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La ville de tous les possibles
CASBAH EDITIONS. La ville aux yeux d'or, roman de Keltoum Staali
Publié dans El Watan le 05 - 09 - 2021

En ces temps de disette éditoriale, les éditions Casbah nous font le plaisir d'un nouveau roman à l'écriture sensible.
Faire advenir une autre image de la ville, dresser un tombeau à ceux qu'on a perdus, et cela dans une langue toujours à conquérir, toujours à interroger, tel est le projet de ce livre qui se construit dans une ellipse à double foyer : d'un côté, la mort, celle du petit frère, celle du compagnon d'autrefois, les morts de la guerre et de l'histoire, et de l'autre, la vie malgré tout, avec tous ses possibles chatoyants. Mais qui raconte cette histoire ?
Celle qui raconte, comme l'Ogresse des légendes, se situe au-delà du temps, elle parle depuis une origine qui transcende les bornes de sa biographie : «Mon petit frère n'est pas mort. Pas encore. Puisque je ne suis pas encore née.» Elle vient de bien avant, de l'antique Mazouna, ancienne ville universitaire du Maghreb, dont le prestige vient compenser la pauvreté familiale. «Mes ancêtres étaient des sauvages dont les filles improvisaient des poèmes en jouant. Je suis une riche héritière.»
Et elle vient de la langue – mais laquelle ? N'y aurait-il pas, comme dans le mythe de Babel, une seule langue fragmentée en plusieurs, par une malédiction que tout enfant doit apprendre à surmonter ? «Quand mon petit frère est mort, j'avais trois ans. Evidemment, je n'ai rien compris. Pour comprendre, il faut des mots. Il faut une langue. Je n'avais pas encore la langue française, quelques bribes de langue arabe, juste ce qu'il faut pour obéir ,aux ordres des parents.»
Tout le texte se construit sur la coprésence des deux langues et sur le jeu qui se fait entre elles. Keltoum Staali sait nous rendre perceptibles, en les atténuant d'un sourire, des expériences parfois pénibles, comme la gifle assénée par la maîtresse française parce que la petite fille ne sait pas chanter Mon beau sapin. La gifle ne décourage pas la fillette, qui s'empare de la chanson et joue avec les sonorités des vocables incompris : ainsi, la chanson dit «quand par l'hiver bois et guérets sont dépouillés de leurs attraits» : c'est quoi «attrait» ? ça ressemble à katré, le lit.
Elle capte ces mots étrangers, elle, dont la mère ne parle qu'arabe, elle les capte avec «avidité», encore un joli mot, trouvé dans la comtesse de Ségur, où le petit âne mange avec avidité un quignon de pain, et le mot s'inscrit sans faute dans la mémoire. Non parfois sans quelque méprise, dirait Mallarmé : de l'autre côté de la langue, du côté arabe, quand l'enfant entend le mot «Zonqa» comme un espace vague, une zone de non-droit, et plus tard s'empare de mots pour en faire des poèmes. Le lecteur francophone devine tant bien que mal, essaie de s'en tirer avec le contexte, se trompe peut-être, sans doute, joue avec ces mots mal compris comme avec des agates de cour de récré. Les mots arabes étincellent dans le texte français comme des bijoux.
Entre deux langues, entre deux pays, la narratrice vogue indéfiniment sur ce bateau où est mort le petit frère : «Ici et là-bas, là-bas et ici. Je voudrais être un bateau pour aller sans cesse d'une rive à l'autre.» Etrangère où qu'elle soit, elle ne cherche pas à s'enraciner : bien plutôt, à multiplier les identités, dont elle sait bien avec Nabil Farès le caractère meurtrier.
A osciller entre un passé rêvé et un avenir incertain, qu'elle confie parfois à son double, Meryem. Alger, où elle ne cesse de revenir, c'est la ville de tous les possibles : ville-femme qui déploie des images à la Delacroix, qui mime le regard orientalisant de l'étranger, ville-sirène avec ses «chevilles aux écailles rutilantes», ses yeux «cernés de conjurations», ses tatouages simulacres bleus. Dans le ventre de la ville, la narratrice laisse émerger les souvenirs, cruels ou tendres, et les germes d'avenir.
