Un numéro très musical cette semaine avec l'interview de la cantatrice Felicia Bongiovanni, en Algérie pour deux concerts, avec laquelle nous avons rêvé un moment qu'elle interprète le rôle féminin principal de L'Italienne à Alger de Rossini, à Alger… Musique encore avec la contribution du sociologue Hadj Miliani, qui défriche les champs et jachères du domaine culturel national, au présent, mais également au passé parce qu'on ne pourrait pas, sans cela, comprendre le premier. Le texte qui porte sur les «entrepreneurs culturels et musiciens juifs dans l'Algérie coloniale» est le concentré d'une contribution plus cossue qu'il a bien voulu nous confier en nous accordant assez de confiance pour la «sabrer», tournure du jargon journalistique qui – rassurez-vous – consiste à concentrer et non à censurer. Ceci en attendant qu'il la publie in extenso. On y découvre l'apport de quelques membres de la communauté juive au plan artistique en investissant, aux XIXe et XXe siècles, autant la pratique musicale que la création d'associations et de compagnies de disques. En tête, figure sans doute Edmond Nathan Yafil, dit Yafil Ibn Shbab. Il résume, à lui seul, le rôle de ses coreligionnaires artistes à la musique andalouse, notamment par la transcription de ses pièces qui se transmettaient auparavant de bouche à oreille seulement. En passant, Hadj Miliani signale combien la collaboration du grand maître Sfindja fut précieuse à Yafil. D'ailleurs, dans l'ensemble de sa contribution, notre sociologue culturel s'applique à montrer l'importance de l'apport des musiciens juifs tout en relevant ses limites réelles. Nulle part n'apparaît le mot «chaâbi» dans ce texte, ce qui, en creux, renvoie au film El Gusto de Safinez Bousbia, disponible aujourd'hui sur tous les étals de DVD du pays. Ce projet qui englobe, outre le film, des concerts et ventes de disques, est apparu pour ce qu'il est, soit une grosse entreprise de marketing. Sans préjuger des intentions de la réalisatrice, il semble bien qu'elle ait confondu entre une initiative artistique, au demeurant louable, et la machinerie mercanto-idéologique engagée pour la promouvoir. Au point de présenter le chaâbi comme mourant, sinon mort, quand il a dépassé ses bases algéroises pour devenir un genre national (203 groupes issus de 24 wilayas aux sélections du dernier festival national) et que, chose nouvelle, il commence même à se féminiser. L'autre supercherie est de présenter les artistes juifs d'Algérie comme partie prenante du chaâbi quand ils ont exercé en fait sur deux autres registres avérés : celui de la musique andalouse et celui de ce que l'on a nommé le «music-hall algérien» où ils ont excellé, produisant une formulation moderne, légère mais attachante, de mélodies algériennes ou maghrébines anciennes. Si cela est du chaâbi, alors le rock and roll est du folklore péruvien !