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Culture, nature et traditions
Publié dans El Watan le 16 - 06 - 2016

La brigade des marmitons et des cuisiniers en toque veille soigneusement au grain. Derrière ce repas gargantuesque, une tradition vieille de quelques siècles et la mobilisation de tout un village, quand ce n'est pas deux ou trois, pour la préparation, l'organisation et toute la logistique digne d'une armée en campagne.
Nous sommes au sanctuaire de Sidi Slimane, sur les hauteurs d'Ighram, pas très loin du sommet du Djurdjura, qui prête son flanc sud à ces festivités. Un torrent gronde au fond d'un ravin à la végétation luxuriante et les oiseaux piaillent à qui mieux mieux. Rafales de vent et pluie fine en ce dernier vendredi d'un mois de mai décidément capricieux. Voilà pour le décor d'un début de grande fête liturgique.
Des processions de pèlerins des deux sexes et de tous âges cheminent à travers un vieux sentier muletier bordé de murettes de pierre ou de haies de cactus. Des oliviers centenaires et des frênes aux troncs noueux et imposants s'inclinent sur le passage des femmes aux robes chatoyantes. Des familles entières, de la vieille grand-mère arc-boutée sur sa canne au dernier-né dans les bras de sa maman, grimpent vers Sidi Slimane, dont le mausolée s'accroche à un piton rocheux, à l'ombre d'un frêne.
Un anachorète venu de Fès
C'est la traditionnelle fête dite «Tsevyitha n Sidi Slimane» que les villageois organisent deux fois par an en l'honneur du saint tutélaire de la région. Deux villages y prennent part : Ath el Mechta et Ath Sellam. Cette année, ce sont les Ath El Mechta qui organisent seuls cette veillée. A l'origine, la fête était l'occasion d'offrir «laâchour», un dixième des récoltes au saint du village. Sidi Slimane serait un ascète venu de la ville marocaine de Fès il y a quelques siècles, à une époque ou un mouvement mystique venu du sud du Maroc avait jeté des centaines, voire des milliers de soufis sur toutes les routes de l'Afrique du Nord. Il aurait vécu en anachorète dans une grotte du Djurdjura, se nourrissant d'une simple gousse de caroube, jusqu'à ce qu'une femme du village le découvre.
Selon la légende, elle en informe le village malgré la promesse faite au vieil ermite de tenir de taire son existence. «Si tu parles de moi tu vas perdre la vue», a-t-il dit à la bergère, qui a découvert la «kheloua» qui lui servait de lieu d'ermitage. "Malgré tout elle en informe le village qui décide alors d'en faire son imam", raconte Mohand Ouravah Benhamouche, 71 ans, l'un des habitants d'El Mechta. Le soufi accepte sous certaines conditions. En échange de l'ouverture d'une école coranique, les villageois doivent leur fournir un dixième de leurs récoltes en biens.
Pour leur garantir la sécurité à tous, il émet d'autres exigences. «Plus d'injustice, plus de violence», dit-il aux montagnards rassemblés autour de lui. «En outre, vous ne couperez plus d'arbres dans ce ravin et tout contrevenant aux lois que j'ai édictées sera maudit pour le restant de ses jours». Ses conditions acceptées, il entreprend de leur enseigner la parole de Dieu.
Agraw ou l'assemblée des sages
La «tsevyitha» commence toujours par une assemblée générale au village. L'appel solennel est lancé du haut du minaret de la mosquée. L'agora peut alors se réunir et prendre toutes les décisions et dispositions afférentes à la célébration de l'événement. La première des choses sur lesquelles on s'entend est l'organisation d'un volontariat pour nettoyer le village, ses alentours et tout le sentier qui mène jusqu'au mausolée. Ensuite, ordre est donné aux troupes de procéder à la corvée de bois. Chaque foyer doit ramener une souche de bois qui servira à alimenter le feu pour la cuisson. Une fois toutes les offrandes et les dons comptabilisés, les sages de l'assemblée procèdent à l'achat des bœufs sacrificiels.
Le jour de l'offrande, l'«agraw», l'assemblée des sages, se réunit dans le préau du mausolée. Tous ceux qui on un vœu à exaucer se présentent devant l'agraw pour bénéficier de ses prières et des bénédictions. Les femmes viennent en grand nombre. Toutes celles qui souhaitent avoir un premier enfant, une descendance mâle, un mari, la guérison d'une maladie persistante, le retour d'un émigré qui s'est oublié de l'autre côté du monde, l'amour d'un homme ou toute autre chose, se présentent pour être couverts(es) par «ajelav n Sidi Slimane», un pan de la cape ou du burnous du saint.
