« Toutes les opinions sont respectables. Bon. C'est vous qui le dites. Moi, je dis le contraire. C'est mon opinion : respectez-là donc ! » J. Prévert Sous le titre « Le beurre, l'argent du beurre et la vache laitière » dans El Watan du 27/7/2010, Y. Dellaoui, médecin spécialiste de son état, exposait un point de vue, somme toute respectable. Le Pr N. Djidjelli, dans une contribution datée du 1er août parue dans le même quotidien et non moins respectable, le « contrait » sur le terrain, ô combien ardu de l'arcane administrative, notamment réglementaire, de l'exercice de la profession médicale. S'il est vrai que le « maniement » des textes réglementaires pour le syndicaliste avéré qu'est le Pr Djidjelli est un jeu d'enfant, il ne doit pas être forcément le cas pour le premier nommé. La seule lecture de sa longue contribution quelque peu hargneuse, renseigne sur le dépit que ressent, probablement, ce praticien dont la sincérité n'est pas à mettre en doute. Il semble s'exprimer à travers des pulsions qui doivent être amèrement ressenties. Pour toutes ces raisons, il n'est nul besoin de brandir à sa face le spectre du Conseil de déontologie, encore moins celui des tribunaux. Le Dr Dellaoui n'a diffamé personne, il s'est autoflagellé ; faut-il pour cela le blâmer ? En ce qui concerne le temps complémentaire dont il est question, institué au profit des hospitalo-universitaires et médecins spécialistes de santé publique, cette disposition réglementaire autorise ces praticiens à assurer dans le secteur libéral deux vacations par semaine à titre lucratif. Jusque-là, tout est clair sur le papier. Si nous savons « qui » est concerné et par « quoi », nous restons sur notre faim pour le « quand » et le « comment ». Le Pr Djidjelli dont la probité est légendaire, part du principe que tout texte de loi ou réglementaire qu'émet la République est par avance empreint de sacralité morale, que seuls les dévoyés osent profaner. L'ancien cadre de l'administration sanitaire qu'il a servie une vie durant est en mesure aujourd'hui de dire que nous avons failli. De fleuron des systèmes nationaux de santé des années soixante- dix, le notre semble être happé par un trou d'air le tirant toujours vers le bas. Et ce n'est pas en fait la qualité des compétences humaines qu'il faut remettre en cause, mais toute une ligue de coups tordus portés innocemment au système. Il s'agirait pour illustrer mes propos de microtraumatismes semblables à ceux portés par un marteau pneumatique sur les coudes du manipulateur. Imperceptibles au départ, ils finiront en bout de course par invalider le membre qui, en toute bonne foi, a fait son travail. La déstructuration annoncée a commencé à notre sens dans les années quatre-vingt-dix (90) où un décret inapproprié venait mettre fin au service civil applicable aux médecins spécialistes de santé publique. Beaucoup ont applaudi cette mesure. D'autres, par contre, ont trouvé qu'il ne s'agissait ni plus ni moins que de la préparation du lit du conventionnement avec le secteur libéral. On livrait ainsi et les malades et les capacités techniques installées à des lendemains incertains. Il s'est trouvé que certains hôpitaux ne disposaient pas d'un seul spécialiste, alors qu'on en comptait, en extra muros, jusqu'à une dizaine. Ce cas était mal vécu dans le Sud et les Hauts-Plateaux dans les années 1994 à 98. Le vieux cadre se rappelle encore de cette angoisse qui s'est saisie de lui pendant 4 longs jours fériés de l'Aïd El Adha, pendant qu'il scrutait à partir de sa résidence la Nationale 1 qui dévale sur une pente raide dans la vallée du M'Zab et son flux de poids lourds. Il demandait à Dieu qu'il fasse que nul accident ne survienne car il ne se trouvait pas un seul chirurgien à deux cents kilomètres à la ronde. La seule chirurgienne en exercice à 40 km faisait faux bond en quittant, ce jour-là, son poste sans crier gare. La réintroduction de l'obligation du service civil après huit (8) années d'errance a mis un terme, tout relatif, à la traversée du désert. Les conséquences de ce « black-out » furent sans conteste l'exercice médical informel et l'obsolescence des plateaux techniques. Des cabinets privés se trouvaient une âme de « négriers » pour tirer profit de cette main-d'œuvre spécialisée et soumise à leur seul profit. Sans couverture sociale du fait de leur statut de travailleurs au noir, on leur faisait faire du faux, puisqu'ils signaient aux lieu et place du praticien agréé. Cette « pénurie » de spécialistes dans le secteur public aurait pu être avantageusement couverte par des résidents seniors en fin de cycle sous la couverture universitaire. Passons ! Là n'est pas le propos. Il s'est trouvé des promotions de spécialistes de plusieurs centaines de membres qui, entre leur sortie et leur affectation définitive attendaient au moins six (6) mois pour raison d'ouverture de concours pour pouvoir postuler au poste. Tout le monde savait qu'il ne s'agissait en fait que d'une liste de postes à pourvoir au niveau des structures hospitalières nationales. Dans l'entre-temps, les malades galéraient d'hôpital en hôpital et de CHU en CHU. Le concours d'alignement des médecins spécialistes de santé publique sur les hospitalo-universitaires, prévu en septembre 1993, était reporté sine die. Cette gradation professionnelle pouvait fixer les effectifs en place, améliorer la qualité des connaissances et jeter des passerelles durables entre les deux régimes d'exercice. Malheureusement, des vents contraires ont toujours soufflé dans les voilures du navire santé. Livrés, à leur corps défendant, à des praticiens peu scrupuleux, les services hospitaliers s'ouvraient à la rétribution monétaire sous cape, avec le barème en moins. Le personnel paramédical assistant en mesurait la manne ; il s'y mettait discrètement pour exercer plus tard à visage découvert, dans des structures privées qu'ils ne manquaient pas à l'occasion de pourvoir en produits de pansement, consommables et produits anesthésiants. Il serait malhonnête de ne pas évoquer cette multitude de spécialistes dits « privés » qui ont fait fonctionner des services sensibles comme l'obstétrique, la pédiatrie (médicale et chirurgicale) pendant des années, en l'absence de praticiens attitrés. Le secteur médical libéral de Ghardaïa et de Tamanrasset ont, durant les années de vaches maigres, porté à bout de bras l'assistance médicale de pronostic vital. Elle est toute légitime cette demande d'amélioration du sort matériel de nos praticiens médicaux ; ce qui ne l'est pas par contre, c'est cette « ruée » vers le gain démesuré et quel qu'en soit le prix, conduisant à des situations préjudiciables, parfois fatales. Le temps complémentaire est cette disposition légale qui est venue régulariser une situation de fait préexistante déjà. Rappelons-nous ces hospitalo-universitaires qui pratiquaient dans les toutes premières cliniques d'accouchement tenues par des sages-femmes. Soumis à diverses interprétations, le temps complémentaire est arrivé à un point où ses limites risquent de ne plus être cernées. Par son effet centripète, il dégarnit les zones où il n'existe pas de structures hospitalières privées et jusque-là couvertes par le service civil. On découvre aujourd'hui que son mode d'exercice, pas dans tous les cas heureusement, prêterait à équivoque. Il devient par le mécanisme du siphonage le cheval troyen de la citadelle santé. Il a rapporté des situations ubuesques, où le praticien de l'hôpital s'« adresse », comme on l'écrit souvent, ses propres patients en clinique privée où il assure des vacations. L'image est caricaturale peut-être, mais il y a toujours du vrai lorsqu'on prête attentivement l'oreille aux gens qui souffrent. Tout n'est, heureusement, pas perdu. Il faudrait, à notre sens, tendre à éradiquer l'antinomie inconsciemment entretenue entre privé et public, santé publique-hospitalo universitaire. Il n'y a plus lieu de stigmatiser un régime d'exercice pour encenser un autre au motif qu'il serait moins compétent. On remarque de plus en plus de véritables oasis de bonheur dans les CHU et dans les hôpitaux généraux. Des services, sous l'autorité de leurs « patrons », ont su dépasser toutes les contingences bureaucratiques pour devenir de véritables pôles d'excellence. Il est des chefs de service qui ont l'œil sur tout, même sur la consommation de javel par l'agent de surface et ceux qui, malheureusement, n'occupent le poste que pour les privilèges induits. Et cela n'est pas le propre du seul secteur de la santé. La dépréciation dans laquelle a été durablement confiné l'omnipraticien a fait que la spécialité soit goulûment sollicitée. Ce « nanisme » a fait qu'il ne lui est plus permis de pratiquer le curetage utérin ; il vient même d'être interdit de circoncision. Craignant la main lourde de la Justice, il s'est « recroquevillé » sur lui-même pour examiner et orienter vers le spécialiste qui n'est souvent pas de proximité. Elément nodal du système, le médecin généraliste doit se réapproprier le rang qui lui a été ravi. Aux avant-postes, jadis, de la lutte contre la malnutrition et les maladies infectieuses induites par le dénuement sanitaire, il a marqué son combat dans les grandes œuvres nationales. Né généraliste, il « végète » dans l'espérance de jours meilleurs....