Réagissant aux discours haineux qui incitent à la violence, véhiculés par certaines chaînes de télévision privées et les réseaux sociaux, le HCI (Haut conseil islamique) a qualifié ces supports médiatiques «d'aussi dangereux que les armes de destruction» parce que devenus «un moyen de diffusion de la haine, de la violence et de la division». Il exhorte les autorités à prendre «des mesures urgentes contre ce danger». Dans une déclaration virulente, le HCI (Haut conseil islamique), a alerté jeudi dernier sur «le danger imminent de convoitise pour le gain rapide et l'amour de la vengeance (…) qui engendre toute forme de violence, d'extrémisme et de haine, porte atteinte à l'image de notre société et cause l'éclatement de la famille». Sous le titre : «Pour une presse objectif et des réseaux sociaux sains», la déclaration est en réalité la conclusion à laquelle sont arrivés les membres du conseil, lors de leur réunion tenue mercredi dernier et consacrée au discours médiatique de certaines chaînes de télévision privées et des messages violents diffusés sur les réseaux sociaux, qui font l'apologie de la violence, de la haine et de la division. Pour cette haute instance de consultation, «ces moyens» médiatiques «sont aussi dangereux que ces armes modernes de destruction, qu'il ne faut jamais laisser entre les mains de ceux qui sont indifférents à l'égard de la vie des gens, de leurs valeurs, de leur honneur et de la stabilité de notre société». De ce fait, le HCI, note avoir constaté «une déviation caractérisée dans l'utilisation de la technologie» devenue, selon lui, «un moyen de diffusion de la haine, de la violence et de la division». Tout en rappelant que le rôle des médias est de «faire en sorte d'influer pour éviter toute agression contre l'autre», le HCI trouve que «la sous-estimation du danger de ces moyens, l'absence de réglementation, de régulation, d'orientation et d'une charte d'éthique ont porté atteinte à la mission médiatique d'éducation et de service public, qui se trouve ainsi transformée en outil plus néfaste qu'utile et en titres de vulgarité et de déviation qui diffusent une matière attentatoire aux valeurs de notre société». Devant une telle situation, le Haut conseil islamique a exhorté les responsables «à tous les niveaux» à «prévenir contre les dangers qui commencent à apparaître sur certains moyens de communication, parmi lesquels les réseaux sociaux et à prendre les mesures urgentes et nécessaires afin de protéger la liberté de la presse et de garantir la réussite des programmes religieux enseignés par les hommes de culte modéré». Lue à la fin d'un débat, organisé à Alger, et consacrée au «discours de haine, d'extrémisme et de violence dans les médias et les réseaux sociaux», cette déclaration reflète en fait «la lourde inquiétude» des membres de cette institution de consultation face à ce phénomène, mais aussi de l'ensemble des participants à cette journée-débat, qui étaient unanimes à pointer du doigt le «silence» de l'ARAV (Autorité de régulation de l'audio-visuel) devant ce qu'ils ont qualifié de graves dérives. Pour Boumediene Bouzid, membre du HCI, «la violence et l'incitation à la violence se sont amplifiées à travers certaines chaînes de télévision, mais surtout sur les réseaux sociaux à tel point où certains utilisent des symboles de l'Etat, des casquettes de militaires, policiers ou gendarmes, comme image de profil, pour lancer des attaques personnelles contre les gens. Nous avons vu durant ce Ramadhan des émissions de télévision qui incitent à la violence et à la haine. Certaines ont failli créer des incidents diplomatiques entre l'Algérie et des pays étrangers. Nous ne sommes pas en train d'appeler à la censure, mais nous devons tous avoir une charte d'éthique qui nous rappelle que nos droits s'arrêtent là où commencent ceux des autres (…). L'Algérie respecte les libertés de culte, mais les lieux où s'exercent ces libertés doivent avoir une charte déontologique, y compris pour la mosquée. Il en est de même pour les médias. Il est inacceptable qu'un responsable d'un pays étranger fasse des prêches religieux sur une chaîne de télévision algérienne. Il y a nécessité de réguler les espaces médiatiques et de les encadrer». Abondant dans le même sens, le professeur Laid Zoghlami, de l'université d'Alger, pointe du doigt l'ARAV qui, pour lui, «a une grande responsabilité dans l'anarchie médiatique». «Nous avons tous vu cette violence véhiculée par certains programmes de chaînes de télévision, comme ces émissions de caméras cachées dont le niveau était médiocre.» Professeur à l'université de Béjaïa, le Dr Aissa Merrah trouve que le discours médiatique qui incite à la haine et à la violence n'est en réalité que le reflet du discours social. Selon lui, «les médias ne sont en réalité que des courroies de transmission». Pour sa part, le Dr Larbi Bouaamari de l'université de Mostaganem souligne l'importance d'un code de déontologie et d'éthique et met l'accent sur le rôle de l'Autorité de régulation. Membre de la Ligue des imams et prêcheurs du Sahel, Kamel Chekat plaide pour l'approfondissement des connaissances religieuses, car dit-il, «plus on a le savoir plus nos arguments se renforcent. Nous savons tous que les insultes et les discours haineux sont utilisés à défaut d'argument». Rédacteur en chef à la chaîne de télévision Ennahar, Mohamed Osmani explique qu'il «est important de revenir en arrière vers les années 1990 pour comprendre comment avec des discours de haine et surtout d'incitation à la violence, des Algériens ont fini par accepter qu'un policier ou un militaire soit déclaré ‘‘taghout'' (apostat), qu'il faut tuer et à être convaincus qu'il ne faille pas se lever devant le drapeau ou l'hymne national. L'incitation à la violence est plus grave surtout lorsqu'elle vise la catégorie des ignorants faciles à manipuler». Le journaliste insiste sur l'idéologie de laquelle se nourrit l'extrémisme religieux et qui, note-t-il, est à l'origine de la haine de l'autre. Il cite comme exemple l'appel à l'agression des femmes à l'acide, avant de conclure que l'incitation à la violence peut être pire que l'appel à cette même violence. D'autres intervenants ont mis l'accent sur la «nécessité de réguler l'espace médiatique» pour «éviter tout discours de rejet de l'autre, de violence, ou d'incitation à la haine».