Vendredi 19 mars, 59 ème anniversaire du cessez-le-feu en Algérie que peu de gens, surtout les jeunes ne commémorent pas en raison que la réalité du quotidien a fait perdre toute la charge symbolique de cette date. Celle-ci comme tant d'autres de l'histoire récente du pays n'est, hélas, célébrée que par les officiels accompagnés de représentants de la clientèle politique toujours la même depuis près de 60 ans. Temps pluvieux et froid à Sétif. 6 degrés Celcius au thermomètre. Les hirakistes vont-ils se manifester ? Il est 13h 30 sur la placette de la poste quand le premier slogan fuse comme un cri de ralliement : « Madania machi askaria » (Etat civil pas militaire). Une poignée de jeunes personnes, à peine une vingtaine. Sans surprise, des dizaines d'autres citoyens les rejoignent. En quelques minutes, la foule grossit et se met bruyamment en marche l'avenue du 1er novembre 54. A hauteur de la rue de la gare (rue des frères Mezaache), les marcheurs font demi tour pour se diriger vers le siège de la wilaya. La cohorte de quelques dizaines de manifestants s'étirant sur plus de 100 mètres regroupe déjà près de 500 personnes. Devant le siège de la wilaya est déployée une ceinture d'hommes bleus harnachés de leur équipement. La matraque n'est plus en main mais juste accrochée à la ceinture. Les manifestants se donnent à cœur joie en déployant le catalogue de leurs slogans les plus porteurs, voire les plus virulents comme « Abla irhabia » (Abla terroriste) joli prénom emprunté à l'histoire du poète pré-islamique Antar. Crié par les hirakistes il semble bien insolite. Il est fait allusion dans ce slogan violemment accusateur aux sévices ou maltraitances faits à des activistes arrêtés par le passé. La fougue de la jeunesse dominant le hirak peut être moqueuse, caricaturale, irrévérencieuse et même acide. Mais c'est probablement le langage de tous les manifestants dans le monde. Les dirigeants, voire les monarques et princes, dans les démocraties occidentales peuvent être moqués ou violemment apostrophés ou caricaturés par des citoyens sans que cela soit suivi d'arrestations et de poursuites. Malgré les slogans moqueurs envers eux - « Boulicia bravo alikoum el Issaba taftakhar bikoum » (Bravo les policiers, le gang est fier de vous), les policiers en charge de la protection du siège de la wilaya restent impassibles, calmes, le visage impénétrable. En fait, de nombreux manifestants, y compris les fougueux jeunes, n'éprouvent aucune haine ni même animosité envers ce corps de sécurité. Le hirak a par le passé, en 2019 à Sétif, montré des signes tangibles de respect sinon de l'empathie envers les hommes bleus au dur métier. Hormis, le 26 février passé, où les policiers ont bousculé , dispersé et même arrêté les manifestants sur l'avenue du 8 mai 45, le hirak à Sétif, manifeste paisiblement et sans encombre ni intimidation. Comme dans de nombreuses villes d'Algérie, le hirak à Sétif, traversé par des courants politiques et idéologiques divergents ou probablement opposés maintient ses principales revendications : démocratisation réelle de la vie politique, liberté d'expression, justice équitable non instrumentée, mise au placard de personnel politique et de partis discrédités et périmés, solidarité sociale et bonne gouvernance. A cause du mauvais temps, les hirakistes sétifiens de ce 109 ème vendredi de la contestation pacifique, ont opté pour un itinéraire court qui les fera emprunter successivement l'avenue du 8 mai 45 en passant par la mythique Ain El Fouara, le Boulevard Cheikh Laifa en passant par la trémie de Bab Biskra puis l'avenue de l'ALN et retour au point de départ vers 16 heures pour un dernier sit in devant le siège de la wilaya. La marche protestataire ayant duré de 2 heures a drainé près de 1500 citoyens de tout âge, des deux genres, tous et toutes de condition sociale modeste. Hamoud ZITOUNI