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Une vie tatouée
Evocation. Cheikha El Wachma de Témouchent
Publié dans El Watan le 16 - 01 - 2010

Marquée par l'existence, la cantatrice du terroir, longtemps plongée dans les oubliettes, vient d'être reconnue et honorée.
Fatna Ouahida Djied à l'état-civil, la Mama du raï, a survécu trois ans à Cheikha Rimitti, la Mamie du raï. Par un identique destin, toutes deux sont nées la même année, 1922, et, fin des années quarante, à peine adolescentes, débutèrent comme danseuses. Néanmoins, première dissimilitude, Fatna entonna le raï avant la « Ghilizania » qui en était toujours au baladi, le bédoui local. Et, seconde différence, pour être aussi célèbre que son alter ego, et aussi sulfureuse, Fatna décéda l'été dernier dans le dénuement et un anonymat quasi-total. Fatna Ouahida n'eut pas la chance de survivre artistiquement à la décennie rouge. C'était à un moment où de menaçants barbus exercèrent leur police des mœurs, interdisant jusqu'à la prière en mosquée à ses pairs, les musiciens, malmenés pour être des glaïlis (saltimbanques, péjorativement). La semaine dernière, elle, dont le nom d'artiste évoque un des canons de la beauté féminine, comme on la prisait jadis, El Wachma (la tatouée), vient de prendre symboliquement revanche en étant honorée à titre posthume à l'initiative du Festival culturel des arts et cultures populaires de Témouchent. Tous ceux qui lui devaient quelque chose étaient là, Belemou en tête mais sans Bouteldja Belkacem.
Ce n'était pas la faute de celui dont la carrière avait démarré pour avoir opportunément repris Gatlek Zizia (Zizia diminutif à l'époque très « branché » de Zohra), le premier tube d'El Wachma. Sur la scène de la maison de la culture, les madahate ouvrent le bal. Tahar Yamina trônait impérialement au violon, instrument hérité à la mort de son mari qui lui en avait appris l'usage. Rezali Nasredine, berrah, à la faconde toute en rimes et à l'attitude tendue dans une altière ruralité, faisait le nécessaire intermède, passant le micro à la voix de velours de Bentata puis à celle, plus basse et plus fougueuse, de Cheb Saïd Kayfouh. Cheb Saïd est le fils de feu Cheikh Kayfouh dont la voix roucoulait si bien le répertoire d'El Wachma qu'on le surnomma El Wachma Sghira. Moment fort de l'hommage : la reprise de Sid el Hakem par Cheikh Meftah, façon bedoui, plutôt épique, puis par les medahate en version dramatique, mettant à nu l'arbitraire d'une norme sociale asphyxiante. La chanson Sid el Hakem, ouine daïni, ouine, témoigne Bouterfès Hadj, sonoriste d'El Wachma et ex-disquaire, a longtemps caracolé au hit parade du 45 tours : « Ce disque fut l'hymne de tous les opprimés. »
A cet égard, pour qui l'écoute aujourd'hui, la vérité de cette goualante demeure tout aussi poignante parce que l'art d'El Wachma rimait avec authenticité. Femme de caractère, elle ne trichait pas avec ses sentiments, n'écrivait pas pour composer des chansons, ne sachant d'ailleurs pas écrire. Ainsi, elle chanta Zouj dabzou alia, thalath ma andou akhbar, erabie' moul el ferma, ouel khamess moumou aïni (Deux se sont battus pour moi, le 3e ne le savait pas, le 4e est le fermier et le 5e la prunelle de mes yeux). Ou encore Khali ya khali ech-hal nabghi khali (Tonton, mon tonton, comme j'aime mon tonton) où il n'est nullement question d'amour filial ; Hak kacheq hak (Reprends tes biens, reprends) pour signifier la séparation et Khalou el kass idour (Laissez le verre circuler). Pour ne citer que ces quelques titres, elle chantait sa vie, ses coups de cœur, ses peines, comme cela venait, à l'inspiration. Le raï, n'était-il pas cela ? « Et quelle autre région pouvait en être le terroir, sinon le Témouchentois ? » interroge Bouterfès. Elle l'a été parce qu'elle était blad ennefia, un pays ouvert aux interdits de séjour, généralement des condamnés de droit commun, ce qui enrageait les municipalités d'alors, question de sécurité des biens et des personnes. Ils y avaient droit d'accès parce que le travail y était plus disponible qu'ailleurs, avec le vignoble à perte de vue, gros consommateur de main-d'œuvre. Cela était plus vrai en été, où durant plus de quatre mois, avec les vendanges succédant à la moisson-battage encore peu mécanisée, des milliers de saisonniers affluaient. Le raï naquit dans ces conditions, celles de l'exil, du déracinement, du métissage et des bivouacs lors des veillées autour des braséros qui, çà et là, illuminaient la campagne de leurs rougeoyantes trouées. Cette version quant à la naissance du raï fut, entre autres sources crédibles, soutenue par le défunt Saïm El Hadj, au début des années 1990, lorsqu'Oran et Sidi Bel Abbès se chamaillaient sur leur maternité exclusive du raï. Saïm, enfant de Bel Abbès et figure incontournable de l'art sur la place d'Oran, fut un des principaux fondateurs du Festival national du raï, homme de théâtre, parolier entre autres de Ahmed Wahbi, homme de radio qui introduisit le raï sur les ondes de la Radio nationale. Pour ce qui est d'El Wachma, orpheline du principal soutien de famille, elle vint à son art par nécessité.
