Près de 500 000 manifestants ont occupé la rue vendredi pour exprimer leur solidarité avec Ghaza. Une démonstration inédite depuis celle des archs en 2001. Les manifestants ont bravé la peur et l'état d'urgence. Quelle est votre analyse ? A l'instar de tous les pays arabes et musulmans, ce qui se passe à Ghaza touche profondément le peuple algérien. Quel que soit leur parti pris politique et/ou idéologique, les Algériens, comme le reste des peuples arabes et musulmans, ne tolèrent pas la passivité de leurs gouvernants. Passivité qui est assimilée à une véritable lâcheté et à une trahison. La réaction de Hugo Chavez, le président vénézuélien, qui a expulsé l'ambassadeur d'Israël de son pays, est prise comme exemple de réaction concrète de soutien à la cause palestinienne, contrairement aux gouvernants arabes qui se sont contentés de condamnations verbales. Les peuples arabes et musulmans ne comprennent pas que leurs gouvernants ne fassent rien de concret pour aider les Palestiniens par tous les moyens qu'ils ont entre les mains. Et il ne s'agit pas de moyens militaires. Ils pensent surtout à cette « arme de destruction massive » qu'est le pétrole dont ils disposent et qu'ils peuvent utiliser, quoi qu'il leur en coûte économiquement, pour amener les grandes puissances, les Etats-Unis en tête, à exercer une réelle pression sur Israël afin qu'il cesse ses agressions et respecte enfin les règles du droit international. Aucun gouvernement arabe disposant de cette arme, y compris le gouvernement algérien, ne veut le faire pour toutes sortes de raisons plus ou moins valables. Cela ne fait qu'augmenter la colère des peuples. Ce qui fait qu'aucun gouvernement arabe et musulman n'est capable aujourd'hui d'empêcher sa population de manifester sa solidarité avec le peuple palestinien et, en accompagnement, son profond mécontentement quant à la passivité de leurs Etats. Les mosquées étaient les points de départ des manifestations. Y a-t-il eu manipulation ? Nous avons vu qu'en Algérie, ce sont le pouvoir et ses satellites qui ont essayé d'organiser et de canaliser les manifestations de colère contre la boucherie israélienne et de soutien au peuple de Ghaza. Les organisateurs auraient pu effectivement maîtriser ces manifestations si l'agression israélienne et son corollaire, la résistance du Hamas, n'avaient duré que quelques jours, comme l'avait planifié le Tsahal. Or, l'horreur d'un côté et la résistance farouche des Ghazaouis de l'autre s'éternisent et permettent aux peuples de s'exprimer de plus en plus librement et de plus en plus violemment. Aucun gouvernement ne peut se permettre de réprimer férocement de telles manifestations comme il l'aurait fait dans d'autres conditions. Ce qui se passe en Algérie montre bien que le pouvoir est entre le marteau et l'enclume. D'un côté, il ne peut pas faire autrement que d'exprimer sa solidarité en organisant des actions minimalistes concrètes comme l'aide humanitaire, le don de sang, l'aide financière ; d'un autre côté, il aurait aimé éviter les manifestations de rue qui risquent d'être récupérées par l'islamisme extrémiste. C'est cette logique qui l'emporte actuellement. Y a-t-il risque de récupération de la cause palestinienne à des fins politiques ? Tous ceux qui ont assisté (ou même participé) aux manifestations de soutien à la cause palestinienne n'ont pas pu ne pas remarquer la forte présence de mots d'ordre salafistes et le jeu du chat et de la souris entre les services de sécurité (le plus souvent en civil) et les trublions islamistes. Ces derniers sont pourchassés et arrêtés, puis le plus souvent relâchés quelque temps après la fin des manifestations. Le danger, si la situation persiste, d'un retour sur la scène politique des islamistes purs et durs de l'ex-FIS qui veulent profiter de la « victoire » du Hamas palestinien – plus il résistera, plus son aura grandira et plus il parlera très justement de victoire – pour renforcer la position du salafisme algérien existe. Le pouvoir se retrouvera alors dans une position très inconfortable et surtout incontrôlable. Surtout que l'élection présidentielle arrive à grande allure…