Elle est née dans la guerre, hantée par les images familiales de torture et de mort, et pourtant, cette enfance est heureuse. Petite ogresse, dont la gourmandise ne connaît pas de limites : «Je me sers dans le garde-manger du monde.» Keltoum Staali déploie tout un nuancier de sensations concrètes qui restituent au lecteur ses propres expériences d'autrefois. Mais ces bonheurs ressuscités sont, par moments, traversés par la prescience de la dureté du monde : ainsi, cette notation enfantine semble anodine des jours de pluie : «Mon père ne travaille pas quand il pleut, mes oncles non plus.
Les chantiers s'arrêtent. C'est dans un de ces jours bénis qu'il m'a raconté l'histoire de Noé. Nos pères sont près de nous et ça change tout.» Ouvriers du bâtiment, dans les conditions les plus dures, leur seul répit donné par la pluie. Bien plus tard, la narratrice recueillera cet aveu du père, émigré en France à seize ans pour aider à nourrir la famille, et privé de l'insouciance de l'adolescence : «Je ne savais pas que c'était aussi dur.» Adulte et mère à son tour – et son enfant comme réincarnation du petit frère – la narratrice retrouve le plaisir de parler arabe avec son père, «sans avoir peur de me tromper, de mal prononcer», elle lui demande comment on dit tel mot, et lui est heureux d'être celui qui sait, celui qui enseigne. En contrepoint au motif de la mort du frère, toujours évoquée comme en biais, advient la mort du père de son enfant.
Keltoum Staali atteint ici à une émotion paradoxale, car volontairement privée de tout effet banalement émotionnel, qu'il s'agisse de la description brute du corps mort, ou du lent apprivoisement de la perte. «Qui pleure-t-on quand on pleure ?» On ne pleure pas seulement ses morts à soi, mais, en basse continue, les morts de l'histoire et la langue blessée. Mais La Ville aux yeux d'or n'est pas qu'un lamento, c'est, comme le suggère déjà le titre avec son clin d'œil balzacien, une fresque. La palette de Keltoum Staali, poète avant d'être romancière, donne à voir, par le biais de toutes sortes de détails concrets, toute une vie à la fois urbaine et proche du rural.
Ainsi, le voile est ici tout un déploiement de matières et de couleurs, «haïk fané, striée de transparences, vergetures d'argent, flasques à force de lessives et de soleil étendu», mais aussi un indicateur socio-culturel évoqué avec humour : «La petite voilette de dentelle de nos grands-mères, le 'djar, enfin façon de parler, car mes grands-mères à moi portaient la 'aouina, le voile rural qui couvre plus qu'entièrement le corps.»
C'est aussi un vaste jeu intertextuel, parfois explicite, parfois masqué, avec les écrivains qu'elle aime : elle évoque la rencontre, rêvée ou racontée, avec Mahmoud Darwich, ou celle, bien réelle, attestée par un couscous aux haricots (Quelle hérésie !) avec Nabil Farès dont le pessimisme politique déçoit la jeune femme : «Il disait du noir de l'Algérie. Moi, je ne voulais que le blanc.» Elle lui donnera raison, des années après, après les émeutes de 1988 et la décennie noire. Et si un rendez-vous peut-être amoureux a lieu à cinq heures de l'après-midi, «l'heure où meurent les toreros», c'est pour un hommage discret, a las cinco de la tarde, au poète assassiné, Federico Garcia Lorca.
Pléiade d'écrivains tutélaires, parmi lesquels Keltoum Staali ose s'inscrire, par l'amour qu'elle leur porte et leur rend ici. «Plus tard, je ferai traduire mes écrits et je mentirai sur la chronologie de la création» : malice d'écrivain qui s'amuse à se rêver déjà académique, voire objet de thèses ?
Keltoum Staali n'ignore pas les tiraillements linguistiques qui ont marqué ses aînés et ne méconnaît pas les blessures de l'histoire, ancienne ou plus récente, mais elle les transcende par l'allégresse ultime de son voyage entre ses langues, entre ses rives.
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