Il y eut donc, même symboliquement, reconstitution, le temps d'un colloque, de cette famille de démocrates qui semblait si dispersée et perdue dans les méandres de l'oubli, et qui, au fond, a prouvé qu'elle restait à l'écoute, disponible pour le débat, prête à se remobiliser pour défendre ses idées quand on lui offre les conditions de le faire. Les intellectuels algériens, qui se sont sentis marginalisés ou carrément brimés par les tenants du système, ont donc vécu cette retrouvaille avec une grande émotion. Pour eux, la démarche du journal El Watan avait, par dessus tout, une profonde signification politique : elle venait contrebalancer le vide sidéral créé par le pouvoir pour étouffer toute velléité de porter la contradiction à un régime qui a fait son choix en favorisant, de manière outrageante et souvent superficielle, la prépondérance du courant islamiste sur le reste de la vie partisane, bien que celui-ci – nous ne le dirons jamais assez – est loin d'être représentatif de la société algérienne. Au lieu d'opter pour les équilibres qui sont fondamentalement cruciaux pour la bonne gouvernance du pays, le pouvoir a préféré privilégier l'obédience qui lui a paru la plus malléable, en prenant le risque d'aggraver le fossé qui sépare les différentes tendances idéologiques qui s'affrontent à distance. AUCUNE ALTERNATIVE Toute cette démarche, qui consiste à mettre en pole position l'islamisme tout en réduisant encore un peu plus le champ d'activité du courant démocratique, a vu, pour ainsi dire, son couronnement avec l'avènement de la charte pour la réconciliation nationale, qui devient la référence suprême de la fameuse politique de «normalisation» menée par petites touches par le président Bouteflika dès son arrivée à la tête de l'Etat. Partout dans les cercles officiels, on a réglé les partitions sur une seule note. Celle de l'alignement, volontaire ou forcé, sur une philosophie qui ne tolère aucun écart. Induite par le concept du retour à la paix comme priorité des priorités pour ramener la stabilité dans un pays ravagé par une décennie de terrorisme terrifiant, cette politique a, cependant, fait beaucoup de dégâts au multipartisme qui, au jour d'aujourd'hui, ne signifie presque plus rien, sinon un alibi théorique pour faire encore illusion devant l'opinion internationale, du reste de moins en moins sourcilleuse sur le sort des démocraties naissantes. Que vaut une démocratie quand les démocrates sont mis dans l'éteignoir d'une perpétuelle situation de minorisation ? Encore faut-il bien sûr savoir qui appartient à cette catégorie et qui ne l'est pas, et comprendre, par ailleurs, comment en Algérie peut-on se réclamer d'un parti démocratique et défendre en même temps les thèses du pouvoir. En tout état de cause, s'il y a une réalité sur laquelle personne ne trouve à redire, c'est bien la misère politique qui a envahi la société qui fait penser, selon de nombreux observateurs de la scène algérienne, à un retour aux années de plomb, voire de la pensée unique. Qui fait l'actualité politique dans notre pays ? A part les dirigeants officiels qui se relaient dans les médias, seuls les partis ayant accepté «l'alignement» ont droit de cité. Le FLN, le RND et le MSP, autrement dit les partis de la coalition présidentielle, sont les maîtres de l'espace politique public. Les autres qui persistent à entretenir un semblant d'activité, malgré de multiples restrictions, peuvent toujours parler, ils ne seront jamais écoutés. Verrouillée, orientée, contrôlée, la vie politique n'offre donc aucune alternative pour le courant démocratique dans la mesure où il se voit privé de sa substance essentielle, la liberté d'entreprendre et de s'exprimer. Se plier ou se démettre, l'engrenage est assurément infernal…