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L'entreprise moderne : apparition et institutionnalisation
Publié dans Le Quotidien d'Oran le 12 - 05 - 2014


Suite et fin
L'EFFICACITE ECONOMIQUE ET FINANCIERE
En effet, il semble tout à fait logique que l'apparition et surtout la continuité dans le temps de l'entreprise jusqu'à ce qu'elle est devenue une des institutions fondamentales de la société industrielle moderne n'auraient pas pu se réaliser si cette entité n'a pas été d'abord efficace sur les plans économique et financier. Pour que les capitalistes : commerçants, entrepreneurs, actionnaires, ou banquiers acceptent de s'engager et continuer de s'engager dans cette «aventure» qu'est l'entreprise, celle-ci devrait dégager des bénéfices et des profits au travers l'utilisation optimale des moyens de production mis à sa disposition et l'effort continu pour la réduction des «coûts». La réalisation des profits a conduit les capitalistes non seulement à continuer le financement de l'entreprise mais aussi à développer et élargir ses domaines d'activité.
L' «esprit d'entreprise», note encore une fois Segrestin, exige sans cesse l'accroissement de la production et des ventes. Et pour que l'entreprise puisse être en mesure de se substituer à la corporation traditionnelle de métiers, de façon définitive, et de remporter sur elle cette victoire historique, il était indispensable que les banques, dont le rôle a été capital, restent confiantes quant à l'issue des crédits qu'elles acceptaient d'octroyer. C'est dans ce contexte-là, que les entreprises industrielles ont sans cesse chercher à améliorer leur fonctionnement en développant leur production, en augmentant leur chiffres d'affaires et en réduisant leurs coûts.
ORGANISATION RATIONNELLE DU TRAVAIL
La prospérité de l'entreprise et le succès de la révolution industrielle, poursuit Segrestin, sont allés de pair, durant les 18ème et 19ème siècles, avec l'amélioration des taux de productivité. C'est dans ce cadre-là que la division technique du travail a joué un rôle des plus importants d'où le renforcement de la discipline et de la rationalité dans l'organisation du travail. Cela a été une des exigences de l'esprit capitaliste certes mais semble aussi lié à la nature du travail industriel dans sa forme moderne. Celui-ci ne peut réussir sans se reposes sur une organisation rigoureuse des activités, des horaires, des temps et des délais, la répartition des tâches, etc. C'est d'ailleurs cela qui a conduit, surtout dans les premières phases de l'ère industrielle, durant les 18ème et 19ème siècles, à une dégradation considérable des conditions de travail et de vie de la classe ouvrière et à l'exploitation démesurée de ses membres d'où les conséquences politiques et sociales importantes qui en ont résulté. Il ne faut pas perdre de vue que ce sont bien les conflits nés de cet état de fait qui ont conduit à l'apparition du marxisme, des syndicats et partis ouvriers, à la révolution bolchévique, etc.
Mais en dépit de cela, et quelle que soit l'ampleur des réformes sociales et politiques ayant résulté des luttes ouvrières et quelles que soient les conséquences du développement économique lui-même, qui a fait que beaucoup de ces réformes étaient devenues possibles, la discipline et la rationalisation du travail, sont toujours restées parmi les moyens nécessaires pour assurer le succès économique et technique de l'entreprise industrielle moderne et du développement de l'industrie d'une manière générale. Cela a été aussi valable dans les Etats socialistes dont l'URSS où Lénine a appelé à adopter les conceptions tayloristes et les principes de la «gestion scientifique du travail» de Taylor par les entreprises de son pays.
SEPARATION ENTRE LA PROPRIETE ET LA GESTION
Comme l'ont souligné beaucoup d'auteurs, l'émergence de la fonction de gestion dans l'entreprise de façon relativement séparée de la propriété du capital a elle aussi constitué un des facteurs décisif du développement de l'entreprise. Et même s'il est vrai, comme le note Braverman, que la possession du capital et la direction des entreprises ne sont jamais totalement séparées l'une de l'autre, il n'en demeure pas moins vrai que dans chaque entreprise, l'unité directe entre les deux cotés est rompue (Braverman, p.214). Ce qui nous intéresse ici c'est que cette séparation, aussi relative soit-elle, par l'autonomie qu'elle offre aux dirigeants, par ce qu'elle exige comme compétences techniques et organisationnelles et peut-être surtout par la constitution de cette classes de ‘‘managers'', a pu conduire à faire bénéficier l'entreprise de la stabilité dont elle avait grandement besoin pour améliorer son fonctionnement, assurer sa continuité et consolider son développement.
C'est cette relative autonomie qui a permis la distinction, qui s'est avérée vitale, entre les intérêts de l'organisation elle-même en tant que telle et à travers elle ceux des managers eux-mêmes d'une part, et ceux des actionnaires en tant que bénéficiaires de ses résultats d'autre part. Et c'est à partir de là que la mission des managers a consisté non seulement à accroître les profits, distribuer les dividendes et payer les salaires mais aussi à préserver les intérêts de l'entreprise en tant qu'entité partiellement autonome. Intérêts qui ne se croisent pas toujours avec les intérêts immédiats de l'ensemble de ces acteurs.
