L'Algérie se trouve à un moment charnière de son histoire contemporaine. Puissance territoriale majeure du Maghreb et acteur de stabilisation saharo-méditerranéen, le pays dispose d'atouts énergétiques, miniers et géostratégiques exceptionnels. Cependant, des fragilités endogènes continuent d'entraver la conversion de ce potentiel en puissance effective. Dans le contexte global actuel — crise énergétique, compétition sino-occidentale, revalorisation des métaux critiques, recomposition du Sahel — l'Algérie est appelée à devenir un pivot de la nouvelle architecture régionale. Sa trajectoire dépendra de sa capacité à transformer ses ressources en leviers diplomatiques, économiques et industriels cohérents. 1. L'Algérie, un espace géopolitique singulier au cœur des recompositions régionales avec ses 2,38 millions de km2, sa façade méditerranéenne, sa profondeur saharienne et ses frontières avec sept Etats, l'Algérie occupe une position de jonction entre trois espaces stratégiques : la Méditerranée occidentale, le Maghreb, le Sahel. Cette configuration lui confère une profondeur stratégique rare en Afrique du Nord et influence naturellement son rôle de médiateur régional. La doctrine sécuritaire algérienne repose historiquement sur trois piliers : non-ingérence, autonomie stratégique, méfiance vis-à-vis des alliances militaires permanentes. Cette ligne, héritée du Mouvement des Non-Alignés, demeure un actif diplomatique majeur dans une région marquée par les interventions extérieures. 2. L'énergie : fondement de la puissance algérienne et levier diplomatique majeur 2.1. Le gaz, instrument d'équilibre euro-méditerranéen. Depuis la crise énergétique de 2022, l'Algérie occupe une place stratégique dans la sécurité d'approvisionnement de l'Europe du Sud. Elle assure jusqu'à 30 % des besoins italiens, une part significative des importations espagnoles, des perspectives nouvelles pour la France dans le cadre de redéploiements gaziers post-2022. Les infrastructures TransMed (vers l'Italie) et Medgaz (vers l'Espagne) renforcent ce rôle, faisant de l'Algérie le seul pays africain disposant de gazoducs actifs vers l'Europe. 2.2. L'hydrogène : nouvelle frontière énergétique Le territoire saharien algérien possède l'un des plus forts potentiels solaires au monde. Des projets pilotes sont en cours avec l'Allemagne, l'Italie et la Chine sur : la production d'hydrogène vert, le transport par pipeline ou sous forme dérivée (ammoniac), l'intégration dans les corridors euro-méditerranéens. L'Algérie pourrait ainsi devenir un producteur de premier plan dans la transition énergétique globale. 2.3. Une transition encore fragilisée par les contraintes structurelles La dépendance à la rente hydrocarbure demeure forte (plus de 90 % des recettes d'exportation). Les défis sont : modernisation technologique de Sonatrach, réduction du gaspillage énergétique domestique, montée en puissance de la pétrochimie, sécurisation juridique des investissements. 3. Ressources minières : le deuxième pilier stratégique du XXIe siècle Le sous-sol algérien recèle des ressources cruciales pour l'économie mondiale : fer (Gara Djebilet, gisement géant), phosphates, uranium, métaux non ferreux (manganèse, cuivre), lithium, terres rares. Dans un contexte où les métaux critiques deviennent l'équivalent géopolitique du pétrole des années 1970, l'Algérie se retrouve au cœur d'enjeux commerciaux et stratégiques majeurs. 3.1. La coopération sino-algérienne comme catalyseur La Chine investit dans : l'exploitation du fer de Gara Djebilet, les infrastructures ferroviaires sud-nord, le développement de corridors logistiques reliant le Sahara aux ports méditerranéens.Ces projets s'inscrivent dans les « Nouvelles Routes de la Soie ». 3.2. De la ressource au complexe industrialo-minier Pour devenir compétitive, l'Algérie devra : développer une chaîne complète de transformation locale, sécuriser les cadres d'investissement, bâtir une « Sonaminer » nationale forte, intégrer les chaînes de valeur mondiales des batteries et technologies vertes. 4. Diplomatie économique : un multilatéralisme maîtrisé. 4.1. L'Algérie et la multipolarité Le pays avance dans un multilatéralisme pragmatique : relations stratégiques avec la Chine, coopération militaire et énergétique avec la Russie, partenariat sécuritaire avec les Etats-Unis, ancrage euro-méditerranéen avec l'UE, candidature renforcée aux BRICS. Cette capacité à dialoguer avec tous les pôles du système international constitue une force singulière. 4.2. Le rôle de médiation au Sahel Alger reste un acteur crédible dans les crises régionales : médiation dans l'Accord d'Alger pour le Mali (2015), diplomatie active au Niger post-2023, influence en Libye, soutien à la stabilisation de la Mauritanie. Ce rôle est renforcé par une armée considérée comme l'une des plus puissantes du continent6. 5. Fragilités endogènes : le principal obstacle à la projection de puissance Comme le développe l'ouvrage « L'Algérie aléatoire – ses maux-clés endogènes – une matrice transversale de sous-développement » (La Tribune Diplomatique Internationale, 2018), le pays souffre de : lenteurs administratives, bureaucratie lourde, faiblesse du tissu productif, obstacles à l'investissement privé,économie insuffisamment diversifiée, désarticulation entre formation et marché du travail. Ces « maux-clés endogènes » freinent la conversion du potentiel national en puissance économique. 6. Quelles perspectives géo-économiques pour l'Algérie ? 6.1. Industrialisation verte hydrogène, batteries, valorisation minière, technologies solaires. 6.2. Diplomatie énergétique proactive : reconfiguration des partenariats gaziers, création d'un hub méditerranéen de GNL et hydrogène. 6.3. Intégration africaine Corridors transsahariens, coopération énergétique et sécuritaire au Sahel, ZLECAf (Zone de libre-échange africaine). 6.4. Renforcement des partenariats euro-méditerranéens Dans un contexte de tensions au Moyen-Orient et en Europe de l'Est, l'Algérie peut devenir une zone de stabilité énergétique pour le continent européen. Conclusion L'Algérie se situe à la croisée des chemins. Son potentiel géo-économique et géostratégique est immense. Ses ressources, son positionnement géographique, sa diplomatie autonome et son rôle au Sahel lui confèrent une place de choix dans l'ordre multipolaire émergent. Mais la réussite dépendra de sa capacité à surmonter ses contraintes internes, moderniser son économie et activer une diplomatie économique plus offensive. Si ces leviers convergent, l'Algérie pourrait devenir l'un des principaux pôles de puissance de l'Afrique du Nord et un acteur majeur de la Méditerranée. Farid Daoudi Notes et sources 1. Institut Français des Relations Internationales (IFRI), rapports Maghreb-Sahel, 2020–2024. 2. Agence Internationale de l'Energie (AIE), données globales sur les flux gaziers euro-méditerranéens, 2023. 3. Ministère de l'Energie et des Mines d'Algérie, communiqués 2022–2024 sur l'hydrogène vert. 4. Banque mondiale, Critical Minerals Outlook 2024. 5. Ministère des Affaires étrangères d'Algérie, dossier BRICS+, 2023–2024. 6. Global Firepower Index, classement des forces armées africaines, édition 2024. 7. « L'Algérie aléatoire – ses maux-clés endogènes – une matrice transversale de sous-développement », ouvrage finalisé en mai 2018 et présenté par La Tribune Diplomatique Internationale.