éteint le 4 mai 1991 à Alger. Pourtant, son œuvre continue de parler, de vibrer, de questionner. On peut aujourd'hui admirer ses toiles dans plusieurs musées, dont le Musée national des Beaux-Arts d'Alger, ainsi que dans des collections internationales. Des expositions rétrospectives lui ont été consacrées, saluant le parcours d'un artiste visionnaire, à la fois ancré dans sa culture et ouvert sur le monde.