LA COMPTABILITE
Pour parvenir justement à améliorer sans cesse ses performances, et là réside un autre facteur de sa réussite, l'activité de l'entreprise moderne a été soumise à un suivi minutieux par le biais d'une comptabilité rationnelle, rigoureuse et infiniment précise sous formes quantitative et surtout monétaire. C'est grâce à cet ensemble de techniques et de normes qu'on a doté l'entreprise du moyen qui lui avait permis et permet toujours de connaître et de maîtriser ses «charges » et ses «produits», de protéger «ses» biens et non seulement connaître les causes de ses éventuelles déficits pour y faire face mais aussi les causes de ses gains. Car, estiment les spécialistes de la gestion dans les sociétés industrielles, «les entreprises qui sont bénéficiaires sans en connaître les causes sont généralement celles qui sauront toujours avec du retard qu'elles sont devenues déficitaires». C'est dans ce sens-là que Braverman nota que cette comptabilité est devenue le «cerveau» de l'organisme entier qu'est l'entreprise, car «c'est là, continue le même auteur, qu'était centralisée la fonction de veiller sur le capital, de vérifier et de contrôler les progrès de sa croissance (Braverman, p.217).
C'est à ce propos aussi que Joseph Schumpeter souligne que l'une des choses essentielles qu'a faites le capitalisme est d'avoir glorifié l'unité monétaire au point où elle est devenue l'unité principale de calcul. Autrement dit, continue Schumpeter, le capitalisme a fait de la monnaie l'instrument du calcul rationnel pour la détermination des coûts et des bénéfices par une technique particulière qu'est la comptabilité. En outre, c'est ce calcul précis et continu des activités de l'entreprise qui influe en retour sur cette même activité et pousse davantage celle-ci à plus de précision et de rigueur (J. Schumpeter, p.176).
L'INNOVATION CONTINUE
Dans le cadre de la concurrence entre les entrepreneurs qui caractérise le nouveau mode de production à l'apparition duquel l'entreprise elle-même a grandement contribué, il était devenu difficile en effet et même impossible que celle-ci se contente de l'habitude, de la routine, de la tradition et de la reproduction quasi-perpétuelle, tel qu'il a été le cas à l'époque artisanale, sans s'exposer à un danger certain de disparition pure et simple. C'est donc aussi cette innovation continue qui a caractérisé l'activité de cette organisation, par rapport à l'atelier artisanal, qui peut être considérée comme un des facteurs de sa pérennité et son développement. Cela ne concerne pas uniquement les produits, leur qualité et leur prix, mais aussi les domaines de l'organisation et de la gestion. Cela a conduit à la création de ce lien étroit entre l'entreprise industrielle et la science et de-là au développement technologique dont on constate presque quotidiennement les résultats.
L' «action entrepreneuriale», note H. Verin, est essentiellement une opération de destruction de ce qui est ancien (D. Segrestin, p.8) et aussi, tel que le souligne Schumpeter, une remise perpétuelle des modes de travail en place, l'exploitation des inventions et la découverte de nouvelles sources d'énergie et de marchés jusque-là inconnus (J. Schumpeter, p.186).
La reconnaissance de l'importance économique et sociale et de la spécificité des rôles
Puisque l'entreprise est une organisation socio-humaine, il s'est avéré impossible d'assure sa continuité si elle ne jouit pas d'un minimum de stabilité dans les relations entre les divers acteurs qui la font vivre. Et cela est loin d'être possible si ces acteurs n'ont pas un certain nombre de valeurs communes concernant la nature de l'entreprise, son utilité, la nécessité de la coopération des différentes catégories qui l'animent, une certaine division du travail, de la discipline, etc.
Cela ne veut nullement dire, tel que le souligne Bernoux, que la relation au sein de l'entreprise ne consiste qu'en la coopération. Car en dépit de l'importance de cette coopération pour assurer la continuité et le développement de l'entreprise, la relation entre les différents acteurs, travailleurs, cadres, dirigeants,… est nécessairement marquée aussi, en tant que système de relations sociales, par des tensions, des conflits et des luttes. Ces conflits ne sont en fait que le reflet des divergences non seulement de rôles et de tâches mais aussi d'intérêts et d'aspirations.
Ces tensions et conflits ne sont aussi, remarque encore Bernoux, que l'expression des frustrations senties par l'une ou l'autre partie quand elle n'arrive pas à atteindre tel ou tel objectif considéré par elle comme légitime. Il ne faut donc pas perdre de vue que l'entreprise, comme toute autre institution sociale, repose en fait nécessairement sur un mélange de coopération, de concurrence et de lutte (Ph. Bernoux, p.14). Mais parmi les facteurs qui lui donnent sa place, dans les sociétés industrielles, en tant que forme de production et de travail, c'est bel et bien cette sorte d'accord général, entre les différentes couches sociales, sur son utilité économique et sociale et sur la nécessité de la préserver pour le bien de tous.