Elles jettent un ou plusieurs billets de banque dans la grande caisse prévue pour recevoir les dons des visiteurs, alors que les sages de l'agraw lancent leurs prières d'une même voix, demandant au saint d'intercéder en leur faveur. A chaque prière qui monte vers le ciel, toute l'assemblée répond «amine !!» en chœur. Ammi Salah, moustache blanche mais fringante et regard sévère, veille du haut de ses 95 ans, sur le déroulement des opérations.
Les prières montent au ciel en même temps que les fumets de viande qui mijotent dans leur sauce. En bas du mausolée, c'est le branle-bas de combat au sein des brigades de cuisiniers qui s'affairent à exaucer le vœu des visiteurs de déguster un bon couscous. Cuistots et marmitons sont à l'œuvre depuis hier soir. Les carcasses des animaux sacrifiés ont eu le temps de sécher. Les têtes, elles, ont été vendues aux enchères, au plus offrant. La viande a été débitée en quartiers puis en morceaux. Chaque brigade de cuisiniers et d'aide-cuisiniers s'affaire à sa tâche: laver et éplucher des cageots de légumes, cuire le couscous à la vapeur, préparer la sauce, le chantier est immense et demande des dizaines de bénévoles. On s'affaire autour de deux immenses marmites en cuivre qui chantent sur un feu de bois.
Resserrer les liens sociaux
L'organisation d'un tel événement obéit à une discipline stricte, mais le village est habitué. Les responsables, en général hommes d'âge mûr, sont reconnaissables à leur casaque fluorescente de couleur orange. Les jeunes, dévolus aux tâches de ménage, de cuisine, de service d'ordre et de vigilance portent, eux, des casaques de couleur verte sur lesquelles il est écrit «aqedac n Sidi Slimane», serviteur de Sidi Slimane. Plusieurs pancartes rappellent aux visiteurs les règles à ne pas transgresser. Ne pas polluer l'environnement ni jeter ses ordures dans la nature. La consommation d'alcool et les comportements inconvenants envers les familles sont strictement proscrits. On ne badine ni avec l'honneur ni avec la nature.
«Dans le passé, les gens ne mangeaient pas à leur faim. La Tsevyitha, qui a lieu deux fois par an, leur permettait de manger à satiété au moins en ces occasions mais aussi de se rencontrer. Au-delà, elle permet aussi de resserrer les liens sociaux de toute la communauté», dit Vrahim, enseignant de tamazight issu du village.
Aujourd'hui encore, la tsevyitha remplit toujours ses fonctions de ressouder le village, la tribu, de renouveler les valeurs de solidarité et d'entraide. Ceux qui se sont installés ailleurs reviennent en cette occasion. Elle réunit toute la tribu et même au-delà puisque on y vient aussi des Igawawaen, de l'autre côté du Djurdjura, puis des Ath Abbes et des Ath Aidhel, de l'autre côté de la vallée de la Soummam. La Tsevyitha a également toujours été un lieu où se tissent les unions entre familles par le biais du mariage. Les jeunes femmes, en grand nombre, se font belles et les jeunes hommes attentifs même si les regards et les échanges se doivent d'être discrets. L'argent récolté en cette occasion est très important. Il sert à l'entretien des pistes, des sources et des cimetières.
Il a déjà permis au village d'acheter des terres dans la vallée. Celles de Mme Riquet, un colon français installé entre Tazmalt et Akbou sur des terres enlevées aux Algériens lors du séquestre de triste mémoire qui a suivi l'insurrection de 1871. Trois tribus se sont cotisé par deux fois, en 1927 puis en 1948 pour acheter ses terres et s'y installer. Descendues de leur montagne, des familles ont créé un grand village que l'administration s'est dépêchée de rebaptiser Colonel Amirouche, mais que tout le monde, néanmoins, continue d'appeler Riquet, sans même parfois savoir l'origine de ce nom.
Vers midi, l'affluence atteint des records, mais les gens continuent d'arriver par dizaines. Un DJ installé sur une plateforme en béton diffuse de la musique. La sono sert également à lancer des appels aux organisateurs ou au public. C'est le moment de commencer à faire manger les visiteurs. De grands plats de couscous sont apportés par de jeunes bénévoles. La première brigade s'occupe de la distribution des plats de couscous, la deuxième de la sauce servie dans de grands sauts, la troisième de la viande et la dernière de distribuer cuillères et bouteilles d'eau. On mange assis à même l'herbe verte ou accroupis dans une ambiance bon enfant.
Des milliers de personnes pourront ainsi se restaurer tout au long de la journée, se retrouver, discuter, prendre les nouvelles les uns des autres et profiter de ces moments de partage et de convivialité. Nul ne sait si Sidi Slimane a vraiment accompli des prodiges de son vivant, mais des siècles après sa mort il arrive encore à ressouder sa communauté forte de plusieurs milliers de personnes. Et ça, c'est un vrai miracle…


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