C'était à une période d'extrême misère, du rationnement, du typhus, de boumentel (chaussure artisanale en peau de chèvre). Suite à une escapade d'adolescente, un oncle, chikh Brahim, cousin maternel de sa mère, la prit sous sa tutelle dans sa troupe de troubadours, promettant à sa mère d'en être le chaperon. Fatna était à l'époque une beauté du faubourg Saint-André, l'actuel Sidi Saïd à Témouchent. Elle l'était à ce point que selon Lila, sa fille, la grand-mère dut, sur le conseil du voisinage, la tatouer entre les sourcils pour qu'on ne la confonde plus avec une Européenne, tant elle avait le teint diaphane, critère de beauté jadis incomparable. Mais ce n'est pas au fin liséré vert qui ornait son front qu'elle devait son nom d'artiste. Il lui serait plutôt venu parce qu'elle était reconnaissable au tatouage qui ornait le revers de sa main, lui plus visible puisque, à l'instar de toutes les artistes, elle portait une voilette. Sa gracile main tambourinant le bendir, fixait les regards du public des hameaux et des fermes où la troupe de Chikh Brahim venaient animer des mariages. Sa troupe était de celles qui pouvaient se payer ses déplacements en carriole, un supplément de panache sur celles qui le faisaient à pied ou à dos d'âne. Chikh Brahim tenait à son rang, lui dont la renommée de sa protégée monta d'un sérieux cran au milieu des années 1950 lorsqu'elle fut amenée à participer à l'animation des réjouissances du mariage du fils d'un des plus puissants notables de l'époque, le Caïd Benchiha Boucif. Mais, l'on se produisait aussi pour moins que cela, explique Aïssa Moulferaâ, homme de théâtre et organisateur de spectacles. On était parfois sollicités pour agrémenter des mariages dits falso, des épousailles sans mariés, organisées par des particuliers désireux de récupérer l'équivalent de ce qu'ils avaient offert en dédicace à leurs relations ou parentés lors d'autres mariages, ceux-là réels. Les chercheurs indiquent que cette pratique s'appelait anciennement en Kabylie « Taoussa », et à l'ouest du pays, « ferda » ou « ghrama ».
Cependant, dans la vie des saltimbanques d'alors, boucler les fins de mois pénibles et les malheureux hasards de la bohême, imposait aux artistes de se produire également dans les endroits les plus improbables, tavernes mal famées, voire maisons de tolérance. Cela arriva même à des troupes de théâtre, dans des moments d'épouvantable contingence. L'étoile d'El Wachma allait scintiller davantage lorsqu'elle ne s'en tint plus à la reprise des standards. Elle commença à chanter ses propres paroles et à innover musicalement pour se mettre au diapason des genres musicaux qui rivalisaient alors en audience. Elle réussit ainsi la transition du « baladi » vers ce qui allait devenir le raï trab. Elle le fit en empruntant aux trémolos du flamenco, elle qui y baignait dans sa ville où régnaient l'art et la culture ibérique et où l'on parlait autant arabe, espagnol que français. Moulferaâ, ancien percussionniste explique que sur la rythmique de trois modes, les « hrizia », « regada » et « mharzia », qui caractérise le bédoui, El Wachma incrusta les jeux et le roulement de voix non sans accentuer par le tbal la vitesse de la rythmique. Pour ce qui est du texte, le raï s'encanailla surtout par la force des lieux de la marge où il se donnait, pour accrocher un public désinhibé. C'est ainsi que du texte structuré, la qasida, l'on passa aux paroles disparates. A ce moment, au milieu des années 1950, le protecteur de Fatna mourut, remplacé dans la troupe par Chikh Bouhajla jusqu'à l'indépendance où ce dernier partit en France. Chikh El Bekay Mohamed qu'El Wachma rejoignit à Oran, devint son compagnon dans la vie comme à la scène. L'époque de la calèche dépassée, Chikh Bekay roule en DS Palace. Mais les temps se firent durs à l'indépendance avec le rigorisme qui pointait. El Wachma, contrairement à Rimitti, y survécut, livrant bataille en fondant sa troupe de meddahate sans quitter la troupe d'El Bekay. Et, dans les années 1970, parce que c'était passé de mode mais aussi à cause de la pudibonderie, elle se fit gommer son tatouage au front. La décennie 1990 eut raison d'elle alors que Rimitti remontait au firmament, mais en Europe. Ainsi, par leurs destinées et renommées, ces Mama et Mamie du raï furent, toutes proportions gardées, les équivalents féminins, l'une de Cheb Hasni (El Wachma) et l'autre de Khaled (Remitti), les Cheb ayant été, n'est-ce pas, les enfants des cheïkhate plutôt que des chioukh.


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