Cela est entré dans les croyances et les valeurs sociales des sociétés industrielles depuis plusieurs siècles. Valeurs et croyances introduit dans la culture moderne par des penseurs et philosophes dont Adam Smith qui annonce dans ses écrits entre autres que c'est le travail et notamment le travail industriel qui est le fondement et l'essence de la richesse des nations et que donc «ni l'Etat, ni le marchand» ne sont l' «agent de la prospérité» mais «c'est celui qui permet l'agencement le plus productif du travail» qui n'est autre pour lui que l' «industriel capitaliste» (J-M. Albertini et A. Silem :287). Autrement dit c'est bel est bien de l'entreprise industrielle qu'il s'agit. Certes Marx a appelé à la disparition du capitaliste mais il n'a fait que renforcer encore davantage la place et le rôle du travail industtriel et de l'entreprise dans la vie de la société qu'il a imaginée.
CONCLUSION
Dans cette modeste contribution nous avons essayé de rappeler ce qu'est l'entreprise moderne. Plus exactement, nous avons tenté de rappeler quelles ont été les conditions de son apparition, les facteurs de son évolution et de sa continuité. Après cette brève description, nous estimons pouvoir dire que l'apparition de cette forme moderne d'organisation de la production qu'est l'entreprise a été intimement liée à l'émergence de l'esprit capitaliste à la suite, d'abord, de ce que Polanyi a appelé la «révolution commerciale» qu'a connue l'Europe au 16ème siècle et ensuite durant la Révolution industrielle du 19ème siècle dont a été le théâtre l'Angleterre avant de se répandre dans plusieurs autres pays de l'Europe occidentale.
Nous avons vu aussi que ce processus est le résultat de plusieurs facteurs d'ordres psychologique, culturel, social et politique. C'est pour cela, que l'entreprise a été considérée comme étant à la fois un moyen et un but de la modernité occidentale. Ce dont on est presque certain aussi c'est que l'apparition et l'évolution de l'entreprise n'auraient jamais pu se réaliser en l'absence de ce grand mouvement de mutations culturelles, sociales et politiques dans lequel la bourgeoisie a joué un rôle fondamental. Beaucoup estiment en outre que l'efficacité économique de l'entreprise industrielle moderne n'aurait pu être possible aussi si l' «économique», en tant qu'un des aspects de la vie, ne s'est pas largement autonomisé par rapport aux autres aspects de la vie sociale, notamment familial et religieux; et aussi si le travail, qu'il soit entrepreneurial, d'encadrement ou ouvrier, n'a pas été mis au centre de la vie individuelle et collective à la fois comme le principal moyen de gagner sa vie, de s'enrichir ou avoir tel ou tel statut social.
On voit bien que dans cette perspective, l'entreprise n'apparait en fin de compte que comme une entité qui a cristallisé ce par quoi la «nouvelle société» a voulu organiser la production et réaliser son projet civilisationnel. Ainsi, l'entreprise est progressivement devenue au sein de la société industrielle occidentale, avec ses nouveaux cadres mentaux, culturels, administratifs, juridiques et politiques non seulement une organisation mais aussi une vraie institution socio-économique au sens sociologique du terme. Cela veut dire que sa création, son existence, sa pérennité et ses résultats reposent sur les valeurs et les cadres structurant le système social et économique dans son ensemble même si cette entité elle-même qu'est l'entreprise a joué un rôle primordial dans la création et la consolidation de ce système.
C'est pour souligner cette idée fondamentale que Sombart a noté que si l'entrepreneur a historiquement contribué à fonder la société capitaliste au début, c'est le système capitaliste qui est devenu, ensuite, le créateur de l'entrepreneur (P. Bourdieu :313). Nous pensons que cela veut dire que même si l'entrepreneur a été parmi les principaux acteurs de la création de la nouvelle société, en quelque sorte contre la société traditionnelle, l'entreprise n'aurait jamais pu devenir cette institution si cette nouvelle société ne l'avait pas entièrement ‘‘adoptée'' en son sein et en a fait l'un des principaux agents.
* Université d'Annaba
Bibliographie :
- Albertini, J-M. et Silem, A., (1986), Comprendre les théories économiques, Le Seuil.
- Aron, Raymond, (1962), Dix-huit leçons sur la société industrielle, Gallimard.
- Bernoux, Philippe, (1999), La Sociologie de l'entreprise, éd. Du Seuil.
- Bladrone, Gilbert, (S.D), L'Entreprise dans le circuit économique, Blond et Gay.
- Bourdieu, Pierre, (1963), Travail et travailleurs en Algérie, Mouton et Co.
- Braverman, Harry, (1976), Travail et capitalisme monopoliste, Maspéro.
- Schumpeter Joseph, (1979), Capitalisme, socialisme et démocratie, Payot.
- Sombart, Werner, (1926), Le Bourgeois. Contribution à l'histoire morale et intellectuelle de l'homme économique moderne, Payot.
- Thudéroz, Christian, (2010), Sociologie des entreprises, La Découverte.
- Weber, Max, (1967), L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Plon.


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