Pour découvrir l'Algérie socioculturelle ou en élargir la connaissance. Le sympathique et intéressant site internet Esprit Bavard, qui, depuis sa création s'est voué à la culture algérienne, sort avec brio de son monde virtuel pour donner lieu et vie à un bel album sous-titré «Textes et images, l'Algérie autrement dite, autrement vue». On est d'abord frappé par le format généreux de ce volume de 210 pages et la qualité de sa conception graphique, sobre, moderne et attrayante. Bravo au maquettiste qui a su rendre, sans bavardage, l'esprit de ce projet. Bien sûr, le contenu prime toujours mais il est temps, ici ou là, que l'on comprenne que sans une forme élégante, même les pensées les plus raffinées ne peuvent traverser les écluses de l'indifférence. Cela dit, le monde graphique et celui des impressions en Algérie ont franchi ces dernières années des étapes importantes, davantage contrecarrées par les pesanteurs du contexte économique que la volonté et le talent des éditeurs et des «metteurs en scène» de la chaîne du livre. Mais il fallait souligner la prestance de cette édition de «Esprit Bavard» dont on souhaite d'emblée qu'elle ne soit pas la dernière. En effet, l'album se présente comme une introduction diversifiée et pétillante à l'univers socioculturel algérien, entendez par là la culture proprement dite, dans ses expressions artistiques, mais également la culture en tant que pratique sociale, comportements, mouvement d'idées, etc. ainsi qu'aux représentations culturelles de la société dans leur sens le plus large, tel que défini par l'Unesco si nous devons choisir une définition. Dans son avant-propos, l'éditrice, notre consœur Khadjidja Chouit, affirme l'ambition des éditions Sencho de «créer un lieu de réflexion, d'échanges d'idées, de créativité… de passer en revue l'actualité socioculturelle en l'Algérie, mais autrement, en empruntant des chemins de traverse, en évitant les évidences, les idées reçues». Cet objectif est en grande partie atteint, notamment par la diversité des regards, des émotions, des analyses et commentaires offerts par vingt-six plumes, parmi lesquelles figure celle du regretté Djamel Souïdi, et où l'on trouve des journalistes, des cinéastes, des dramaturges, des poètes, des musiciens, des éditeurs, des historiens, des chercheurs, etc. C'est ce mélange de situations actives diverses dans le monde de la culture, des médias et des idées qui forge la richesse de cet ouvrage, avec une répartition des générations représentatives de celle de la société, une présence féminine affirmée et des esprits qui, sans être toujours bavards, sont parlants. A leurs côtés, signalons les photographes qui ont eu droit à des porte-folio qui viennent rythmer les différentes parties de l'album. Réda Sami Zazoun, Sophie El Baz, Awel Hawati, Kays Djilali, Ashraf Kessaïssia et Samir Abdiche s'en sont donné à plein objectif, en venant nous rappeler que la photographie est un art complet et que le noir et blanc est encore d'une richesse chromatique insoupçonnable. Ils viennent, non plus, illustrer des textes, mais participer entièrement à un projet éditorial en tant qu'auteurs. La première partie, «Des lieux, des gens, des regards» s'ouvre par le beau texte de la cinéaste, Malika Laïchour Romane, «J'aime Alger» (dont nous avions déjà salué ici la publication virtuelle), avant de déboucher sur Constantine, Sidi Aïssa, Tamanrasset, Annaba, Mazouna et autres lieux physiques en passant par des lieux symboliques ou culturels, tel le festival Dimajazz, des lieux humains si l'on peut dire, tels Mohamed Arkoun, Ibn Khaldoun, Simone de Beauvoir ou même un berger rencontré par le cinéaste Abdenour Zahzah sur les rives d'un oued ! La deuxième partie, «Personnages, histoire et histoires», nous entraîne dans le torrent fougueux et étonnant de notre passé. On y rencontre Juba II et son épouse, Cléopâtre de Séléné ; Salim Toumi, dernier roi d'Alger ; Kheiredine Barberousse ; Kusaïla et Okba et d'autres personnages. On y retrouve Ahmed Bedjaoui, évadé du 7e art pour raconter Venise quand elle se nommait Al Boundoukia, ou encore l'historienne Barkat Ferhati, enquêtant sur l'histoire de la prostitution et de ses chemins pavés de drames. «Balade dans la création», en troisième partie, nous ouvre à des points de vue, des émotions et des analyses sur plusieurs disciplines avec les questions de Brahim Hadj Slimane sur le cinéma amazigh, le «Mal de la scène» de Djalila Kadi Hanifi, regard généreux et incisif sur notre théâtre, des textes sur la poésie, le cinéma, et tous nos arts dans leurs beautés, dérives et potentiels. Enfin, «Pause plus prolongée sur sujets à débats», qui s'affiche comme un ensemble d'articles remontant à 2008, nous plonge pourtant dans des questions d'actualité : les pratiques d'évangélisation ; le rapport aux sources et expressions arabes ; l'origine de notre musique avec le panache du chanteur chaabi Réda Doumaz, soutenant l'origine non arabe de celle-ci ; l'attrait de l'art contemporain arabe vu par l'historienne d'art, Nadéra Laggoune, ou la nécessité de rétablir la mémoire de l'emprunt que défend Keltoum Staali à partir du Dictionnaire des mots français d'origine arabe, et d'autres encore, impossibles à recenser ici. Le foisonnement de cet «Esprit Bavard», dont une édition en arabe serait sans doute la bienvenue pour de nombreux lecteurs, a de quoi occuper sérieusement, mais aussi plaisamment les esprits. Il offre l'avantage de se lire dans l'ordre que l'on désire, par bribes ou paquets de textes, de manière studieuse ou «baladeuse», tout à fait dans l'esprit du temps et dans les canons de son lieu de naissance, le cyberespace. Au total, il offre un puzzle précieux de l'Algérie socioculturelle et convient à celui qui veut la découvrir comme à ceux qui veulent en approfondir ou en élargir la connaissance.